Tamaris. Жорж Санд

Чтение книги онлайн.

Читать онлайн книгу Tamaris - Жорж Санд страница 7

Tamaris - Жорж Санд

Скачать книгу

que je lui eus expliqué, pour la rassurer, l'objet de ma demande, elle me regarda avec attention, et me dit:

      – Ne seriez-vous pas le docteur ***?

      – Précisément.

      – Eh bien, vous êtes ici chez mademoiselle Roque. Entrez, monsieur, on s'attendait à l'honneur de votre visite.

      Je montai une douzaine de marches derrière elle, et je me trouvai avec surprise dans un très-joli salon entièrement meublé à l'orientale. Je me rappelai alors que la défunte mère de mademoiselle Roque était une Indienne de Calcutta, et je crus reconnaître là les vestiges de l'héritage maternel; mais je ne fus pas longtemps occupé de l'étrangeté de ce riche mobilier dans une maison si misérable. Mademoiselle Roque, car c'était elle en personne qui m'introduisait dans son sanctuaire, devenait tout d'un coup pour moi un bien autre objet de surprise et de curiosité. Elle offrait dans toute sa personne un mélange singulier de races, et ce mélange avait produit un de ces types indéfinissables que l'on rencontre parfois dans les régions maritimes commerçantes, et en Provence particulièrement. Elle était petite et grasse, très-brune, mais non mulâtre; une peau unie magnifique, des yeux superbes, un peu trop longs pour le reste de sa figure, qui était courte et sans autre expression que celle d'une curiosité enfantine; le nez arqué, les lèvres fortes et fraîches, de beaux bras, de petites mains effilées et paresseuses, de belles poses, de la grâce dans les mouvements, un air de nonchalance qui semblait trahir l'absence complète de la réflexion; un ensemble de séductions toutes physiques qui n'éveillait dans l'esprit aucun intérêt puissant ou délicat. «Elle est très-belle!» voilà tout ce qu'on pouvait dire d'elle. L'idée ne venait pas de chercher dans son cœur ou dans son cerveau l'âme de sa beauté. Comme elle était trop belle pour sourire, rougir ou s'effrayer de quoi que ce soit, son accueil était impassible. La tranquille froideur de ses manières mit les miennes à l'unisson.

      Sa toilette, car elle était en toilette, était métissée comme sa figure. Sur une robe de soie de Lyon très-garnie de franfreluches et très-mal faite, elle portait une sorte de draperie en foulard qui n'était ni châle ni manteau; ses cheveux, divisés en nombreuses petites nattes, pendaient sur son dos, et je vis sur la table, auprès d'elle, un de ces petits chapeaux de feutre à plumes blanches, que les Françaises ont eu l'esprit de mettre à la mode pour la campagne, et qu'elles devraient avoir celui de porter à la ville.

      Un superbe narghileh était posé à terre devant une pile de riches carreaux. Était-ce pour l'ingrat dont la négligence, au dire de sa négresse, la faisait pleurer? Mais ces beaux yeux d'émail, fixes comme ceux d'un sphinx, connaissaient-ils les larmes?

      Je m'adressais rapidement ces deux questions, lorsque je vis mademoiselle Roque repousser du pied le tapis, comme s'il n'eût pas dû être profané par un étranger, m'offrir un siége et s'asseoir elle-même sur le divan, ni plus ni moins qu'une Française qui se dispose à faire la conversation; mais elle ne trouva rien à me dire, et ne chercha rien; ce qui, je le reconnus, valait mieux que de parler à tort et à travers. J'avais donc à faire tous les frais de la conversation. J'allai droit au but en lui parlant du projet de notre avoué dans mon intérêt comme dans le sien.

      Quand elle m'eut bien écouté sans donner le moindre signe d'assentiment ou de répugnance:

      – Que voulez-vous que je pense de cela? me dit-elle. Je n'y entends rien. Je sais que me voilà très-gênée. J'avais toujours compté sur la petite fortune de mon père. Ma pauvre mère ne savait seulement pas qu'elle ne fût pas bien mariée avec lui, et il n'y a pas longtemps que je le sais moi-même. J'ai toujours vécu sans rien comprendre à l'argent, et je ne savais pas qu'il faut en avoir beaucoup pour vivre en France. Je suis pourtant Française; mais on ne m'a rien appris de ce qu'il faudrait savoir. Mon père disait que j'en aurais assez. Je croyais qu'il avait pensé à tout; mais vous savez comment le pauvre homme est mort!

