Le Piccinino. Жорж Санд

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Le Piccinino - Жорж Санд

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pas: il n'y a que les vieux qui sachent se dépêcher.

      Sensible au reproche, Michel courut aider à son père, après avoir dit à demi-voix à son nouvel ami qu'il reprendrait plus tard cet entretien avec lui.

      – Le mieux pour toi, lui dit à la dérobée Magnani d'un air singulier, sera d'y penser le moins possible.

      Michel aimait ardemment son père, et il avait raison. Pier-Angelo était un homme de cœur, de courage et de sens. Artiste à sa manière, il suivait, dans son travail, de bonnes vieilles traditions et ne s'irritait point de voir innover autour de lui. Tout au contraire, il s'assimilait très-vite les progrès qu'on lui faisait comprendre. C'était un caractère facile et enjoué, optimiste en général et tolérant en particulier, ne croyant presque jamais aux mauvaises intentions, mais ne transigeant point avec elles quand il ne pouvait plus se faire d'illusion généreuse; une âme droite, simple, désintéressée, se contentant de peu, s'amusant de tout, aimant le travail pour lui-même et l'argent pour les autres, c'est-à-dire vivant au jour le jour, et ne sachant rien refuser à son prochain.

      La Providence avait donné au bouillant Michel le seul guide qu'il fût capable d'accepter: car ce jeune homme était tout le contraire de son père sous plusieurs rapports. Il était inquiet, ombrageux, un peu personnel, porté à l'ambition, au doute et à la colère. Et pourtant c'était une belle âme aussi, parce qu'elle était sincèrement éprise du beau et du grand, et s'abandonnait avec enthousiasme quand on avait justifié sa confiance. Mais il est bien certain que le caractère était moins heureux qu'il n'eût pu l'être, que l'intelligence active et chercheuse se dévorait souvent elle-même; enfin, que l'esprit tumultueux et délicat livrait parfois une bataille acharnée à la tranquillité du cœur.

      Si une main rude, la pesante main d'un ouvrier acharné au gain, ou porté à toutes les jalouses indignations républicaines, eût voulu manier le caractère mobile et l'âme souffrante du jeune Michel, elle les eût exaspérés et promptement brisés ou éteints. L'humeur imprévoyante et joviale du vieux Pier-Angelo avait servi de contre-poids et de calmant à ses instincts exaltés. Il lui parlait rarement le langage de la raison froide, et ne contrariait jamais ses inclinations changeantes. Mais il y a dans l'insouciance vaillante de certaines natures une action sympathique qui nous fait rougir de nos faiblesses, et qui agit plus sur nous par l'exemple, par le précepte mis en action simplement et noblement, que tous les discours et les sermons ne sauraient le faire. C'est par là que le bon Pier-Angelo, tout en paraissant céder aux désirs et aux fantaisies de Michel, exerçait pourtant sur lui le seul ascendant qu'il eût été jusque-là capable de subir.

      VIII.

      L'INTRUS

      Cette fois encore, en voyant son père travailler pour deux, Michel eut honte de ses distractions, et se hâta de le seconder. Il y avait encore un escalier volant à dresser sur un des côtés de la salle, pour communiquer avec une galerie plus élevée, et ouvrir à la foule qu'on attendait une nouvelle voie de circulation.

      On entendait déjà rouler au loin de nombreuses voitures sur cette magnifique rue qu'on nomme pompeusement la Voie Etnéenne, et qui traverse Catane en droite ligne, du bord de la mer au pied de l'Etna, comme si, a dit un voyageur, les habitants qui ont planté leurs fiers palais le long de cette voie avaient voulu offrir aux colères du volcan un chemin digne de lui.

      Dans les moments de crise où le temps ne suffit plus, où l'heure semble courir plutôt que marcher, où les forces humaines sont aux prises avec l'impossible dans un travail ardent, bien peu d'hommes sont doués d'assez de volonté pour conserver l'espoir de triompher. Il s'agit tout simplement, dans ces moments-là, de décupler ses propres facultés et d'accomplir un miracle. La plupart des ouvriers se sentirent découragés, et proposèrent d'abandonner cette construction volante, de masquer le passage avec des fleurs et des toiles: enfin, de laisser aux ordonnateurs de la fête la désagréable surprise d'une infraction à leur plan. Pier-Angelo ranima ceux qui parurent de bonne volonté et se mit à l'ouvrage. Michel fit des prodiges pour les seconder, et, en dix minutes, l'ouvrage qu'on avait déclaré devoir durer deux heures fut terminé comme par magie.

