La Conquête de Plassans. Emile Zola
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Читать онлайн книгу La Conquête de Plassans - Emile Zola страница 3
– Nous vous demandons pardon de vous déranger, dit-il à Mouret. Nous venons de chez monsieur l'abbé Bourrette; il a dû vous prévenir…
– Mais pas du tout! s'écria Mouret. L'abbé n'en fait jamais d'autres; il a toujours l'air de descendre du paradis… Ce matin encore, monsieur, il m'affirmait que vous ne seriez pas ici avant deux jours… Enfin, il va falloir vous installer tout de même. L'abbé Faujas s'excusa. Il avait une voix grave, d'une grande douceur dans la chute des phrases. Vraiment, il était désolé d'arriver à un pareil moment. Quand il eut exprimé ses regrets, sans bavardage, en dix paroles nettement choisies, il se tourna pour payer le commissionnaire qui avait apporté sa malle. Ses grosses mains bien faites tirèrent d'un pli de sa soutane une bourse, dont on n'aperçut que les anneaux d'acier; il fouilla un instant, palpant du bout des doigts, avec précaution, la tête baissée. Puis, sans qu'on eût vu la pièce de monnaie, le commissionnaire s'en alla. Lui, reprit de sa voix polie:
– Je vous en prie, monsieur, remettez-vous à table… Votre domestique nous indiquera l'appartement. Elle m'aidera à monter ceci.
Il se baissait déjà pour prendre une poignée de la malle. C'était une petite malle de bois, garantie par des coins et des bandes de tôle; elle paraissait avoir été réparée, sur un des flancs, à l'aide d'une traverse de sapin. Mouret resta surpris, cherchant des yeux les autres bagages du prêtre; mais il n'aperçut qu'un grand panier, que la dame âgée tenait à deux mains, devant ses jupes, s'entêtant, malgré la fatigue, à ne pas le poser à terre. Sous le couvercle soulevé, parmi des paquets de linge, passaient le coin d'un peigne enveloppé dans du papier, et le cou d'un litre mal bouché.
– Non, non, laissez cela, dit Mouret en poussant légèrement la malle du pied. Elle ne doit pas être lourde; Rose la montera bien toute seule.
Il n'eut sans doute pas conscience du secret dédain qui perçait dans ses paroles. La dame âgée le regarda fixement de ses yeux noirs; puis, elle revint à la salle à manger, à la table servie, qu'elle examinait depuis qu'elle était là. Elle passait d'un objet à l'autre, les lèvres pincées. Elle n'avait pas prononcé une parole. Cependant, l'abbé Faujas consentit à laisser la malle. Dans la poussière jaune du soleil qui entrait par la porte du jardin, sa soutane râpée semblait toute rouge; des reprises en brodaient les bords; elle était très-propre, mais si mince, si lamentable, que Marthe, restée assise jusque-là avec une sorte de réserve inquiète, se leva à son tour. L'abbé, qui n'avait jeté sur elle qu'un coup d'oeil rapide, aussitôt détourné, la vit quitter sa chaise, bien qu'il ne parût nullement la regarder.
– Je vous en prie, répéta-t-il, ne vous dérangez pas; nous serions désolés de troubler votre dîner.
– Eh bien! c'est cela, dit Mouret qui avait faim. Rose va vous conduire. Demandez-lui tout ce dont vous aurez besoin… Installez-vous, installez-vous à votre aise.
L'abbé Faujas, après avoir salué, se dirigeait déjà vers l'escalier, lorsque Marthe s'approcha de son mari, en murmurant:
– Mais, mon ami, tu ne songes pas…
– Quoi donc? demanda-t-il, voyant qu'elle hésitait.
– Les fruits, tu sais bien.
