Le Piccinino. Жорж Санд
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– Je vous réponds de tout, ma chère princesse, répondit Pier-Angelo en s'approchant d'elle d'un air enjoué; ne voyez-vous pas que je mets la main à tout?
– En ce cas, je suis tranquille, répondit-elle, et je compte aussi sur tout le monde. Il serait fâcheux de laisser imparfait un aussi bel ouvrage. Je suis extrêmement contente. Tout cela est conçu avec goût et exécuté avec soin. Je vous remercie beaucoup de la peine que vous prenez pour bien faire, Messieurs, et cette fête sera à votre gloire.
– Mon fils Michel en aura sa part, j'espère, reprit le vieux peintre en décors; Votre Seigneurie veut-elle me permettre de le lui présenter? Allons, Michel, approche, et baise la main de la princesse, mon enfant: c'est une bonne princesse, tu vois!
Michel ne fit pas un mouvement pour s'approcher. Quoique la manière dont la princesse venait de gronder son père l'eût attendri et gagné, il ne se souciait pas de faire acte de servilité devant elle. Il savait bien que la coutume italienne de baiser la main à une dame est l'hommage d'un ami ou la prosternation d'un inférieur, et, ne pouvant prétendre à l'un, il ne voulait pas descendre à l'autre. Il ôta son bonnet de velours et se tint droit, affectant de regarder la princesse avec aplomb.
Elle fixa alors ses yeux sur lui, et soit, qu'il y eût dans son regard une habitude de bonté et d'effusion qui fit contraste avec la nonchalante bienveillance de ses manières, soit que Michel fut frappé d'une étrange hallucination, il fut remué jusqu'au fond des entrailles par ce regard inattendu. Il lui sembla qu'une flamme insinuante, mais intense et profonde, pénétrait en lui à travers les douces paupières de la grande dame; qu'une ineffable tendresse, partant de cette âme inconnue, venait s'emparer souverainement de tout son être; enfin que la tranquille princesse Agathe lui disait dans un langage plus éloquent que toutes les paroles humaines: «Viens dans mes bras. Viens sur mon cœur.»
Michel étourdi, fasciné, hors de lui, tressaillit, pâlit, s'approcha par un mouvement convulsif et involontaire, prit en tremblant la main de la princesse, et au moment de la porter à ses lèvres, leva encore ses yeux sur les siens, croyant s'être trompé et pouvoir sortir d'un rêve à la fois pénible et délicieux. Mais ces yeux purs et transparents lui exprimaient un amour si absolu et si confiant qu'il perdit la tête, se sentit défaillir et tomba comme terrassé aux pieds de la signora.
Quand il recouvra sa présence d'esprit, la princesse était déjà à quelques pas de lui. Elle s'éloignait suivie de Pier-Angelo, et, quand ils furent isolés au bout de la salle, ils parurent s'entretenir de quelque détail de la fête. Michel était honteux: son émotion se dissipait rapidement, à la pensée qu'il avait donné à tous ses compagnons le spectacle d'une faiblesse et d'une présomption inouïes: mais, comme les bonnes paroles de la princesse les avaient tous électrisés, comme on s'était remis au travail avec une sorte de rage joyeuse, on remuait, on chantait, on frappait autour de lui, et son aventure n'était qu'un incident perdu, ou du moins incompris, dans la foule. Quelques-uns avaient remarqué, en souriant, qu'il saluait plus bas qu'il n'était besoin, et qu'apparemment c'était une manière aristocratique et galante qu'il avait apportée de loin avec son air fier et ses beaux habits. D'autres pensèrent qu'il avait trébuché sur des planches en voulant s'incliner, et que sa maladresse lui avait fait perdre contenance.
Le seul Magnani l'avait observé attentivement et à moitié deviné.
