La Comédie humaine - Volume 08. Scènes de la vie de Province - Tome 04. Honore de Balzac

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La Comédie humaine - Volume 08. Scènes de la vie de Province - Tome 04 - Honore de Balzac

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sans que personne y trouve à redire.

      Louise expliqua les lois du monde à Lucien, qui ouvrit de grands yeux. Sans savoir que les femmes qui reviennent sur leurs folies reviennent sur leur amour, il comprit qu'il n'était plus le Lucien d'Angoulême. Louise ne lui parlait que d'elle, de ses intérêts, de sa réputation, du monde; et pour excuser son égoïsme, elle essayait de lui faire croire qu'il s'agissait de lui-même. Il n'avait aucun droit sur Louise, si promptement redevenue madame de Bargeton, et, chose plus grave! il n'avait aucun pouvoir. Aussi ne put-il retenir de grosses larmes qui roulèrent dans ses yeux.

      — Si je suis votre gloire, vous êtes encore plus pour moi, vous êtes ma seule espérance et tout mon avenir. J'ai compris que si vous épousiez mes succès, vous deviez épouser mon infortune, et voilà que déjà nous nous séparons.

      — Vous jugez ma conduite, dit-elle, vous ne m'aimez pas. Lucien la regarda avec une expression si douloureuse qu'elle ne put s'empêcher de lui dire: — Cher petit, je resterai si tu veux, nous nous perdrons et resterons sans appui. Mais quand nous serons également misérables et tous deux repoussés; quand l'insuccès, car il faut tout prévoir, nous aura rejetés à l'Escarbas, souviens-toi, mon amour, que j'aurai prévu cette fin, et que je t'aurai proposé d'abord de parvenir selon les lois du monde en leur obéissant.

      — Louise, répondit-il en l'embrassant, je suis effrayé de te voir si sage. Songe que je suis un enfant, que je me suis abandonné tout entier à ta chère volonté. Moi, je voulais triompher des hommes et des choses de vive force; mais si je puis arriver plus promptement par ton aide que seul, je serai bien heureux de te devoir toutes mes fortunes. Pardonne! j'ai trop mis en toi pour ne pas tout craindre. Pour moi, une séparation est l'avant-coureur de l'abandon; et l'abandon, c'est la mort.

      — Mais, cher enfant, le monde te demande peu de chose, répondit-elle. Il s'agit seulement de coucher ici, et tu demeureras tout le jour chez moi sans qu'on y trouve à redire.

      Quelques caresses achevèrent de calmer Lucien. Une heure après, Gentil apporta un mot par lequel Châtelet apprenait à madame de Bargeton qu'il lui avait trouvé un appartement rue Neuve-du-Luxembourg. Elle se fit expliquer la situation de cette rue, qui n'était pas très-éloignée de la rue de l'Échelle, et dit à Lucien: — Nous sommes voisins. Deux heures après, Louise monta dans une voiture que lui envoyait du Châtelet pour se rendre chez elle. L'appartement, un de ceux où les tapissiers mettent des meubles et qu'ils louent à de riches députés ou à de grands personnages venus pour peu de temps à Paris, était somptueux, mais incommode. Lucien retourna sur les onze heures à son petit hôtel du Gaillard-Bois, n'ayant encore vu de Paris que la partie de la rue Saint-Honoré qui se trouve entre la rue Neuve-du-Luxembourg et la rue de l'Échelle. Il se coucha dans sa misérable petite chambre, qu'il ne put s'empêcher de comparer au magnifique appartement de Louise. Au moment où il sortit de chez madame de Bargeton, le baron Châtelet y arriva, revenant de chez le Ministre des Affaires Étrangères, dans la splendeur d'une mise de bal. Il venait rendre compte de toutes les conventions qu'il avait faites pour madame de Bargeton. Louise était inquiète, ce luxe l'épouvantait. Les mœurs de la province avaient fini par réagir sur elle, elle était devenue méticuleuse dans ses comptes; elle avait tant d'ordre, qu'à Paris, elle allait passer pour avare. Elle avait emporté près de vingt mille francs en un bon du Receveur-Général, en destinant cette somme à couvrir l'excédant de ses dépenses pendant quatre années; elle craignait déjà de ne pas avoir assez et de faire des dettes. Châtelet lui apprit que son appartement ne lui coûtait que six cents francs par mois.

