David Copperfield – Tome II. Чарльз Диккенс
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Ma tante ne dormait pas non plus: je l'entendais qui se promenait en long et en large. Deux ou trois fois pendant la nuit, elle apparut dans ma chambre comme une âme en peine, revêtue d'un long peignoir de flanelle qui lui donnait l'air d'avoir six pieds, et elle s'approcha du canapé sur lequel j'étais couché. La première fois, je bondis avec effroi, à la nouvelle qu'elle avait tout lieu de croire, d'après la lueur qui apparaissait dans le ciel, que l'abbaye de Westminster était en feu. Elle voulait savoir si les flammes ne pouvaient pas arriver jusqu'à Buckingham-Street dans le cas où le vent changerait. Lorsqu'elle reparut plus tard, je ne bougeai pas, mais elle s'assit près de moi en disant tout bas: «Pauvre garçon!» et je me sentis plus malheureux encore en voyant combien elle pensait peu à elle-même pour s'occuper de moi, tandis que moi, j'étais absorbé comme un égoïste, dans mes propres soucis.
J'avais quelque peine à croire qu'une nuit qui me semblait si longue pût être courte pour personne. Aussi je me mis à penser à un bal imaginaire où les invités passaient la nuit à danser: puis tout cela devint un rêve, et j'entendais les musiciens qui jouaient toujours le même air, pendant que je voyais Dora danser toujours le même pas sans faire la moindre attention à moi. L'homme qui avait joué de la harpe toute la nuit essayait en vain de recouvrir son instrument avec un bonnet de coton d'une taille ordinaire, au moment où je me réveillai, ou plutôt au moment où je renonçai à essayer de m'endormir, en voyant le soleil briller enfin à ma fenêtre.
Il y avait alors au bas d'une des rues attenant au Strand d'anciens bains romains (ils y sont peut-être encore) où j'avais l'habitude d'aller me plonger dans l'eau froide. Je m'habillai le plus doucement qu'il me fut possible, et, laissant à Peggotty le soin de s'occuper de ma tante, j'allai me précipiter dans l'eau la tête la première, puis je pris le chemin de Hampstead. J'espérais que ce traitement énergique me rafraîchirait un peu l'esprit, et je crois réellement que j'en éprouvai quelque bien, car je ne tardai pas à décider que la première chose à faire était de voir si je ne pouvais pu faire résilier mon traité avec M. Spenlow et recouvrer la somme convenue. Je déjeunai à Hampstead, puis je repris le chemin de la Cour, à travers les routes encore humides de rosée, au milieu du doux parfum des fleurs qui croissaient dans les jardins environnants ou qui passaient dans des paniers sur la tête des jardiniers, ne songeant à rien autre chose qu'à tenter ce premier effort, pour faire face au changement survenu dans notre position.
J'arrivai pourtant de si bonne heure à l'étude que j'eus le temps de me promener une heure dans les cours, avant que le vieux Tiffey, qui était toujours le premier à son poste, apparût enfin avec sa clef. Alors je m'assis dans mon coin, à l'ombre, à regarder le reflet du soleil sur les tuyaux de cheminée d'en face, et à penser à Dora, quand M. Spenlow entra frais et dispos.
«Comment allez-vous, Copperfield! me dit-il. Quelle belle matinée!
– Charmante matinée, monsieur! repartis-je. Pourrais-je vous dire un mot avant que vous vous rendiez à la Cour?
– Certainement, dit-il, venez dans mon cabinet.»
Je le suivis dans son cabinet, où il commença par mettre sa robe, et se regarder dans un petit miroir accroché derrière la porte d'une armoire.
«Je suis fâché d'avoir à vous apprendre, lui dis-je, que j'ai reçu de mauvaises nouvelles de ma tante!
– Vraiment! dit-il, j'en suis bien fâché; ce n'est pas une attaque de paralysie, j'espère?
– Il ne s'agit pas de sa santé, monsieur, répliquai-je. Elle a fait de grandes pertes, ou plutôt il ne lui reste presque plus rien.
– Vous m'é… ton… nez, Copperfield!» s'écria M. Spenlow.
Je secouai la tête.
«Sa situation est tellement changée, monsieur, que je voulais vous demander s'il ne serait pas possible… en sacrifiant une partie de la somme payée pour mon admission ici, bien entendu (je n'avais point médité cette offre généreuse, mais je l'improvisai en voyant l'expression d'effroi qui se peignait sur sa physionomie)… s'il ne serait pas possible d'annuler les arrangements que nous avions pris ensemble.»
Personne ne peut s'imaginer tout ce qu'il m'en coûtait de faire cette proposition. C'était demander comme une grâce qu'on me déportât loin de Dora.
«Annuler nos arrangements, Copperfield! annuler!»
J'expliquai avec une certaine fermeté que j'étais aux expédients, que je ne savais comment subsister, si je n'y pourvoyais pas moi- même, que je ne craignais rien pour l'avenir, et j'appuyai là- dessus pour prouver que je serais un jour un gendre fort à rechercher, mais que, pour le moment, j'en étais réduit à me tirer d'affaire tout seul.
«Je suis bien fâché de ce que vous me dites là, Copperfield, répondit M. Spenlow; extrêmement fâché. Ce n'est pas l'habitude d'annuler une convention pour des raisons semblables. Ce n'est pas ainsi qu'on procède en affaires. Ce serait un très-mauvais précédent… Pourtant.
– Vous êtes bien bon, monsieur, murmurai-je, dans l'attente d'une concession.
– Pas du tout, ne vous y trompez pas, continua M. Spenlow; j'allais vous dire que, si j'avais les mains libres, si je n'avais pas un associé, M. Jorkins!..»
Mes espérances s'écroulèrent à l'instant: je fis pourtant encore un effort.
«Croyez-vous, monsieur que si je m'adressais à M. Jorkins…?»
M. Spenlow secoua la tête d'un air découragé, «Le ciel me préserve, Copperfield, dit-il, d'être injuste envers personne, surtout envers M. Jorkins. Mais je connais mon associé, Copperfield. M. Jorkins n'est pas homme à accueillir une proposition si insolite. M. Jorkins ne connaît que les traditions reçues: il ne déroge point aux usages. Vous le connaissez!»
Je ne le connaissais pas du tout. Je savais seulement que M. Jorkins avait été autrefois l'unique patron de céans, et qu'à présent il vivait seul dans une maison tout près de Montagu- Square, qui avait terriblement besoin d'un coup de badigeon; qu'il arrivait au bureau très-tard, et partait de très-bonne heure; qu'on n'avait jamais l'air de le consulter sur quoi que ce fût; qu'il avait un petit cabinet sombre pour lui tout seul au premier; qu'on n'y faisait jamais d'affaires, et qu'il y avait sur son bureau un vieux cahier de papier buvard, jauni par l'âge, mais sans une tâche d'encre, et qui avait la réputation d'être là depuis vingt ans.
«Auriez-vous quelque objection à ce que je parlasse de mon affaire à M. Jorkins? demandai-je.
– Pas le moins du monde, dit M. Spenlow. Mais j'ai quelque expérience de Jorkins, Copperfield. Je voudrais qu'il en fût autrement, car je serais heureux de faire ce que vous désirez. Je n'ai pas la moindre objection à ce que vous en parliez à M. Jorkins, Copperfield, si vous croyez que ce soit la peine.»
Profitant de sa permission qu'il accompagna d'une bonne poignée de main, je restai dans mon coin, à penser à Dora, et à regarder le soleil qui quittait les tuyaux des cheminées pour