Gabriel. Жорж Санд
Чтение книги онлайн.
Читать онлайн книгу Gabriel - Жорж Санд страница 5
Gabriel, vous avez raison; mais, pour l'amour du ciel, soyez moins tranchant et moins hardi en présence de votre aïeul.
Tenez, l'abbé, j'ai meilleure opinion de mon grand-père; je voudrais qu'il m'entendît. Peut-être sa présence va m'intimider; je serais bien aise pourtant qu'il put lire dans mon âme, et voir qu'il se trompe, depuis deux ans, en m'envoyant toujours des jouets d'enfant.
Je le répète, vous ne pouvez comprendre encore quelle a été sa tendresse pour vous. Ne soyez point ingrat envers le ciel; vous pouviez naître déshérité de tous ces biens dont la fortune vous a comblé, de tout cet amour qui veille sur vous mystérieusement et assidûment…
Sans doute je pouvais naître femme, et alors adieu la fortune et l'amour de mes parents! J'eusse été une créature maudite, et, à l'heure qu'il est, j'expierais sans doute au fond d'un cloître le crime de ma naissance. Mais ce n'est pas mon grand-père qui m'a fait la grâce et l'honneur d'appartenir à la race mâle.
Gabriel, vous ne savez pas de quoi vous parlez.
Il serait plaisant que j'eusse à remercier mon grand-père de ce que je suis son petit-fils! C'est à lui plutôt de me remercier d'être né tel qu'il me souhaitait; car il haïssait… du moins il n'aimait pas son fils Octave, et il eût été mortifié de laisser son titre aux enfants de celui-ci. Oh! j'ai compris depuis longtemps malgré vous: vous n'êtes pas un grand diplomate, mon bon abbé; vous êtes trop honnête homme pour cela…
Gabriel, je vous conjure…
Tenez! pour le coup, le prince est éveillé. Je vais le voir enfin, je vais savoir ses desseins; je veux entrer chez lui.
SCÈNE IV
Le vieillard est irrité, l'enfant en pleine révolte, moi couvert de confusion. Le vieux Jules est vindicatif, et la vengeance est si facile aux hommes puissants! Pourtant son humeur bizarre et ses décisions imprévues peuvent me faire tout à coup un mérite de ce qui est maintenant lui semble une faute. Puis, il est homme d'esprit avant tout, et l'intelligence lui tient lieu de justice; il comprendra que toute la faute est à lui, et que son système bizarre ne pouvait amener que de bizarres résultats. Mais quelle guêpe furieuse a donc piqué aujourd'hui la langue de mon élève? je ne l'avais jamais vu ainsi. Je me perdrais en de vaines prévisions sur l'avenir de cette étrange créature: son avenir est insaisissable comme la nature de son esprit… Pouvais-je donc être un magicien plus savant que la nature, et détruire l'oeuvre divine dans un cerveau humain? Je l'eusse pu peut-être par le mensonge et la corruption; mais cet enfant l'a dit, j'étais trop honnête pour remplir dignement la tâche difficile dont j'étais chargé. Je n'ai pu lui cacher la véritable moralité des faits, et ce qui devait servir à fausser son jugement n'a servi qu'à le diriger…
On parle haut… la voix du vieillard est âpre et sèche, celle de l'enfant tremblante de colère… Quoi! il ose braver celui que nul n'a bravé impunément! O Dieu! fais qu'il ne devienne pas un objet de haine pour cet homme impitoyable!
Le vieillard menace, l'enfant résiste… Cet enfant est noble et généreux; oui, c'est une belle âme, et il aurait fallu la corrompre et l'avilir, car le besoin de justice et de sincérité sera son supplice dans la situation impossible où on le jette. Hélas! ambition, tourment des princes, quels infâmes conseils ne leur donnes-tu pas, et quelles consolations ne peux-tu pas leur donner aussi!.. Oui, l'ambition, la vanité, peuvent l'emporter dans l'âme de Gabriel, et le fortifier contre le désespoir…
Le prince parle avec véhémence… Il vient par ici… Affronterai-je sa colère?.. Oui, pour en préserver Gabriel… Faites, ô Dieu, qu'elle retombe sur moi seul… L'orage semble se calmer; c'est maintenant Gabriel qui parle avec assurance… Gabriel! étrange et malheureuse créature, unique sur la terre!.. mon ouvrage, c'est-à-dire mon orgueil et mon remords!.. mon supplice aussi! O Dieu! vous seul savez quels tourments j'endure depuis deux ans… Vieillard insensé! toi qui n'as jamais senti battre ton coeur que pour la vile chimère de la fausse gloire, tu n'as pas soupçonné ce que je pouvais souffrir, moi! Dieu, vous m'avez donné une grande force, je vous remercie de ce que mon épreuve est finie. Me punirez-vous pour l'avoir acceptée? Non! car à ma place un autre peut-être en eût odieusement abusé… et j'ai du moins préservé tant que je l'ai pu l'être que je ne pouvais pas sauver.
SCÈNE V
Laissez-moi, j'en ai assez entendu; pas un mot de plus, ou j'attente à ma vie. Oui, c'est le châtiment que je devrais vous infliger pour ruiner les folles espérances de votre haine insatiable et de votre orgueil insensé.
Mon cher enfant, au nom du ciel, modérez-vous… Songez à qui vous parlez.
Je parle à celui dont je suis à jamais l'esclave et la victime! O honte! honte et malédiction sur le jour où je suis né!
La concupiscence parle-t-elle déjà tellement à vos sens que l'idée d'une éternelle chasteté vous exaspère à ce point?
Tais-toi, vieillard! Tes lèvres vont se dessécher si tu prononces des mots dont tu ne comprends pas le sens auguste et sacré. Ne m'attribue pas des pensées qui n'ont jamais souillé mon âme. Tu m'as bien assez outragé en me rendant, au sortir du sein maternel, l'instrument de la haine, le complice de l'imposture et de la fraude. Fautil que je vive sous le poids d'un mensonge éternel, d'un vol que les lois puniraient avec la dernière ignominie!
Gabriel! Gabriel! vous parlez à votre aïeul!..
Laissez-le exprimer sa douleur et donner un libre cours à son exaltation. C'est un véritable accès de démence dont je n'ai pas à m'occuper. Je ne vous dis plus qu'un mot, Gabriel: entre le sort brillant d'un prince et l'éternelle captivité du cloître, choisissez! Vous êtes encore libre. Vous pouvez faire triompher mes ennemis, avilir le nom que vous portez, souiller la mémoire de ceux qui vous ont donné le jour, déshonorer mes cheveux blancs… Si telle est votre résolution, songez que l'infamie et