Le Piccinino. Жорж Санд
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Pier-Angelo pâlit. – Qui? qui? s'écria-t-il, le cardinal?
– Oui, le cardinal en personnelle paralytique dans sa grande boîte dorée. Ce doit être le fameux prince Ieromino, dont mon enfance a été si effrayée, et qui me paraissait d'autant plus terrible que je ne savais pas la cause de ma peur. Eh bien, cher père, je vous assure que s'il a encore l'intention de nuire, il ne lui en reste guère les moyens, car toutes les infirmités semblent s'être donné le mot pour l'accabler. Je vous raconterai notre entrevue; mais parlez-moi d'abord de ma sœur, et courons la surprendre.
– Non, non, Michel, le plus pressé c'est que tu me racontes comment tu as vu de si près le cardinal. Entrons dans ce fourré, je ne suis pas tranquille. Dis-moi, dis-moi vite!.. Il t'a parlé, dis-tu?.. Cela est donc certain, il parle?
– Rassurez-vous, père, il ne parle pas.
– Tu en es sûr? Tu me disais qu'il t'avait interrogé?
– J'ai été interrogé de sa part, à ce que je suppose; mais, comme j'observais tout avec sang-froid, et que l'espèce d'abbé qui lui sert de truchement est trop mince pour cacher tout l'intérieur de la chaise, j'ai fort bien vu que Son Éminence ne pouvait parler qu'avec les yeux. De plus, Son Éminence est affligée de surdité complète, car, lorsque j'ai fait savoir mon âge, qu'on me demandait, je ne sais trop pourquoi, j'ai vu l'abbé se pencher vers monseigneur et lui montrer deux fois de suite ses dix doigts, puis le pouce de sa main droite.
– Muet, impotent, et sourd par-dessus le marché! Je respire. Mais quel âge t'es-tu donc donné? vingt et un ans?
– Vous m'aviez recommandé de mentir dès que j'aurais mis le pied en Sicile?
– C'est bien, mon enfant, le ciel t'a assisté et inspiré en cette rencontre.
– Je le crois, mais j'en serais encore plus certain si vous me disiez comment le cardinal peut s'intéresser à ce que j'aie dix-huit ou vingt et un ans.
– Cela ne peut l'intéresser en aucune façon, dit Pier-Angelo en souriant. Mais je suis charmé que tu te sois souvenu de mes conseils et que tu aies acquis soudainement cette prudence dont je ne te croyais pas capable. Eh, dis-moi encore, l'abbé Ninfo, car c'était lui qui t'interrogeait, j'en suis sûr… il est fort laid?
– Il est affreux, louche, camard.
– C'est bien cela! Que t'a-t-il demandé encore? Ton nom, ton pays?
– Non, aucune autre question directe que celle de mon âge, et la manière brillante dont je lui ai répondu l'a tellement satisfait apparemment, qu'il m'a tourné le dos en me promettant la bénédiction de Son Éminence.
– Et Son Éminence ne te l'a pas donnée? elle n'a pas levé une main?
– L'abbé lui-même m'a dit, un peu plus tard, que Son Éminence était complètement privée de l'usage de ses membres.
– Quoi! cet homme t'a encore parlé? Il est revenu vers toi, ce suppôt d'enfer?
En parlant ainsi, Pier-Angelo se grattait la nuque, le seul endroit de sa tête où sa main agitée pût trouver des cheveux. C'était, chez lui, le signe d'une grande contention d'esprit.
IV.
MYSTÈRES
Quand Michel eut raconté, dans le plus petit détail, la fin de son aventure, et que Pier-Angelo eut admiré et approuvé son hypocrisie: «Ah çà! mon père, dit le jeune homme, expliquez-moi donc comment vous vivez ici, à visage découvert et sous votre véritable nom sans être tourmenté, tandis que moi je dois, en arrivant, user de feinte et me tenir sur mes gardes?»
