La Comédie humaine - Volume 08. Scènes de la vie de Province - Tome 04. Honore de Balzac

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La Comédie humaine - Volume 08. Scènes de la vie de Province - Tome 04 - Honore de Balzac

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mois avaient suffi pour qu'il se crût l'égal de Louise, et il voulait alors en être le maître. Il partit de chez lui se promettant d'être très-déraisonnable, de mettre sa vie en jeu, d'employer toutes les ressources d'une éloquence enflammée, de dire qu'il avait la tête perdue, qu'il était incapable d'avoir une pensée ni d'écrire une ligne. Il existe chez certaines femmes une horreur des partis pris qui fait honneur à leur délicatesse, elles aiment à céder à l'entraînement, et non à des conventions. Généralement, personne ne veut d'un plaisir imposé. Madame de Bargeton remarqua sur le front de Lucien, dans ses yeux, dans sa physionomie et dans ses manières, cet air agité qui trahit une résolution arrêtée: elle se proposa de la déjouer, un peu par esprit de contradiction, mais aussi par une noble entente de l'amour. En femme exagérée, elle s'exagérait la valeur de sa personne. A ses yeux, madame de Bargeton était une souveraine; une Béatrix, une Laure. Elle s'asseyait, comme au Moyen-Age, sous le dais du tournoi littéraire, et Lucien devait la mériter après plusieurs victoires, il avait à effacer l'enfant sublime, Lamartine, Walter Scott, Byron. La noble créature considérait son amour comme un principe généreux: les désirs qu'elle inspirait à Lucien devaient être une cause de gloire pour lui. Ce donquichottisme féminin est un sentiment qui donne à l'amour une consécration respectable, elle l'utilise, elle l'agrandit, elle l'honore. Obstinée à jouer le rôle de Dulcinée dans la vie de Lucien pendant sept à huit ans, madame de Bargeton voulait, comme beaucoup de femmes de province, faire acheter sa personne par une espèce de servage, par un temps de constance qui lui permît de juger son ami.

      Quand Lucien eut engagé la lutte par une de ces fortes bouderies dont se rient les femmes encore libres d'elles-mêmes, et qui n'attristent que les femmes aimées, Louise prit un air digne, et commença l'un de ses longs discours bardés de mots pompeux.

      — Est-ce là ce que vous m'aviez promis, Lucien? dit-elle en finissant. Ne mettez pas dans un présent si doux des remords qui plus tard empoisonneraient ma vie. Ne gâtez pas l'avenir! Et je le dis avec orgueil, ne gâtez pas le présent! N'avez-vous pas tout mon cœur? Que vous faut-il donc? votre amour se laisserait-il influencer par les sens, tandis que le plus beau privilége d'une femme aimée est de leur imposer silence? Pour qui me prenez-vous donc? ne suis-je donc plus votre Béatrix? Si je ne suis pas pour vous quelque chose de plus qu'une femme, je suis moins qu'une femme.

      — Vous ne diriez pas autre chose à un homme que vous n'aimeriez pas, s'écria Lucien furieux.

      — Si vous ne sentez pas tout ce qu'il y a de véritable amour dans mes idées, vous ne serez jamais digne de moi.

      — Vous mettez mon amour en doute pour vous dispenser d'y répondre, dit Lucien en se jetant à ses pieds et pleurant.

      Le pauvre garçon pleura sérieusement en se voyant pour si longtemps à la porte du paradis. Ce fut des larmes de poète qui se croyait humilié dans sa puissance, des larmes d'enfant au désespoir de se voir refuser le jouet qu'il demande.

      — Vous ne m'avez jamais aimé, s'écria-t-il.

      — Vous ne croyez pas ce que vous dites, répondit-elle flattée de cette violence.

      — Prouvez-moi donc que vous êtes à moi, dit Lucien échevelé.

      En ce moment, Stanislas arriva sans être entendu, vit Lucien à demi renversé, les larmes aux yeux et la tête appuyée sur les genoux de Louise. Satisfait de ce tableau suffisamment suspect, Stanislas se replia brusquement sur du Châtelet, qui se tenait à la porte du salon. Madame de Bargeton s'élança vivement, mais elle n'atteignit pas les deux espions, qui s'étaient précipitamment retirés comme des gens importuns.