      – D'un coup de sang, m'a-t-on dit?

      – Oh! non, d'un coup de pistolet.

      – Comment! il s'est battu?

      – Mais non! il s'est tué.

      Mademoiselle Roque me fit cette réponse avec un sang-froid tout fataliste, et elle ajouta en bonne chrétienne: «Dieu lui pardonne!» du ton dont elle aurait dit la phrase sacramentelle des Orientaux: «C'était écrit.»

      – Vous ne savez donc pas? reprit-elle en voyant ma surprise. Je croyais qu'on vous l'aurait dit en confidence. On l'a caché parce que les prêtres lui auraient refusé la terre sainte, et parce que le peuple d'ici aurait peut-être brûlé la maison. Ils ont bien assez crié contre nous dans le pays, parce que ma mère était de la religion de ses pères. Ils auraient dit que c'était la cause du péché de suicide commis ici. Vous voyez qu'il ne faut pas en parler à ceux qui n'ont rien su.

      – Je m'en garderai bien! mais M. Roque avait donc quelque grand chagrin?

      – Non, il s'ennuyait. Il disait qu'il avait assez vécu. Il avait la goutte, il ne pouvait plus sortir, il n'avait plus de patience. Voulez-vous voir ce qu'il a écrit avant de mourir?

      – Oui; si c'est quelque disposition en votre faveur, je vous réponds que ma famille la respectera, fût-elle illégale.

      – Oh! il n'est pas question de moi, reprit mademoiselle Roque en tirant d'un sachet de soie parfumé un papier maculé de sang qu'elle toucha sans frémir. Je lus ces mots:

      «Cachez mon suicide, si c'est possible; mais, si quelqu'un était soupçonné, produisez cet écrit. Je meurs de ma propre main.

»JEAN ROQUE».

      – Il ne vous aimait donc pas? dis-je à mon hôtesse impassible.

      – Je ne sais pas, répondit-elle sans aucune amertume.

      Et je vis alors deux grosses larmes se détacher de ses yeux et tomber sur ses joues, qu'elle ne songea point à essuyer. Ces larmes ne rougirent pas ses paupières et ne leur imprimèrent pas la moindre contraction. Elle pleurait sans effort et sans que le cœur parût prendre aucune part à l'acte de sa douleur. Elle me paraissait si extraordinaire, que je ne pus me défendre de lui demander, bien ou mal à propos, dans quelle religion elle avait été élevée.

      – Je suis chrétienne, répondit-elle. J'ai été baptisée et j'observe la vraie religion.

      – Mais votre mère?..

      – Ma mère était de race mêlée. Elle était de l'Inde; mais elle y avait été élevée dans la loi du Coran, et mon père n'a jamais exigé qu'elle changeât sa manière d'aimer Dieu, qui était bonne aussi.

      Il fallait conclure sur nos intérêts respectifs, et je vis bien qu'elle ne le pouvait pas, faute des plus simples notions sur le monde pratique. Elle me paraissait en proie à un découragement complet de sa situation, acceptée avec la plus complète inertie. Je voulus en vain réveiller en elle quelque esprit de prévoyance; je me permis quelques questions. Elle m'apprit qu'elle ne possédait rien au monde que la terre qui entourait sa maison, les meubles et bijoux qui remplissaient la pièce où nous nous trouvions.

      – A quoi évaluez-vous tout cela? me dit-elle. On m'a dit que j'en tirerais un peu d'argent.

      – Pour cela, lui dis-je, je n'en sais pas plus que vous. Avez-vous confiance en quelqu'un dans votre voisinage?

      – J'ai confiance en tout le monde, répondit-elle avec une candeur qui me toucha.

      – Me permettez-vous d'en causer avec M. Pasquali et M. Aubanel?

      – Certainement.

Скачать книгу