Pier-Angelo parut hésiter un instant, puis répondit:
– Mais c'est tout simple, mon enfant! On m'a fait passer autrefois pour un conspirateur; j'ai été mis en prison, je n'ai peut-être échappé à la potence que par la fuite. Il y avait déjà un commencement d'instruction contre moi. Tout cela est oublié, et, quoique le cardinal ait dû, dans le temps, connaître mon nom et ma figure, il paraît que j'ai bien changé, ou que sa mémoire est fort affaiblie, car il m'a revu ici, et peut-être m'a-t-il entendu nommer, sans me reconnaître et sans se rien rappeler: c'est une épreuve que j'ai voulu faire. J'ai été mandé par l'abbé Ninfo pour travailler dans son palais; j'y ai été très-hardiment, après avoir pris mes mesures pour que Mila pût être en sûreté, au cas où l'on me jetterait en prison sans forme de procès. Le cardinal m'a vu et ne m'a pas reconnu. L'abbé Ninfo ne sait rien de moi; je suis donc, ou du moins j'étais tranquille pour mon propre compte, et j'allais justement t'engager à venir me voir, lorsqu'on a dit par la ville, depuis quelques jours, que la santé de Son Éminence était sensiblement améliorée, à tel point qu'elle allait passer quelque temps dans sa maison de campagne, tiens, là-bas, à Ficarazzi; on voit d'ici le palais, au revers de la colline.
– La villa que voici à deux pas de nous, et où je viens de voir entrer le cardinal, n'est donc pas sa propre résidence?
– Non, c'est celle de sa nièce, la princesse Agathe, et, sans doute, il a voulu faire un détour et lui rendre une visite comme en passant; mais cette visite-là me tourmente. Je sais qu'elle ne s'y attendait point, qu'elle n'avait rien préparé pour recevoir son oncle. Il aura voulu lui faire une surprise désagréable; car il ne peut pas ignorer qu'il n'a guère sujet d'être aimé d'elle. Je crains que cela ne cache quelque mauvais dessein. Dans tous les cas, cette activité subite de la part d'un homme qui, depuis un an, ne s'est promené que sur un fauteuil à roulettes, dans la galerie de son palais de ville, me donne à penser, et je dis qu'il faut faire attention à tout maintenant.
– Mais enfin, mon père, tout cela ne m'apprend pas quel danger je peux courir personnellement! J'avais à peine six mois, je crois, quand nous avons quitté la Sicile; je ne pense pas que je fusse impliqué dans la conspiration où vous vous êtes trouvé compromis?
– Non, certes; mais on observe les nouveaux-venus. Tout homme du peuple, jeune, intelligent et venant du dehors, est supposé dangereux, imbu des idées nouvelles. Il ne faudrait qu'un mot de toi, prononcé devant un espion ou extorqué par un agent provocateur, pour te faire mettre en prison, et quand j'irais t'y réclamer comme mon fils, ce serait pire, si, par hasard, le maudit cardinal était revenu à la santé et à l'exercice du pouvoir. Il pourrait se rappeler alors que j'ai été accusé autrefois; il nous appliquerait, en guise de sentence, le proverbe: Tel père, tel fils. Comprends-tu, maintenant?
– Oui, mon père, et je serai prudent. Comptez sur moi.
– Cela ne suffit pas. Il faut que je m'assure de l'état du cardinal. Je ne veux pas te faire entrer dans Catane sans savoir à quoi m'en tenir.
– Et que ferez-vous pour cela, mon père?
– Je me tiendrai caché ici avec toi jusqu'à ce que nous ayons vu le cardinal et sa livrée descendre vers Ficarazzi. Cela ne tardera pas. S'il est vrai qu'il soit sourd et muet, il ne fera pas de longue conversation avec sa nièce. Aussitôt que nous ne risquerons plus de le rencontrer, nous irons là, au palais de Palmarosa, où je travaille maintenant; je t'y cacherai dans un coin, et j'irai consulter la princesse.
– Cette princesse est donc dans vos intérêts?
– C'est ma plus puissante et ma plus généreuse cliente. Elle m'emploie beaucoup; et, grâce à elle, j'espère