– Ah! diantre! c'est vrai, il y a les fruits, dit-il d'un ton consterné. Et, comme l'abbé Faujas revenait, l'interrogeant du regard:
– Je suis vraiment bien contrarié, monsieur, reprit-il. Le père Bourrette est sûrement un digne homme, seulement il est fâcheux que vous l'ayez chargé de votre affaire… Il n'a pas pour deux liards de tête… Si nous avions su, nous aurions tout préparé. Au lieu que nous voilà maintenant avec un déménagement à faire… Vous comprenez, nous utilisions les chambres. Il y a là-haut, sur le plancher, toute notre récolte de fruits, des figues, des pommes, du raisin…
Le prêtre l'écoutait avec une surprise que sa grande politesse ne réussissait plus à cacher. – Oh! mais ça ne sera pas long, continua Mouret. En dix minutes, si vous voulez bien prendre la peine d'attendre, Rose va débarrasser vos chambres.
Une vive inquiétude grandissait sur le visage terreux de l'abbé.
– Le logement est meublé, n'est-ce pas? demanda-t-il.
– Du tout, il n'y a pas un meuble; nous ne l'avons jamais habité.
Alors, le prêtre perdit son calme; une lueur passa dans ses yeux gris.
Il s'écria avec une violence contenue:
– Comment! mais j'avais formellement recommandé dans ma lettre de louer un logement meublé. Je ne pouvais pas apporter des meubles dans ma malle, bien sûr.
– Hein! qu'est-ce que je disais? cria Mouret d'un ton plus haut. Ce Bourrette est incroyable… Il est venu, monsieur, et il a vu certainement les pommes, puisqu'il en a même pris une dans la main, en déclarant qu'il avait rarement admiré une aussi belle pomme. Il a dit que tout lui semblait très-bien, que c'était ça qu'il fallait, et qu'il louait.
L'abbé Faujas n'écoutait plus; tout un flot de colère était monté à ses joues. Il se tourna, il balbutia, d'une voix anxieuse:
– Mère, vous entendez? il n'y a pas de meubles.
La vieille dame, serrée dans son mince châle noir, venait de visiter le rez-de-chaussée, à petits pas furtifs, sans lâcher son panier. Elle s'était avancée jusqu'à la porte de la cuisine, en avait inspecté les quatre murs; puis, revenant sur le perron, elle avait lentement, d'un regard, pris possession du jardin. Mais la salle à manger surtout l'intéressait; elle se tenait de nouveau debout, en face de la table servie, regardant fumer la soupe, lorsque son fils lui répéta:
– Entendez-vous, mère? il va falloir aller à l'hôtel.
Elle leva la tête, sans répondre; toute sa face refusait de quitter cette maison, dont elle connaissait déjà les moindres coins. Elle eut un imperceptible haussement d'épaules, les yeux vagues, allant de la cuisine au jardin et du jardin à la salle à manger.
Mouret, cependant, s'impatientait. Voyant que ni la mère ni le fils ne paraissaient décidés à quitter la place, il reprit:
– C'est que nous n'avons pas de lits, malheureusement… Il y a bien, au grenier, un lit de sangle, dont madame, à la rigueur, pourrait s'accommoder jusqu'à demain; seulement, je ne vois pas trop sur quoi coucherait monsieur l'abbé.
Alors madame Faujas ouvrit enfin les lèvres; elle dit d'une voix brève, au timbre un peu rauque:
– Mon fils prendra le lit de sangle… Moi, je n'ai besoin que d'un matelas par terre, dans un coin. L'abbé approuva cet arrangement d'un signe de tête. Mouret allait se récrier, chercher autre chose; mais, devant l'air satisfait de ses nouveaux locataires, il se tut, se contentant d'échanger avec sa femme un regard d'étonnement.
– Demain il fera jour, dit-il avec sa pointe de moquerie bourgeoise; vous pourrez vous meubler comme vous l'entendrez. Rose va monter enlever les fruits et faire les lits. Si vous voulez attendre un instant sur la terrasse… Allons, donnez deux chaises, mes enfants.
Les enfants, depuis l'arrivée du prêtre et de sa mère, étaient demeurés tranquillement assis devant la table. Ils les examinaient curieusement. L'abbé n'avait pas semblé les apercevoir; mais madame Faujas s'était arrêtée un instant à chacun d'eux, les dévisageant, comme pour pénétrer