– Michel, lui dit-il au bout de quelques instants, quand un travail commun les eut rapprochés, tu parais fort timide, mais je te crois follement hardi. Il est certain que la princesse t'a trouvé beau garçon et qu'elle t'a regardé d'une certaine manière qui aurait pu signifier tout autre chose de la part d'une autre femme; mais ne sois pas trop présomptueux, mon enfant; cette bonne princesse est une dame vertueuse; on ne lui a jamais connu d'amant, et si elle en voulait prendre un, il n'est pas probable qu'elle commencerait par un petit peintre à la détrempe, lorsque tant d'illustres seigneurs…
– Taisez-vous, Magnani, dit Michel avec impétuosité; vos plaisanteries me blessent, et je ne vous ai point autorisé à me railler de la sorte; je ne le souffrirai pas.
– Allons, pas de colère, reprit le jeune artisan; je n'ai pas l'intention de t'offenser, et quand on a des bras comme les miens, on serait lâche de provoquer un enfant tel que toi. D'ailleurs, je n'ai pas l'âme malveillante, et, je te l'ai dit, si je te parle franchement, c'est parce que je me sens disposé à t'aimer. Je sens en toi un esprit au-dessus du mien qui me plaît et me charme. Mais je sens aussi que ton caractère est faible et ton imagination folle. Si tu as plus d'intelligence et de finesse, j'ai plus de raison et d'expérience. Ne prends pas mes réflexions en mauvaise part. Tu n'as pas encore d'amis parmi nous, et déjà tu compterais plus d'une antipathie prête à éclater, si tu cherchais à voir clair autour de toi. Je pourrai t'être bon à quelque chose, et, si tu écoutes mes avertissements, tu éviteras beaucoup d'ennuis que tu ne prévois point. Voyons, Michel, me dédaignes-tu, et refuses-tu mon amitié?
– Je te la demande, au contraire, répondit Michel, ému et subjugué par l'accent de franchise de Magnani; et, pour m'en montrer digne, je veux me justifier. Je ne sais rien, je ne crois rien, je ne pense rien de la princesse. Je vois, pour la première fois, d'aussi près, une aussi grande dame, et… Mais pourquoi souris-tu?
– Tu t'arrêtes à mon sourire pour ne point achever ta phrase. Je vais la compléter pour toi. Tu trouves qu'une grande dame est quelque chose de divin, et tu en tombes épris comme un fou. Tu aimes la grandeur! J'ai bien compris cela le premier jour où je t'ai vu.
– Non, non! s'écria Michel, je ne tombe pas amoureux; je ne connais pas cette femme, et, quant à sa grandeur, j'ignore où elle réside. Autant vaudrait dire que je suis épris de son palais, de sa robe, ou de ses diamants, car jusqu'ici je ne lui vois d'autre supériorité que celle d'un goût auquel nous aidons beaucoup, ce me semble, ainsi que son joaillier et sa couturière.
– Puisque tu ne la connais pas autrement, c'est assez bien parlé, reprit Magnani; mais alors m'expliqueras-tu pourquoi tu as failli t'évanouir en lui baisant la main?
– Explique-le-moi toi-même si tu peux; quant à moi je l'ignore. Je savais bien que les dames avaient une manière de se servir de leurs yeux, qui était plus hardie que celle des courtisanes, et en même temps plus dédaigneuse que celle des nonnes. Oui, j'avais remarqué cela: et ce mélange de provocation et de fierté me mettait hors de moi quand il m'arrivait, malgré moi, d'en coudoyer quelques-unes dans la foule. Et c'est pour cela que je haïssais les grandes dames… Mais celle-ci a un regard qui ne ressemble à celui de personne. Je ne saurais dire si c'est langueur voluptueuse ou stupidité bienveillante; mais jamais aucune femme ne m'a regardé ainsi, et… que veux-tu, Magnani? je suis jeune, impressionnable, et cela m'a donné le vertige: voilà tout. Je ne suis point enivré de vanité, je le jure, car je suis bien certain qu'elle t'eût regardé de même si le hasard eût mis ta figure devant elle à la place de la mienne.
– Je n'en crois rien, dit Magnani tout pensif.
Il avait laissé tomber son marteau; il s'était assis sur