Le Piccinino. Жорж Санд

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Le Piccinino - Жорж Санд

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une fois demandé du cœur et des jambes à ce bon vin. Trinque avec moi de nouveau, Michel! je suis si heureux de me trouver avec toi, que je me griserais si j'en avais le temps!

      – Moi aussi, mon père, je suis heureux; mais je le serai encore plus quand nous serons chez nous auprès de ma sœur. Je ne me sens pas aussi à l'aise que vous dans ce palais mystérieux: il me semble que j'y suis épié, ou que j'y effraie quelqu'un. Il y a ici un silence et un isolement qui ne me semblent pas naturels. On n'y marche pas, on ne s'y montre pas comme ailleurs. Nous y sommes furtivement, et c'est furtivement aussi qu'on nous y observe. Partout ailleurs je casserais une vitre pour regarder ce qu'il y a derrière ce rideau… et tout à l'heure, dans la galerie, j'ai eu une émotion terrible: j'ai été réveillé par un cri tel que je n'en ai jamais entendu de pareil.

      – Un cri, vraiment? comment se fait-il qu'étant peu éloigné, dans cette partie du palais, je n'aie rien entendu? Tu auras rêvé!

      – Non! non! je l'ai entendu deux fois; un cri faible, il est vrai, mais si nerveux et si étrange que le cœur me bat quand j'y songe.

      – Ah! voilà bien ton esprit romanesque! A la bonne heure, Michel, je te reconnais; cela me fait plaisir, car je craignais que tu ne fusses devenu trop raisonnable. Cependant je suis fâché pour ton aventure d'être forcé de te dire ce que j'en pense: c'est que la première femme de chambre de Son Altesse aura vu une araignée ou une souris, en passant dans un des couloirs qui longent le plafond de la grande galerie de peinture. Toutes les fois qu'elle voit une de ces bestioles, elle fait des cris affreux, et je me permets de me moquer d'elle.»

      Cette explication prosaïque contraria un peu le jeune artiste. Il entraîna son père, qui penchait à s'oublier à l'endroit du vin de Syracuse, et, une demi-heure après, il était dans les bras de sa sœur.

      Dès le lendemain, Michel-Ange Lavoratori était installé avec son père au palais de Palmarosa, pour y travailler assidûment le reste de la semaine. Il s'agissait de décorer une immense salle de bal construite en bois et en toile pour la circonstance, attenant au péristyle de cette belle villa, et ouvrant de tous côtés sur les jardins. Voici à propos de quoi la princesse, ordinairement très-retirée du monde, donnait cette fête splendide, à laquelle devaient prendre part tous les riches et nobles habitants de Catane et des villas environnantes.

      Tous les ans, la haute société de cette contrée se réunissait pour donner un bal par souscription au profit des pauvres, et chaque personnage, propriétaire d'un vaste local, soit à la ville, soit à la campagne, prêtait son palais et faisait même une partie des frais de la fête quand sa fortune le lui permettait.

      Quoique la princesse fût fort charitable, son goût pour la retraite lui avait fait différer d'offrir son palais; mais enfin son tour était venu; elle avait pris magnifiquement son parti en se chargeant de tous les frais du bal, tant pour le décor de la salle que pour le souper, la musique etc. Moyennant cette largesse, la somme des pauvres promettait d'être fort ronde, et la villa Palmarosa étant la plus belle résidence du pays, la réception étant organisée d'une manière splendide, cette fête devait être la plus éclatante qu'on eût encore vue.

      La maison était donc pleine d'ouvriers qui travaillaient depuis quinze jours à la salle du bal, sous la direction du majordome Barbagallo, homme très-entendu dans cette partie, et sous l'influence très-prépondérante de maître Pier-Angelo Lavoratori, dont le goût et l'habileté étaient avérés et fort prisés déjà dans tout le pays.

      Le premier jour, Michel, fidèle à sa parole et résigné à son sort, fit des guirlandes et des arabesques avec son père et les apprentis employés par lui; mais là se borna son épreuve; car, dès le lendemain, Pier-Angelo lui annonça que la princesse lui confiait le soin de peindre des figures allégoriques sur le plafond et les parois de toile de la salle. On lui laissait le choix et la dimension des sujets; on lui fournissait tous les matériaux; on l'invitait seulement à se dépêcher et à avoir confiance en lui-même. Cette œuvre ne demandait pas le soin et le fini d'une œuvre durable; mais elle ouvrait carrière à son imagination; et, quand il se vit en possession de ce vaste emplacement où il était libre de jeter ses fantaisies à pleines mains, il eut un instant de véritable transport, et il se retrouva plus enivré que jamais de sa destinée d'artiste.

