La vie de Rossini, tome II. Stendhal

Чтение книги онлайн.

Читать онлайн книгу La vie de Rossini, tome II - Stendhal страница 12

La vie de Rossini, tome II - Stendhal

Скачать книгу

style="font-size:15px;">      Dans les révolutions de l'État, il n'y a pas eu légèreté chez les Français; il y a eu constance à l'intérêt d'argent44; en littérature, il y a constance à l'intérêt de vanité. On est sûr de n'être pas sifflé en répétant une phrase de La Harpe; et l'on passe, même au Marais, pour un homme d'infiniment d'esprit si on peut la répéter avec une légère variante. Ce que j'ai admiré hier, je veux l'admirer aujourd'hui, mon admiration est mon bien; autrement il faudrait changer tous les jours le fond de ma conversation, et je m'exposerais à des objections non prévues, devant lesquelles je pourrais rester court; quel horrible danger!

      En France, les classes inférieures admirent bonnement tout ce qu'admire Paris et jadis tout ce qu'admirait la cour. Les sociétés particulières, qui sentent qu'elles ne sont pas à la tête de la mode, se gardent bien d'admettre aucune véritable discussion sur ce qu'elles ont accepté comme étant de bon ton. Elles reçoivent leurs opinions de Paris, de ce Paris que la province abhorre en silence et avec respect. Remarquez que tout ce qui a un peu d'énergie à Paris, est né en province, et en débarque à dix-sept ans, avec le fanatisme des opinions littéraires à la mode en 1760.

      On voit que dans les Arts, l'extrême vanité exclut la légèreté; il faut souffrir pour être beau. Personne n'ose en appeler à sa propre sensation; en province surtout, où ce crime est irrémissible.

      Ces pensées malsonnantes et téméraires m'assiégeaient ce soir à l'Opéra, en voyant quelques spectateurs gens de goût, ennuyés mortellement par le Devin, n'avoir pas assez de courage moral pour être sincères avec eux-mêmes45: tant c'est une terrible chose en France que d'être seul de son opinion.

      J'entrai un soir de l'été dernier chez Tortoni. Je trouvai les amateurs de glaces les uns sur les autres. Contrarié de me voir sans petite table, je dis à Tortoni, avec qui j'étais en liaison d'italien: «Vous êtes bien singulier de ne pas louer les maisons voisines de la vôtre; au moins l'on pourrait s'asseoir chez vous. —Non son cosi mallo! Ho! je connais les Français, ils n'aiment à se trouver que là où l'on s'étouffe; voyez à ma porte la promenade du boulevard de Gand.»

      Non corrigé par cette réponse judicieuse de l'Italien, je disais dernièrement à l'un des directeurs de l'Opéra-Buffa: «Votre théâtre se meurt de monotonie; engagez trois chanteurs de plus à trente mille francs, et jouez une fois par semaine au grand Opéra. – Nous n'aurions pas un chat; nos banquettes resteraient désertes, personne ne voudrait de nos loges, ce serait étouffer de nos propres mains la mode qui nous permet de dépenser, pour notre cher Opéra français, tout ce que notre pauvre budget de la maison accorde pour l'Opéra-Buffa46

      Je pense qu'il est difficile de trouver deux observations de mœurs plus futiles que les précédentes. On court chez Tortoni, où l'on étouffe, comme l'on va aux Français, où l'on bâille; c'est le même principe. Le même homme est mû par le même penchant à deux heures différentes de la journée; quant à sept heures il passe près des Français, il se dit: Allons revoir cette admirable Iphigénie. Il prend son billet en répétant à mi-voix:

      Jamais Iphigénie, en Aulide immolée,

      N'a coûté tant de pleurs à la Grèce assemblée,

      Que dans l'heureux spectacle à nos yeux étalé,

      En a fait, sous son nom, verser la Champmêlé.

Boileau, Épître à Racine.

      Comment, après un suffrage aussi illustre, oser trouver ridicule une rame inutile qui fatigue vainement une mer immobile? Notre homme n'est jamais allé en bateau à vapeur.

      Un Parisien de la vieille roche ne va pas prendre une glace chez Tortoni parce qu'il fait chaud, quel motif vulgaire! mais pour faire une action qui est de bon ton, pour être vu dans un lieu fréquenté par la haute société, pour voir aussi un peu cette haute société, et enfin, mais bien enfin, parce qu'il y a un petit plaisir à prendre une glace quand le thermomètre est à 25 degrés.

      Supposez que l'on trouve encore quelques places à huit heures à la salle Louvois; ce n'est donc plus un lieu où la bonne compagnie s'étouffe, ce n'est plus qu'un théâtre commode: je n'y vais pas.

      En Espagne et en Italie, chacun méprise le voisin, et a l'orgueil sauvage d'être de sa propre opinion. C'est ce qui fait qu'on n'y sait pas vivre.