      — Qui donc est venu? demanda-t-elle à ses gens.

      — Messieurs de Chandour et du Châtelet, répondit Gentil, son vieux valet de Chambre.

      Elle rentra dans son boudoir pâle et tremblant.

      — S'ils vous ont vu ainsi, je suis perdue, dit-elle à Lucien.

      — Tant mieux! s'écria le poète.

      Elle sourit à ce cri d'égoïsme plein d'amour. En province, une semblable aventure s'aggrave par la manière dont elle se raconte. En un moment, chacun sut que Lucien avait été surpris aux genoux de Naïs. Monsieur de Chandour, heureux de l'importance que lui donnait cette affaire, alla d'abord raconter le grand événement au Cercle, puis de maison en maison. Du Châtelet s'empressa de dire partout qu'il n'avait rien vu; mais en se mettant ainsi en dehors du fait, il excitait Stanislas à parler, il lui faisait enchérir sur les détails; et Stanislas, se trouvant spirituel, en ajoutait de nouveaux à chaque récit. Le soir, la société afflua chez Amélie; car le soir les versions les plus exagérées circulaient dans l'Angoulême noble, où chaque narrateur avait imité Stanislas. Femmes et hommes étaient impatients de connaître la vérité. Les femmes qui se voilaient la face en criant le plus au scandale, à la perversité, étaient précisément Amélie, Zéphirine, Fifine, Lolotte, qui toutes étaient plus ou moins grevées de bonheurs illicites. Le cruel thème se variait sur tous les tons.

      — Eh! bien, disait l'une, cette pauvre Naïs, vous savez? Moi, je ne le crois pas, elle a devant elle toute une vie irréprochable; elle est beaucoup trop fière pour être autre chose que la protectrice de monsieur Chardon. Mais si cela est, je la plains de tout mon cœur.

      — Elle est d'autant plus à plaindre, qu'elle se donne un ridicule affreux; car elle pourrait être la mère de monsieur Lulu, comme l'appelait Jacques. Ce poétriau a tout au plus vingt-deux ans, et Naïs, entre nous soit dit, a bien quarante ans.

      — Moi, disait Châtelet, je trouve que la situation même dans laquelle était monsieur de Rubempré prouve l'innocence de Naïs. On ne se met pas à genoux pour redemander ce qu'on a déjà eu.

      — C'est selon! dit Francis d'un air égrillard qui lui valut de Zéphirine une œillade improbative.

      — Mais dites-nous donc bien ce qui en est? demandait-on à Stanislas en se formant en comité secret dans un coin du salon.

      Stanislas avait fini par composer un petit conte plein de gravelures, et l'accompagnait de gestes et de poses qui incriminaient prodigieusement la chose.

      — C'est incroyable, répétait-on.

      — A midi, disait l'une.

      — Naïs aurait été la dernière que j'eusse soupçonnée.

      — Que va-t-elle faire?

      Puis des commentaires, des suppositions infinies!.. Du Châtelet défendait madame de Bargeton; mais il la défendait si maladroitement qu'il attisait le feu du commérage au lieu de l'éteindre. Lili, désolée de la chute du plus bel ange de l'olympe angoumoisin, alla tout en pleurs colporter la nouvelle à l'Évêché. Quand la ville entière fut bien certainement en rumeur, l'heureux du Châtelet alla chez madame de Bargeton, où il n'y avait, hélas! qu'une seule table de whist; il demanda diplomatiquement à Naïs d'aller causer avec elle dans son boudoir. Tous deux s'assirent sur le petit canapé.

      — Vous savez sans doute, dit du Châtelet à voix basse, ce dont tout Angoulême s'occupe?..

      — Non, dit-elle.

      — Eh! bien, reprit-il, je suis trop votre ami pour vous le laisser ignorer. Je dois vous mettre à même de faire cesser des calomnies sans doute inventées par Amélie, qui a l'outrecuidance de se croire votre rivale. Je venais ce matin vous voir avec ce singe

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