David Copperfield – Tome II. Чарльз Диккенс
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«Le plus grand inconvénient de leur présence chez nous, dit Agnès, c'est que je ne puis pas être aussi souvent avec papa que je le voudrais, car Uriah Heep est constamment entre nous. Je ne puis donc pas veiller sur lui, si ce n'est pas une expression un peu hardie, d'aussi près que je le désirerais. Mais, si on emploie envers lui la fraude ou la trahison, j'espère que mon affection fidèle finira toujours par en triompher. J'espère que la véritable affection d'une fille vigilante et dévouée est plus forte, au bout du compte, que tous les dangers du monde.»
Ce sourire lumineux que je n'ai jamais vu sur aucun autre visage disparut alors du sien, au moment où j'en admirais la douceur et où je me rappelais le bonheur que j'avais autrefois à le voir, et elle me demanda avec un changement marqué de physionomie, quand nous approchâmes de la rue que j'habitais, si je savais comment les revers de fortune de ma tante lui étaient arrivés. Sur ma réponse négative, Agnès devint pensive, et il me sembla que je sentais trembler le bras qui reposait sur le mien.
Nous trouvâmes ma tante toute seule et un peu agitée. Il s'était élevé entre elle et mistress Crupp une discussion sur une question abstraite (la convenance de la résidence du beau sexe dans un appartement de garçon), et ma tante, sans s'inquiéter des spasmes de mistress Crupp, avait coupé court à la dispute en déclarant à cette dame qu'elle sentait l'eau-de-vie, qu'elle me volait et qu'elle eût à sortir à l'instant. Mistress Crupp, regardant ces deux expressions comme injurieuses, avait annoncé son intention d'en appeler au «Jurique anglais,» voulant parler, à ce qu'on pouvait croire, du boulevard de nos libertés nationales.
Cependant ma tante ayant eu le temps de se remettre, pendant que Peggotty était sortie pour montrer à M. Dick les gardes à cheval, et, de plus, enchantée de voir Agnès, ne pensait plus à sa querelle que pour tirer une certaine vanité de la manière dont elle en était sortie à son honneur; aussi nous reçut-elle de la meilleure humeur possible. Quand Agnès eut posé son chapeau sur la table et se fut assise près d'elle, je ne pus m'empêcher de me dire, en regardant son front radieux et ses yeux sereins, qu'elle me semblait là à sa place; qu'elle y devrait toujours être; que ma tante avait en elle, malgré sa jeunesse et son peu d'expérience, une confiance entière. Ah! elle avait bien raison de compter pour sa force sur sa simple affection, dévouée et fidèle.
Nous nous mîmes à causer des affaires de ma tante, à laquelle je dis la démarche inutile que j'avais faite le matin même.
«Ce n'était pas judicieux, Trot, mais l'intention était bonne. Vous êtes un brave enfant, je crois que je devrais dire plutôt à présent un brave jeune homme, et je suis fière de vous, mon ami. Il n'y a rien à dire, jusqu'à présent. Maintenant, Trot et Agnès, regardons en face la situation de Betsy Trotwood, et voyons où elle en est.»
Je vis Agnès pâlir, en regardant attentivement ma tante. Ma tante ne regardait pas moins attentivement Agnès, tout en caressant son chat.
«Betsy Trotwood, dit ma tante, qui avait toujours gardé pour elle ses affaires d'argent, je ne parle pas de votre soeur, Trot, mais de moi, avait une certaine fortune. Peu importe ce qu'elle avait, c'était assez pour vivre: un peu plus même, car elle avait fait quelques économies, qu'elle ajoutait au capital. Betsy plaça sa fortune en rentes pendant quelque temps, puis, sur l'avis de son homme d'affaires, elle le plaça sur hypothèque. Cela allait très- bien, le revenu était considérable, mais on purgea les hypothèques et on remboursa Betsy. Ne trouvez-vous pas, quand je parle de Betsy, qu'on croirait entendre raconter l'histoire d'un vaisseau de guerre? Si bien donc que Betsy, obligée de chercher un autre placement, se figura qu'elle était plus habile cette fois que son homme d'affaires, qui n'était plus si avisé que par le passé… Je parle de votre père, Agnès, et elle se mit dans la tête de gérer sa petite fortune toute seule. Elle mena donc, comme on dit, ses cochons bien loin au marché, dit ma tante, et elle n'en fut pas la bonne marchande. D'abord elle fit des pertes dans les mines, puis dans des pêcheries particulières où il s'agissait d'aller chercher dans la mer les trésors perdus ou quelque autre folie de ce genre, continua-t-elle, par manière d'explication, en se frottant le nez, puis elle perdit encore dans les mines, et, à la fin des fins, elle perdit dans une banque. Je ne sais ce que valaient les actions de cette banque, pendant un temps, dit ma tante, cent pour cent au moins, je crois; mais la banque était à l'autre bout du monde, et s'est évanouie dans l'espace, à ce que je crois; en tout cas, elle a fait faillite et ne payera jamais un sou; or tous les sous de Betsy étaient là, et les voilà finis. Ce qu'il y a de mieux à faire, c'est de n'en plus parler!»
