Le petit vieux des Batignolles. Emile Gaboriau
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– Là!.. là!..
Prompt comme l’éclair, M. Méchinet s’était jeté à genoux près du cadavre. Ce que j’avais vu, il le vit, et mon impression fut la sienne, car se relevant vivement:
– Ce n’est pas ce pauvre vieux, déclara-t-il, qui a tracé les lettres qui sont là…
Et comme le juge et le commissaire le regardaient bouche béante, il leur expliqua cette circonstance de la main gauche seule tachée de sang…
– Et dire que je n’y avais pas fait attention! répétait le commissaire désolé…
M. Méchinet prisait avec fureur.
– C’est comme cela, fit-il… les choses qui crèvent les yeux sont celles qu’on ne voit point… Mais n’importe! voilà la situation diablement changée… Du moment où ce n’est pas le vieux qui a écrit, c’est celui qui l’a tué…
– Évidemment! approuva le commissaire.
– Or, continua mon voisin, peut-on imaginer un assassin assez stupide pour se dénoncer en écrivant son nom à côté du corps de sa victime? Non, n’est-ce pas. Maintenant, concluez…
Le juge était devenu soucieux.
– C’est clair, fit-il, les apparences nous ont abusés… Monistrol n’est pas le coupable… Quel est-il?.. C’est affaire à vous, monsieur Méchinet, de le découvrir.
Il s’arrêta… un agent de police entrait, qui, s’adressant au commissaire, dit:
– Vos ordres sont exécutés, monsieur… Monistrol est arrêté et écroué au dépôt… Il a tout avoué.
D’autant plus rude était le choc qu’il était plus inattendu.
Peindre notre stupeur à tous est impossible.
Quoi! pendant que nous étions là, nous évertuant à chercher des preuves de l’innocence de Monistrol, lui se reconnaissait coupable!
Ce fut M. Méchinet qui le premier se remit.
Vivement, cinq ou six fois, il porta les doigts de sa tabatière à son nez, et s’avançant vers l’agent:
– Tu te trompes ou tu nous trompes, lui dit-il, pas de milieu.
– Je vous jure, monsieur Méchinet…
– Tais-toi! ou tu as mal compris ce qu’a dit Monistrol, ou tu t’es grisé de l’espoir de nous étonner en nous annonçant que l’affaire est réglée…
Humble et respectueux jusqu’alors, l’agent se rebiffa.
– Faites excuse, interrompit-il, je ne suis ni un imbécile ni un menteur, et je sais ce que je dis…
La discussion tournait si bien à la dispute que le juge d’instruction crut devoir intervenir.
– Modérez-vous, monsieur Méchinet, prononça-t-il, et avant de porter un jugement, attendez d’être édifié.
Puis se tournant vers l’agent:
– Et vous, mon ami, poursuivit-il, dites-nous ce que vous savez et les raisons de votre assurance.
Ainsi soutenu, l’agent écrasa M. Méchinet d’un regard ironique, et avec une nuance très-appréciable de fatuité:
– Pour lors, commença-t-il, voilà la chose: M. le juge et M. le commissaire ici présents nous ont chargés, l’inspecteur Goulard, mon collègue Poltin et moi, d’arrêter le nommé Monistrol, bijoutier en faux, domicilié rue Vivienne, 75, ledit Monistrol étant inculpé d’assassinat sur la personne de son oncle.
– C’est exact, approuva le commissaire à demi-voix.
– Là-dessus, poursuivit l’agent, nous prenons un fiacre et nous nous faisons conduire à l’adresse indiquée… Nous arrivons et nous trouvons le sieur Monistrol dans son arrière-boutique, sur le point de se mettre à table pour dîner avec son épouse, qui est une femme de vingt-cinq à trente ans, d’une beauté admirable.
En nous apercevant tous trois en rang d’oignon, mon particulier se dresse. – «Qu’est-ce que vous voulez?» nous demande-t-il. Aussitôt, le brigadier Goulard tire de sa poche le mandat d’amener et répond: «Au nom de la loi, je vous arrête!..»
M. Méchinet semblait sur le gril.
– Ne pourrais-tu te hâter! dit-il à l’agent.
Mais l’autre, comme s’il n’eût pas entendu, poursuivit du même ton calme:
– J’ai arrêté quelques particuliers en ma vie; eh bien! jamais je n’en ai vu tomber en décomposition comme celui-là. – «Vous plaisantez, nous dit-il, ou vous faites erreur! – Non, nous ne nous trompons pas. – Mais enfin, pourquoi m’arrêtez-vous?»
Goulard haussait les épaules.
« – Ne faites donc pas l’enfant, dit-il, et votre oncle?.. Le cadavre est retrouvé et on a des preuves accablantes contre vous…»
Ah! le gredin, quelle tuile!.. Il chancela et finalement se laissa tomber sur une chaise en sanglotant et en bégayant je ne sais quelle réponse qu’il n’y avait pas moyen de comprendre.
Ce que voyant, Goulard le secoua par le collet de son habit, en lui disant:
« – Croyez-moi, le plus court est de tout avouer.»
Il nous regarda d’un air hébété et murmura:
« – Eh bien! oui, j’avoue tout!»
– Bien manœuvré, Goulard! approuva le commissaire.
L’agent triomphait.
– Il s’agissait de ne pas moisir dans la boutique, continua-t-il. On nous avait recommandé d’éviter tout esclandre, et déjà les badauds s’attroupaient… Goulard empoigna donc le prévenu par le bras, en lui criant: «Allons, en route! on nous attend à la préfecture!» Monistrol, tant bien que mal, se dressa sur ses jambes qui flageolaient, et du ton d’un homme qui prend son courage à deux mains, dit: «Marchons!..»
Nous pensions que le plus fort était fait; nous comptions sans la femme.
Jusqu’à ce moment, elle était restée comme évanouie sur un fauteuil, sans souffler mot, sans paraître seulement comprendre ce qui se passait.
Mais quand elle vit que bien décidément nous emmenions son homme, elle bondit comme une lionne et se jeta en travers de la porte en criant: «Vous ne passerez pas!» Parole d’honneur, elle était superbe, mais Goulard en a bien vu d’autres. «Allons, allons, ma petite mère, fit-il, ne nous fâchons pas; on vous le rendra, votre mari!»
Cependant, bien loin de nous faire place, elle se cramponnait plus fortement au chambranle, jurant que son mari était innocent; déclarant que si on le conduisait en prison, elle le suivrait, tantôt nous menaçant et nous accablant