      Tout ce qui précède donne l'histoire de la réception qu'on a faite en France à Rossini; depuis le jour où un directeur adroit défigura l'Italiana in Algeri, jusqu'au jour où, pour le Barbier de Séville, on l'opposa habilement à Paisiello, on espérait dégoûter de Rossini. Le coup était habile et bien calculé d'après les habitudes littéraires de la nation. Les gens de lettres, qui regardent comme une annexe de leur titre le privilège de juger des tableaux et de la musique, ne manquèrent pas, fidèles au métier, de faire des articles furibonds en faveur du compositeur d'il y a trente ans, contre le compositeur d'aujourd'hui. Il leur semblait encore parler de Racine et de Boileau, opposés à Schiller et à Byron. Ils ne tarirent pas sur l'audacieuse témérité d'un jeune homme qui osait remettre en question la gloire d'un ancien47. Heureusement pour Rossini les temps de Geoffroy étaient passés; aucun journal n'avait la vogue, et les pauvres littérateurs estimables, privés de l'avantage de parler tout seuls, furent tout étonnés de voir que le public se moquait d'eux.

      Le Barbier de Séville a fait connaître Rossini à Paris, neuf petites années après que ce compositeur faisait les délices de l'Italie et d'une grande partie de l'Allemagne. Le Tancrède avait paru à Vienne immédiatement après le congrès. Trois ans plus tard, la Gazza ladra avait un succès fou à Berlin, et l'on y imprimait des volumes pour ou contre l'ouverture de cet opéra.

      La moitié du mérite de Rossini apparut aux Parisiens, au grand désespoir de certaines personnes, à l'époque où madame Fodor prit le rôle de madame de Begnis dans le Barbier; la seconde moitié, quand madame Pasta a chanté dans Otello et Tancrède.

      CHAPITRE XXV

      LES DEUX AMATEURS

      On m'a présenté, il y a quelque temps, à un vieux commis expéditionnaire du bureau de la guerre, doué d'une justesse d'oreille tellement parfaite, que si, passant devant un atelier de tailleurs de pierre, établi dans le voisinage de quelque bâtisse considérable, on lui demande l'indication exacte des sons rendus par deux pierres frappées par le marteau de deux ouvriers voisins, il indique à l'instant ces sons avec une justesse qui n'est jamais en défaut, et leur assigne, sans la moindre hésitation, le nom musical qu'ils doivent porter. Si cet homme vient à entendre un orgue de Barbarie qui joue faux, selon la coutume, il énonce à mesure les notes que fait entendre l'instrument fatal. Il apprécie avec le même bonheur les cris d'une poulie mal arrangée au haut d'une grue qui élève péniblement un poids considérable, ou les gémissements de la roue mal graissée d'un tombereau de campagne. Il est inutile d'ajouter que mon nouvel ami indique à l'instant la plus petite faute commise dans un orchestre considérable; il nomme la fausse note exécutée et l'instrument coupable. La personne qui me présentait m'engagea à chanter un air; soit effet du hasard, soit fait exprès, cet air présenta plusieurs sons douteux, qu'un musicien qui se trouvait présent reconnut avec étonnement dans l'air noté que le vieil expéditionnaire présenta deux minutes après au chanteur malheureux. Cet homme singulier écrit un air qu'on vient de chanter, comme un enfant écrit une fable de La Fontaine, si quelque ami de la famille vient à la lui demander pour éprouver son savoir. Si l'air que vous chantez est long, l'expéditionnaire, qui craint d'oublier, prie que l'on s'arrête jusqu'à ce qu'il ait

Скачать книгу


<p>44</p>

Le lendemain du 18 brumaire, deux mille gens riches avaient intérêt à le louer.

<p>45</p>

Ce sont les classes inférieures de la société et les provinciaux nouvellement débarqués, admirateurs nés de tout ce qui coûte bien cher, qui garnissent les banquettes du grand Opéra. Ajoutez-y dans les loges quelques Anglais arrivant de leurs terres, et au balcon quelques gens de plaisir qui viennent admirer les danseuses; voilà, avec les six cent mille francs du gouvernement, ce qui soutient l'Opéra. Le premier ministère de bon sens mettra les Italiens rue Le Peletier, vers l'an 1830.

<p>46</p>

Nous n'aurions personne si nous agrandissions notre théâtre; voilà ce que tout le monde répète quand on représente qu'on est au supplice dans les loges, et que les deux maisons voisines appartenant à l'administration, l'on pourrait changer les corridors actuels en loges à l'italienne, et faire d'autres corridors latéraux.

<p>47</p>

Voir la Renommée des premiers jours de septembre 1819, autant que je puis m'en souvenir, et les autres journaux.