Rome. Emile Zola

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Rome - Emile Zola

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un teint mat, de grands yeux doux, l'air modeste, d'une simplicité séduisante. Sévèrement habillée de soie feuille morte, elle avait un grand chapeau un peu extravagant. Et, comme Dario la dévisageait, le prêtre lui demanda son nom, ce qui fit sourire le jeune prince. Oh! personne, la Tonietta, une des rares demi-mondaines dont Rome s'occupait. Puis, librement, avec la belle franchise de la race sur les choses de l'amour, il continua, donna des détails: une fille dont l'origine restait obscure, les uns la faisant partir de très bas, d'un cabaretier de Tivoli, les autres la disant née à Naples, d'un banquier; mais, en tout cas, une fille fort intelligente, qui s'était fait une éducation, qui recevait admirablement dans son petit palais de la rue des Mille, un cadeau du vieux marquis Manfredi, mort à présent. Elle ne s'affichait pas, n'avait guère qu'un amant à la fois, et les princesses, les duchesses qui s'inquiétaient d'elle, chaque jour, au Corso, la trouvaient bien. Une particularité surtout l'avait rendue célèbre, des coups de cœur qui l'affolaient parfois, qui la faisaient se donner pour rien à l'aimé, n'acceptant strictement de lui chaque matin qu'un bouquet de roses blanches; de sorte que, lorsqu'on la voyait, au Pincio, pendant des semaines souvent, avec ces roses pures, ce bouquet blanc de mariée, on souriait d'un air de tendre complaisance.

      Mais Dario s'interrompit pour saluer cérémonieusement une dame qui passait dans un landau immense, seule en compagnie d'un monsieur. Et il dit simplement au prêtre:

      – Ma mère.

      Celle-ci, Pierre la connaissait. Du moins, il tenait son histoire du vicomte de la Choue: son second mariage, à cinquante ans, après la mort du prince Onofrio Boccanera; la façon dont, superbe encore, elle avait pêché des yeux, au Corso, tout comme une jeune fille, un bel homme à son goût, de quinze ans plus jeune qu'elle; et quel était cet homme, ce Jules Laporte, ancien sergent de la garde suisse, disait-on, ancien commis voyageur en reliques, compromis dans une histoire extraordinaire de reliques fausses; et comment elle avait fait de lui un marquis Montefiori, de belle prestance, le dernier des aventuriers heureux, triomphant au pays légendaire où les bergers épousent des reines.

      A l'autre tour, lorsque le grand landau repassa, Pierre les regarda tous les deux. La marquise était vraiment surprenante, toute la classique beauté romaine épanouie, grande, forte, très brune, avec une tête de déesse, aux traits réguliers, un peu massifs, n'accusant son âge que par le duvet dont sa lèvre supérieure était recouverte. Et le marquis, ce Suisse de Genève romanisé, avait vraiment fière tournure, avec sa carrure de solide officier et ses moustaches au vent, pas bête, disait-on, très gai et très souple, amusant pour les dames. Elle en était si glorieuse, qu'elle le traînait et l'étalait, ayant recommencé l'existence avec lui comme si elle avait eu vingt ans, mangeant à son cou la petite fortune sauvée du désastre de la villa Montefiori, si oublieuse de son fils, qu'elle le rencontrait seulement parfois à la promenade, le saluant ainsi qu'une connaissance de hasard.

      – Allons voir le soleil se coucher derrière Saint-Pierre, dit Dario, dans son rôle d'homme consciencieux qui montre les curiosités.

      La voiture revint sur la terrasse, où une musique militaire jouait avec des éclats de cuivre terribles. Pour entendre, beaucoup d'équipages déjà stationnaient, tandis qu'une foule de piétons, de simples promeneurs, sans cesse accrue, s'était amassée. Et, de cette terrasse admirable, très haute, très large, se déroulait une des vues les plus merveilleuses de Rome. Au delà du Tibre, par-dessus le chaos blafard du nouveau quartier des Prés du Château, se dressait Saint-Pierre, entre les verdures du mont Mario et du Janicule. Puis, c'était à gauche toute la vieille ville, une étendue de toits sans bornes, une mer roulante d'édifices, à perte de vue. Mais les regards, toujours, revenaient à Saint-Pierre, trônant dans l'azur, d'une grandeur pure et souveraine. Et, de la terrasse, au fond du ciel immense, les lents couchers de soleil, derrière le colosse, étaient sublimes.

