Rome. Emile Zola

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Rome - Emile Zola

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d'un gris sale de poussière, parsemée de quelques buissons, au milieu desquels affleuraient des bouts d'antiques murailles. C'était le ravage, la tristesse lépreuse des terrains de fouille, où seuls les savants s'enthousiasment.

      – Les maisons de Tibère, de Caligula et des Flaviens sont là-haut, reprit le guide. Mais nous les gardons pour la fin, il faut que nous fassions le tour.

      Pourtant, il poussa un instant vers la gauche, s'arrêta devant une excavation, une sorte de grotte dans le flanc du mont.

      – Ceci est l'antre lupercal, où la louve allaita Romulus et Remus. Autrefois, on voyait encore, à l'entrée, le figuier Ruminal, qui avait abrité les deux jumeaux.

      Pierre ne put retenir un sourire, tellement l'ancien soldat semblait simple et convaincu dans ses explications, très fier d'ailleurs de toute cette gloire antique qui était sienne. Mais, lorsque, près de la grotte, le digne homme lui eut montré les vestiges de la Roma quadrata, des restes de murailles qui paraissent réellement remonter à la fondation de Rome, il s'intéressa, une première émotion lui fit battre le cœur. Et, certes, ce n'était pas que le spectacle fût admirable, car il s'agissait de quelques blocs de pierre taillés, posés l'un sur l'autre, sans ciment ni chaux. Seulement, un passé de vingt-sept siècles s'évoquait, et ces pierres effritées et noircies, qui avaient supporté un si retentissant édifice de splendeur et de toute-puissance, prenaient une extraordinaire majesté.

      La visite continua, ils revinrent à droite, longeant toujours le flanc du mont. Les annexes des palais avaient dû descendre jusque-là: des restes de portiques, des salles effondrées, des colonnes et des frises remises debout, bordaient le sentier raboteux, qui tournait parmi des herbes folles de cimetière; et le guide, récitant ce qu'il savait si bien pour l'avoir répété quotidiennement depuis dix années, continuait à affirmer les hypothèses les moins sûres, en donnant à chaque débris un nom, un emploi, une histoire.

      – La maison d'Auguste, finit-il par dire, avec un geste de la main qui indiquait des éboulis de terre.

      Cette fois, Pierre, n'apercevant absolument rien, se hasarda à demander:

      – Où donc?

      – Ah! monsieur l'abbé, il paraît qu'on en voyait encore la façade à la fin du siècle dernier. On y entrait de l'autre côté, par la voie Sacrée. De ce côté-ci, il y avait un vaste balcon, qui dominait le grand Cirque Maxime, et d'où l'on assistait aux jeux… D'ailleurs, comme vous pouvez le constater, le palais se trouve encore presque totalement enfoui sous ce grand jardin, là-haut, le jardin de la villa Mills; et, quand on aura l'argent pour les fouilles, on le retrouvera, c'est certain, ainsi que le temple d'Apollon et celui de Vesta, qui l'accompagnaient.

      Il tourna à gauche, entra dans le Stade, le petit cirque pour les courses à pied, qui s'allongeait au flanc même de la maison d'Auguste; et, cette fois, le prêtre, saisi, commença à se passionner. Ce n'était point qu'il y eût là une ruine suffisamment conservée et d'aspect monumental; aucune colonne n'était restée en place, seules les murailles de droite se dressaient encore; mais on avait retrouvé tout le plan, les bornes à chaque bout, le portique autour de la piste, la loge de l'empereur, colossale, qui, après avoir été à gauche, dans la maison d'Auguste, s'était ouverte ensuite à droite, encastrée dans le palais de Septime Sévère. Et le guide allait toujours, au milieu de ces débris épars, donnait des explications abondantes et précises, assurait que ces messieurs de la Direction des fouilles tenaient leur Stade jusqu'aux plus petits détails, à ce point qu'ils étaient en train d'en établir un plan exact, avec les ordres des colonnes, les statues dans les niches, la nature des marbres dont les murs se trouvaient recouverts.

      – Oh! ces messieurs sont bien tranquilles, finit-il par déclarer, d'un air béat lui-même. Les Allemands n'auront pas à mordre, et ils ne viendront pas tout bouleverser ici, comme ils l'ont fait au Forum, où l'on ne se reconnaît plus, depuis qu'ils y ont passé avec leur science.