      Ce qui acheva de l'enthousiasmer pour cette tâche, c'est que la princesse lui faisait savoir par son père que, si sa composition était seulement passable, elle lui serait comptée comme servant à l'acquittement de la somme prêtée pour lui à Pier-Angelo; mais que, si elle obtenait les éloges des connaisseurs, elle lui serait payée le double.

      Ainsi, Michel allait redevenir libre à coup sûr, et peut-être riche pour un an encore, s'il faisait preuve de talent.

      Une seule terreur, mais bien grande, vint refroidir sa joie: le jour du bal était fixé, et il n'était pas au pouvoir de la princesse de le reculer. Huit jours restaient, rien que huit jours! Pour un décorateur exercé c'en est assez, mais pour Michel, qui n'avait pas encore taillé en grand dans cette partie, et qui ne pouvait se défendre d'y porter un vif amour-propre, c'était si peu qu'il en avait une sueur froide rien que d'y songer.

      Heureusement pour lui, ayant travaillé dans son enfance avec son père, et l'ayant vu travailler mille fois depuis, les procédés de la détrempe lui étaient familiers, ainsi que la géométrie des ornements; mais, quand il voulut choisir ses sujets, il fut assailli par la surabondance de ses fantaisies, et la prodigalité de son imagination le mit à la torture. Il passa deux nuits à dessiner ses compositions, et tout le jour sur son échafaud pour les adapter au local. Il ne songea ni à dormir, ni à manger, ni même à renouer très-ample connaissance avec sa jeune sœur, tant qu'il ne fut pas fixé. Enfin, il arrêta son sujet et il s'en alla au milieu du parc, où sa toile de ciel, longue de cent palmes, était étendue dans le parvis d'une ancienne chapelle en ruines. Là, aidé de quelques bons apprentis, qui lui présentaient ses couleurs toutes prêtes, et marchant, pieds nus, sur son firmament mythologique, il demanda aux muses de donner à sa main tremblante l'expérience et la maestria nécessaires; puis, enfin, armé d'un pinceau gigantesque, qu'on eût bien pu qualifier de balai, il esquissa son Olympe et travailla avec tant de fougue et d'espérance, que, deux jours avant le bal, les toiles se trouvèrent prêtes à être mises en place.

      Il fallut encore assister à leur installation et refaire quelques parties endommagées nécessairement par cette opération. Enfin, il lui fallut aussi aider à son père, qui, ayant été retardé par lui, avait encore beaucoup de bordures de lambris et de corniches à rajuster.

      Ces huit jours passèrent comme un rêve pour Michel, et le peu d'instants de repos qu'il se permit lui parurent délicieux. La villa était admirable au dedans comme au dehors. Les jardins et le parc donnaient une idée du paradis terrestre. La nature est si féconde dans cette contrée, les fleurs si belles et si suaves, la végétation si splendide, les eaux si claires et si courantes, que l'art a bien peu de chose à faire pour créer des lieux de délices autour des palais. Ce n'est pas que, çà et là, des blocs de lave et des plaines de cendres n'offrent l'image de la désolation à côté de l'Élysée. Mais ces horreurs ajoutent au charme des oasis qu'a épargnées le passage des feux volcaniques.

      La villa Palmarosa, située à mi-côte d'une colline qui présentait son élévation ardue aux ravages de l'Etna, subsistait depuis des siècles au milieu des continuels désastres qu'elle avait pu tranquillement contempler. Le palais était fort ancien, et d'une architecture élégante, empruntée au goût sarrasin. La salle de bal, qui enveloppait maintenant les premiers plans de sa façade, offrait un contraste étrange avec la couleur sombre et les ornements sérieux des plans élevés. A l'intérieur, le contraste était plus frappant encore. Tandis que tout était bruit et confusion au rez-de-chaussée, tout était calme, ordre et mystère à l'étage le plus élevé, habité par la princesse. Michel pénétrait dans cette partie réservée, à l'heure de

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