      — Une misère, dit-il en voyant le haut-le-corps que fit Naïs. — Vous avez à vos ordres une voiture pour cinq cents francs par mois, ce qui fait en tout cinquante louis. Vous n'aurez plus qu'à penser à votre toilette. Une femme qui voit le grand monde ne saurait s'arranger autrement. Si vous voulez faire de monsieur de Bargeton un Receveur-Général, ou lui obtenir une place dans la maison du Roi, vous ne devez pas avoir un air misérable. Ici l'on ne donne qu'aux riches. Il est fort heureux, dit-il, que vous ayez Gentil pour vous accompagner, et Albertine pour vous habiller, car les domestiques sont une ruine à Paris. Vous mangerez rarement chez vous, lancée comme vous allez l'être.

      Madame de Bargeton et le baron causèrent de Paris. Du Châtelet raconta les nouvelles du jour, les mille riens qu'on doit savoir sous peine de ne pas être de Paris. Il donna bientôt à Naïs des conseils sur les magasins où elle devait se fournir: il lui indiqua Herbault pour les toques, Juliette pour les chapeaux et les bonnets; il lui donna l'adresse de la couturière qui pouvait remplacer Victorine; enfin il lui fit sentir la nécessité de se désangoulêmer. Puis il partit sur le dernier trait d'esprit qu'il eut le bonheur de trouver.

      — Demain, dit-il négligemment, j'aurai sans doute une loge à quelque spectacle, je viendrai vous prendre vous et monsieur de Rubempré, car vous me permettrez de vous faire à vous deux les honneurs de Paris.

      — Il a dans le caractère plus de générosité que je ne le pensais, se dit madame de Bargeton en lui voyant inviter Lucien.

      Au mois de juin, les Ministres ne savent que faire de leurs loges aux théâtres: les Députés ministériels et leurs commettants font leurs vendanges ou veillent à leurs moissons, leurs connaissances les plus exigeantes sont à la campagne ou en voyage; aussi, vers cette époque, les plus belles loges des théâtres de Paris reçoivent-elles des hôtes hétéroclites que les habitués ne revoient plus et qui donnent au public l'air d'une tapisserie usée. Du Châtelet avait déjà pensé que, grâce à cette circonstance, il pourrait, sans dépenser beaucoup d'argent, procurer à Naïs les amusements qui affriandent le plus les provinciaux. Le lendemain, pour la première fois qu'il venait, Lucien ne trouva pas Louise. Madame de Bargeton était sortie pour quelques emplettes indispensables. Elle était allée tenir conseil avec les graves et illustres autorités en matière de toilette féminine que Châtelet lui avait citées, car elle avait écrit son arrivée à la marquise d'Espard. Quoique madame de Bargeton eût en elle-même cette confiance que donne une longue domination, elle avait singulièrement peur de paraître provinciale. Elle avait assez de tact pour savoir combien les relations entre femmes dépendent des premières impressions; et, quoiqu'elle se sût de force à se mettre promptement au niveau des femmes supérieures comme madame d'Espard, elle sentait avoir besoin de bienveillance à son début, et voulait surtout ne manquer d'aucun élément de succès. Aussi sut-elle à Châtelet un gré infini de lui avoir indiqué les moyens de se mettre à l'unisson du beau monde parisien. Par un singulier hasard, la marquise se trouvait dans une situation à être enchantée de rendre service à une personne de la famille de son mari. Sans cause apparente, le marquis d'Espard s'était retiré du monde; il ne s'occupait ni de ses affaires, ni des affaires politiques, ni de sa famille, ni de sa femme. Devenue ainsi maîtresse d'elle-même, la marquise sentait le besoin d'être approuvée par le monde; elle était donc heureuse de remplacer le marquis en cette circonstance en se faisant la protectrice de sa famille. Elle allait mettre de l'ostentation à son patronage afin de rendre les torts de son mari plus évidents. Dans la journée même, elle écrivit à madame de Bargeton, née Nègrepelisse, un de ces charmants billets où la forme est si jolie, qu'il faut bien du temps avant d'y reconnaître le manque de fond:

      «Elle était heureuse d'une circonstance qui rapprochait de la famille une personne de qui elle avait entendu parler, et qu'elle souhaitait connaître, car les amitiés de Paris n'étaient pas si solides qu'elle ne désirât avoir quelqu'un de plus à aimer sur la terre; et si cela ne devait pas avoir lieu, ce ne serait qu'une illusion à ensevelir avec les autres. Elle se mettait tout entière à la disposition de sa cousine, qu'elle serait allée voir sans une indisposition qui la retenait chez elle; mais elle se regardait déjà comme son obligée de ce qu'elle eût songé à elle.»

      Pendant sa première promenade vagabonde à travers les Boulevards et la rue de la Paix, Lucien, comme tous les nouveaux venus, s'occupa beaucoup plus des choses que des personnes.

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