      Pierre sourit, et l'intérêt s'accrut encore, lorsqu'il l'eut suivi, par des escaliers rompus et des ponts de bois jetés sur des trous, dans les ruines géantes du palais de Septime Sévère. Le palais s'élevait à la pointe méridionale du Palatin, dominant la voie Appienne et toute la Campagne, au loin, à perte de vue. Il n'en reste que les substructions, les salles souterraines, ménagées sous les arches des terrasses, dont on avait élargi le plateau du mont, devenu trop étroit; et ces substructions, découronnées, suffisent à donner l'idée du triomphal palais qu'elles soutenaient, tellement elles sont restées énormes et puissantes, dans leur masse indestructible. Là s'élevait le fameux Septizonium, la tour aux sept étages, qui n'a disparu qu'au quatorzième siècle. Une terrasse s'avance encore, portée par des arcades cyclopéennes, et d'où la vue est admirable. Puis, ce n'est plus qu'un entassement d'épaisses murailles à demi écroulées, des gouffres béants à travers des plafonds effondrés, des enfilades de couloirs sans fin et de salles immenses, dont l'usage échappe. Toutes ces ruines, bien entretenues par la nouvelle administration, balayées, débarrassées des végétations folles, ont perdu leur sauvagerie romantique, pour prendre une grandeur nue et morne. Mais des coups de vivant soleil doraient les antiques murailles, pénétraient par des brèches au fond des salles noires, animaient de leur poussière éclatante la muette mélancolie de cette souveraineté morte, exhumée de la terre où elle avait dormi pendant des siècles. Sur les vieilles maçonneries rousses, faites de briques noyées de ciment, dépouillées de leur revêtement fastueux de marbre, le manteau de pourpre du soleil drapait de nouveau toute une impériale gloire.

      Depuis près d'une heure et demie déjà, Pierre marchait, et il lui restait à visiter l'amas des palais antérieurs, sur le plateau même, au nord et à l'est.

      – Il nous faut revenir sur nos pas, dit le guide. Vous voyez, les jardins de la villa Mills et le couvent de Saint-Bonaventure nous bouchent le chemin. On ne pourra passer que lorsque les fouilles auront déblayé tout ce côté-ci… Ah! monsieur l'abbé, si vous vous étiez promené sur le Palatin, il y a cinquante ans à peine! Moi, j'ai vu des plans de ce temps-là. Ce n'étaient que des vignes, que des petits jardins, coupés de haies, une vraie campagne, un vrai désert, où l'on ne rencontrait pas une âme… Et dire que tous ces palais dormaient là-dessous!

      Pierre le suivait, et ils repassèrent devant la maison d'Auguste, ils remontèrent et débouchèrent dans la maison des Flaviens, immense, à demi engagée encore sous la villa voisine, composée d'un grand nombre de salles, petites et grandes, sur la destination desquelles on continue à discuter. La salle du trône, la salle de justice, la salle à manger, le péristyle semblent certains. Mais, ensuite, tout n'est que fantaisie, surtout pour les pièces étroites des appartements privés. Et, d'ailleurs, pas un mur n'est entier, il n'y a là que des fondations qui affleurent, que des soubassements tronqués qui dessinent à terre le plan de l'édifice. La seule ruine conservée comme par miracle, en contre-bas, est la maison qu'on prétend être celle de Livie, toute petite à côté des vastes palais voisins, et dont trois salles sont intactes, avec leurs peintures murales, des scènes mythologiques, des fleurs et des fruits, d'une singulière fraîcheur. Quant à la maison de Tibère, il n'en paraît absolument rien, les restes en sont cachés sous l'adorable jardin public, qui continue, sur le plateau, les anciens jardins Farnèse; et, de la maison de Caligula, à côté, au-dessus du Forum, il n'existe, comme pour la maison de Septime Sévère, que des substructions énormes, des contreforts, des étages entassés, des arcades hautes qui portaient le palais, sortes d'immenses sous-sols, où la domesticité et les postes de gardes vivaient, gorgés, dans de continuelles ripailles. Tout ce haut sommet, dominant la ville, n'offrait donc que des vestiges à peine reconnaissables, de vastes terrains gris et nus, creusés par la pioche, hérissés de quelques pans de vieux murs; et il fallait un effort d'imagination érudite pour reconstituer l'antique splendeur impériale qui avait triomphé là.

      Le guide n'en poursuivait pas moins ses explications, avec une conviction tranquille, montrant le vide,

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