La Conquête de Plassans. Emile Zola
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Les soirées se succédant, on était arrivé aux premiers jours de février. Dans leur tête-à-tête, il semblait que l'abbé Faujas évitât soigneusement de causer religion avec Marthe. Elle lui avait dit une fois, presque gaiement:
– Non, monsieur l'abbé, je ne suis pas dévote, je ne vais pas souvent à l'église… Que voulez-vous? À Marseille, j'étais toujours très-occupée; maintenant, j'ai la paresse de sortir. Puis, je dois vous l'avouer, je n'ai pas été élevée dans des idées religieuses. Ma mère disait que le bon Dieu venait chez nous.
Le prêtre s'était incliné sans répondre, voulant faire entendre par là qu'il préférait ne pas causer de ces choses, en de telles circonstances. Cepandant, un soir, il traça le tableau du secours inespéré que les âmes souffrantes trouvent dans la religion. Il était question d'une pauvre femme que des revers de toute sorte venaient de conduire au suicide.
– Elle a eu tort de désespérer, dit le prêtre de sa voix profonde. Elle ignorait sans doute les consolations de la prière. J'en ai vu souvent venir à nous, pleurantes, brisées, et elles s'en allaient avec une résignation vainement cherchée ailleurs, une joie de vivre. C'est qu'elles s'étaient agenouillées, qu'elles avaient goûté le bonheur de s'humilier dans un coin perdu de l'église. Elles revenaient, elles oubliaient tout, elles étaient à Dieu.
Marthe avait écouté d'un air rêveur ces paroles, dont les derniers mots s'alanguirent sur un ton de félicité extra-humaine.
– Oui, ce doit être un bonheur, murmura-t-elle comme se parlant à elle-même; j'y ai songé parfois, mais j'ai toujours eu peur.
L'abbé ne touchait que très-rarement à de tels sujets; au contraire, il parlait souvent charité. Marthe était très-bonne; les larmes montaient à ses yeux, au récit de la moindre infortune. Lui, paraissait se plaire, à la voir ainsi frisonnante de pitié; il avait chaque soir quelque nouvelle histoire touchante, il la brisait d'une compassion continue qui la faisait s'abandonner. Elle laissait tomber son ouvrage, joignait les mains, la face toute douloureuse, le regardant, pendant qu'il entrait dans des détails navrants sur les gens qui meurent de faim, sur les malheureux que la misère pousse aux méchantes actions. Alors elle lui appartenait, il aurait fait d'elle ce qu'il aurait voulu. Et souvent, à l'autre bout de la salle, une querelle éclatait, entre Mouret et madame Faujas, sur un quatorze de rois annoncé à tort ou sur une carte reprise dans un écart.
Ce fut vers le milieu de février qu'une déplorable aventure vint consterner Plassans. On découvrit qu'une bande de toutes jeunes filles, presque des enfants, avaient glissé à la débauche en galopinant dans les rues; et l'affaire n'était pas seulement entre gamins du même âge, on disait que des personnages bien posés allaient se trouver compromis. Pendant huit jours, Marthe fut très-frappée de cette histoire, qui faisait un bruit énorme; elle connaissait une des malheureuses, une blondine qu'elle avait souvent caressée et qui était la nièce de sa cuisinière Rose; elle ne pouvait plus penser à cette pauvre petite, disait-elle, sans avoir un frisson par tout le corps.
– Il est fâcheux, lui dit un soir l'abbé Faujas, qu'il n'y ait pas à Plassans une maison pieuse, sur le modèle de celle qui existe à Besançon.
Et pressé de questions par Marthe, il lui dit ce qu'était cette maison pieuse. Il s'agissait d'une sorte de crèche pour les filles d'ouvriers, pour celles qui ont de huit à quinze ans, et que les parents sont obligés de laisser seules au logis, en se rendant à leur ouvrage. On les occupait, dans la journée, à des travaux de couture; puis, le soir, on les rendait aux parents, lorsque ceux-ci rentraient chez eux. De cette façon, les pauvres enfants grandissaient loin du vice, au milieu des meilleurs exemples. Marthe trouva l'idée généreuse. Peu à peu, elle en fut envahie au point qu'elle ne parlait plus que de la nécessité de créer à Plassans une maison semblable.
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