      Parfois, ce sont des écroulements de nuées sanglantes, des batailles de géants, luttant à coups de montagnes, succombant sous les ruines monstrueuses de villes en flammes. Parfois, d'un lac sombre ne se détachent que des gerçures rouges, comme si un filet de lumière était jeté, pour repêcher parmi les algues l'astre englouti. Parfois, c'est une brume rose, toute une poussière délicate qui tombe, rayée de perles par un lointain coup de pluie, dont le rideau est tiré sur le mystère de l'horizon. Parfois, c'est un triomphe, un cortège de pourpre et d'or, des chars de nuages qui roulent sur une voie de feu, des galères qui flottent sur une mer d'azur, des pompes fastueuses et extravagantes, s'abîmant au gouffre peu à peu insondable du crépuscule.

      Mais, ce soir-là, Pierre eut le spectacle sublime, dans une grandeur calme, aveuglante et désespérée. D'abord, juste au-dessus du dôme de Saint-Pierre, descendant du ciel sans tache, d'une limpidité profonde, le soleil était si resplendissant encore, que les yeux ne pouvaient en soutenir l'éclat. Dans cette splendeur, le dôme semblait incandescent, un dôme d'argent liquide; tandis que le quartier voisin, les toitures du Borgo étaient comme changées en un lac de braise. Puis, à mesure que le soleil s'inclina, il perdit de sa flamme, on put le regarder; et, bientôt, avec une lenteur majestueuse, il glissa derrière le dôme, qui se détacha en bleu sombre, lorsque, entièrement caché, l'astre ne fut plus, autour, qu'une auréole, une gloire d'où jaillissait une couronne de flamboyants rayons. Et, alors, commença le rêve, le singulier éclairage du rang des fenêtres qui règnent sous la coupole, traversées de part en part, devenues des bouches rougeoyantes de fournaise; de sorte qu'on aurait pu croire que le dôme était posé sur un brasier, isolé en l'air, soulevé et porté par la violence du feu. Cela dura trois minutes à peine. En bas, les toits confus du Borgo se noyaient de vapeurs violâtres, pendant que l'horizon, du Janicule au mont Mario, découpait sa ligne nette et noire; et ce fut le ciel qui devint à son tour de pourpre et d'or, un calme infini de clarté surhumaine, au-dessus de la terre qui s'anéantissait. Enfin, les fenêtres s'éteignirent, le ciel s'éteignit, il ne resta que la rondeur du dôme de Saint-Pierre, vague, de plus en plus effacée, dans la nuit envahissante.

      Et, par une sourde liaison d'idées, Pierre vit à ce moment s'évoquer devant lui, une fois encore, les hautes, et tristes, et déclinantes figures du cardinal Boccanera et du vieil Orlando. Au soir de ce jour, où il les avait connus l'un après l'autre, si grands dans l'obstination de leur espoir, ils étaient là tous les deux, debout à l'horizon, sur leur ville anéantie, au bord du ciel que la mort semblait prendre. Était-ce donc que tout allait ainsi crouler avec eux, que tout allait s'éteindre et disparaître, dans la nuit des temps révolus?

      V

      Le lendemain, Narcisse Habert, désolé, vint dire à Pierre que son cousin, monsignor Gamba del Zoppo, le camérier secret, qui se prétendait souffrant, avait demandé deux ou trois jours avant de recevoir le jeune prêtre et de s'occuper de son audience. Pierre se trouva donc immobilisé, n'osant rien tenter d'autre part pour voir le pape, car on l'avait effrayé à un tel point, qu'il craignait de tout compromettre par une démarche maladroite. Et, désœuvré, il se mit à visiter Rome, voulant occuper son temps.

      Sa première visite fut pour les ruines du Palatin. Dès huit heures, un matin de ciel pur, il s'en alla seul, il se présenta à l'entrée, qui se trouve rue Saint-Théodore, une grille que flanquent les pavillons des gardiens. Et, tout de suite, un de ceux-ci se détacha, s'offrit pour servir de guide. Lui, aurait préféré voyager à sa fantaisie, errer au hasard de ses découvertes et de son rêve. Mais il lui fut pénible de refuser l'offre de cet homme qui parlait le français très nettement, avec un bon sourire de complaisance. C'était un petit homme trapu, un ancien soldat, d'une soixantaine d'années, à la figure carrée et rougeaude, que barraient de grosses moustaches blanches.

      – Alors, si monsieur l'abbé veut me suivre… Je vois que monsieur l'abbé est Français. Moi, je suis Piémontais, et je les connais bien, les Français: j'étais avec eux à Solferino. Oui, oui! quoi qu'on dise, ça ne s'oublie pas, quand on a été frères… Tenez! montez par ici, à droite.

      Pierre, en levant les yeux, venait de voir la ligne de cyprès

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