      «Michel, dit alors le vieillard en essuyant son front nu jusqu'à l'occiput, je suis content de toi, et je vois que tu es un bon ouvrier; ce qui, à mes yeux, est indispensable à quiconque veut devenir un grand artiste. Ne se dépêche pas qui veut, et la plupart de ceux qui font vite font mal. Il ne faut pas les mépriser pour cela. Selon le cours ordinaire des choses, tout travail demande du sang-froid, du calcul, de l'ordre, de la prévoyance, enfin du raisonnement… oui, même pour charger une charrette de cailloux, il y a mille manières de s'y prendre, et une seule bonne. Celui-ci en prend trop avec sa pelle, celui-là pas assez; l'un élève trop le bras, et jette par dessus la charrette; l'autre ne lève pas assez, et jette tout dans les roues. N'as-tu jamais examiné, comparé et réfléchi, en regardant les plus simples travaux de la campagne? As-tu vu bêcher la terre? Pour cela comme pour le reste, il y a un bon ouvrier sur vingt maladroits. Et que sait-on, si celui qui bêche à lui seul autant que quatre, sans se fatiguer et sans perdre une seconde, n'est pas un homme supérieur qui ferait admirablement bien des choses plus savantes? Voyons, que t'en semble? Moi, je me suis toujours imaginé cela, et en voyant les jeunes filles cueillir des fraises dans la montagne, j'aurais deviné celle qui devait un jour le mieux tenir son ménage et le mieux élever ses enfants. Crois-tu que je divague? réponds.

      – Je pense que vous avez raison, mon père, répliqua Michel en souriant; pour aller vite et bien, il faut pouvoir réunir la présence d'esprit à l'ardeur de la volonté; il faut avoir la fièvre dans le sang et la tête lucide. Il faut penser et agir simultanément. Non, certes, cela n'est pas donné à tous; et c'est une chose affligeante de voir tant d'organisations débiles et incomplètes, pour un si petit nombre de calmes et de puissantes. Hélas! je m'effraie de moi-même, malgré les éloges que vous venez de me donner; car je me sens rarement dans cette disposition souveraine et féconde, et, si j'y ai été tout à l'heure, c'est à votre exemple que je le dois.

      – Non, non, Michel, il n'y a pas d'exemple qui serve aux impuissants. Pauvres êtres! ils font ce qu'ils peuvent, et c'est une raison pour que les plus robustes et les plus capables se fassent un devoir de les soulager. Ne sens-tu pas du contentement et de l'orgueil de l'avoir fait?

      – Vous avez raison, mon père! vous savez trouver le côté noble et légitime de mes instincts mieux que moi-même. Ah! Pier-Angelo! tu ne sais pas lire, et tu m'as fait apprendre mille choses que tu ne connais pas. Pourtant, tu es la lumière de mon âme, et, à chaque pas, je sens que tu ouvres les yeux à un aveugle.

      – C'est bien dit, cela! s'écria le bon Pierre avec un ravissement naïf. Je voudrais que cela fût écrit. C'était comme quand les acteurs récitent de belles sentences sur la scène. Voyons, comment as-tu dit? répète cela. Tu m'as tutoyé, tu m'as appelé par mon nom, comme si je n'étais pas là et que tu vinsses à penser à ton vieux ami… Oh! j'aime les belles paroles, moi! Pier-Angelo, tu ne sais pas lire… tu as commencé ainsi… Et puis, tu t'es comparé à un aveugle dont j'étais la lumière, moi, pauvre ignorant, mais dont le cœur voit clair pour toi, Michel… Je voudrais savoir faire des vers en pur toscan; mais je ne sais qu'improviser dans mon dialecte de Sicile, où, pourvu qu'on rime en i et en ù, on arrive toujours à faire quelque chose qui ressemble à des vers. Si je pouvais, je ferais une belle chanson sur l'amour et la modestie d'un fils qui attribue à son vieux bonhomme de père tout ce qu'il découvre de lui-même: une chanson!.. il n'y a rien de plus parfait au monde qu'une bonne chanson… J'en sais beaucoup, mais il y en a peu dont je sois parfaitement content. Je voudrais pouvoir refaire à toutes quelque chose qui manque. Cela me fait penser qu'il faudra que je chante ce soir à souper. Hum! après avoir avalé tant de poussière! mais il y aura de bon vin à la buvette des ouvriers. Tu ne veux donc pas y venir? Décidément tu n'aimes pas à trinquer avec tout le monde. Tu as peut-être raison, toi. On te dit fier; mais, d'un autre côté, tu es

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