Ma tante termina ce récit sommaire et philosophique en regardant avec un certain air de triomphe Agnès, qui reprenait peu à peu ses couleurs.
«Est-ce là toute l'histoire, chère miss Trotwood? dit Agnès.
– J'espère que c'est bien suffisant, ma chère, dit ma tante. S'il y avait eu plus d'argent à perdre, ce ne serait pas tout peut- être. Betsy aurait trouvé moyen d'envoyer cet argent-là rejoindre le reste, et de faire un nouveau chapitre à cette histoire, je n'en doute pas. Mais il n'y avait plus d'argent, et l'histoire finit là.»
Agnès avait écouté d'abord sans respirer. Elle pâlissait et rougissait encore, mais elle avait le coeur plus léger. Je croyais savoir pourquoi. Elle avait craint, sans doute, que son malheureux père ne fût pour quelque chose dans ce revers de fortune. Ma tante prit sa main entre les siennes et se mit à rire.
«Est-ce tout? répéta ma tante; mais oui, vraiment, c'est tout, à moins qu'on n'ajoute comme à la fin d'un conte: «Et depuis ce temps-là, elle vécut toujours heureuse.» Peut-être dira-t-on cela de Betsy un de ces jours. Maintenant, Agnès, vous avez une bonne tête: vous aussi, sous quelques rapports, Trot, quoique je ne puisse pas vous faire toujours ce compliment.» Là-dessus ma tante secoua la tête avec l'énergie qui lui était propre. «Que faut-il faire? Ma maison pourra rapporter l'un dans l'autre soixante-dix livres sterling par an. Je crois que nous pouvons compter là- dessus d'une manière positive. Eh bien! c'est tout ce que nous avons, a dit ma tante, qui était, révérence gardée, comme certains chevaux qu'on voit s'arrêter tout court, au moment où ils ont l'air de prendre le mors aux dents.
«De plus, dit-elle, après un moment de silence, il y a Dick. Il a mille livres sterling par an, mais il va sans dire qu'il faut que ce soit réservé pour sa dépense personnelle. J'aimerais mieux le renvoyer, quoique je sache bien que je suis la seule personne qui l'apprécie, plutôt que de le garder, à la condition de ne pas dépenser son argent pour lui jusqu'au dernier sou. Comment ferons- nous, Trot et moi, pour nous tirer d'affaire avec nos ressources? Qu'en dites-vous, Agnès?
– Je dis, ma tante, devançant la réponse d'Agnès, qu'il faut que je fasse quelque chose.
– Vous enrôler comme soldat, n'est-ce pas? repartit ma tante alarmée, ou entrer dans la marine? Je ne veux pas entendre parler de cela. Vous serez procureur. Je ne veux pas de tête cassée dans la famille, avec votre permission, monsieur.»
J'allais expliquer que je ne tenais pas à introduire le premier dans la famille ce procédé simplifié de se tirer d'affaire, quand Agnès me demanda si j'avais un long bail pour mon appartement.
«Vous touchez au coeur de la question, ma chère, dit ma tante; nous avons l'appartement sur les bras pour six mois, à moins qu'on ne pût le sous-louer, ce que je ne crois pas. Le dernier occupant est mort ici, et il mourrait bien cinq locataires sur six, rien que de demeurer sous le même toit que cette femme en nankin, avec son jupon de flanelle. J'ai un peu d'argent comptant, et je crois, comme vous, que ce qu'il y a de mieux à faire est de finir le terme ici, en louant tout près une chambre à coucher pour Dick.»