Choix de contes et nouvelles traduits du chinois. Various

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Choix de contes et nouvelles traduits du chinois - Various

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un poisson d'une belle couleur d'or, de l'espèce dite Ly-Yu, qu'il voulait vendre. Le docteur acheta ce poisson; mais, à l'instant où il se disposait à le faire rôtir pour l'offrir à sa mère, il s'aperçut que l'animal se débattait, ouvrait et refermait les yeux. «J'ai entendu dire, songea Kwang-Jouy tout stupéfait, que quand les anguilles ou les autres poissons agitent ainsi les yeux, c'est un avertissement qu'il ne faut pas négliger.» Il alla donc demander au pêcheur où il avait pris ce poisson. «A dix lys12 d'ici, répondit l'étranger, dans le fleuve Hong-Kiang.»

      A ces mots, Kwang-Jouy prit l'animal et courut le remettre dans l'eau; puis, après avoir rendu la vie à cet être créé, il vint annoncer cette bonne action à sa mère. «Rendre la vie aux animaux est une œuvre méritoire, dit la vieille dame; et ce que vous avez fait là me remplit de satisfaction» – Ma mère, reprit Kwang-Jouy, voilà déjà trois jours que nous sommes ici, le délai accordé pour la route va bientôt expirer; votre fils désire se remettre en marche demain: mais comment est la santé de ma mère? – Pas très mauvaise, répartit Tchang-Chy; cependant voyager par une saison aussi chaude pourrait, je le crains, aggraver mon indisposition. Louez une chambre, laissez-moi de quoi y vivre jusqu'à ce que je sois rétablie, et partez devant tous deux: aux premières fraîcheurs de l'automne, vous viendrez me chercher.»

      Ce plan fut communiqué par le docteur à son épouse, qui l'adopta. Ils firent leurs adieux à Tchang-Chy et se mirent en route.

      La difficulté des chemins leur causait beaucoup de fatigue; après avoir marché tout le jour, la nuit ils faisaient halte. Enfin ils arrivèrent à l'endroit où l'on s'embarque sur le fleuve Hong-Kiang, et là ils rencontrèrent les deux mariniers Lieou-Hong et Ly-Pieou, qui venaient en ramant vers le rivage où ils étaient arrêtés.

      Dans une existence antérieure, Kwang-Jouy avait été destiné à devenir la victime d'une grande infortune, et il allait ainsi au-devant de son ennemi. Les bagages portés par son ordre sur le bateau, son épouse et lui s'embarquèrent avec leurs domestiques.

      Le patron de la barque, Lieou-Hong, fixa ses regards sur la jeune femme. Son visage était arrondi comme la pleine lune, ses yeux brillaient comme les flots en automne13, sa bouche petite et fraîche ressemblait à une cerise, sa taille de guêpe offrait la flexibilité du saule, elle avait la grâce du poisson qui plonge sous les eaux ou de la mouette qui se laisse tomber du haut des cieux: sa beauté éclipsait la lune et faisait honte à la fleur. Tant de charmes firent naître de mauvais desseins dans le cœur du batelier, qui les communiqua à son compagnon Ly-Pieou. Par suite de leur complot, le bateau fut dirigé sur une plage déserte, et vers la troisième veille de la nuit, au milieu du silence et de l'obscurité, ils commencèrent par tuer les domestiques, puis massacrèrent Kwang-Jouy et jetèrent son corps au milieu des eaux.

      A la vue de son mari égorgé, Ouen-Kiao allait se précipiter dans le fleuve; mais Lieou-Hong la retint. «Si vous obéissez, lui dit-il, tout ce que vous pourrez souhaiter vous sera accordé; si au contraire vous me résistez, je vous frappe avec ce poignard.» La jeune dame ne savait quel parti prendre. Il lui fallut forcément se soumettre aux circonstances, et elle resta à la merci du brigand. Après avoir atteint la rive méridionale du fleuve, Lieou-Hong remit le bateau entre les mains de son complice Ly-Pieou; et, ayant revêtu les habits et pris le diplôme du malheureux magistrat, il se rendit avec sa veuve dans le Kiang-Tcheou pour y remplir la charge de sa victime.

      Or, les cadavres des domestiques assassinés par le bandit avaient flotté au fil de l'eau, tandis que celui de Kwang-Jouy était allé à fond. L'esprit préposé à l'inspection des mers, qui se trouvait à l'embouchure du fleuve, l'aperçut et, avec la rapidité de l'étoile qui file, il courut faire son rapport au roi des dragons, qui était assis sur son trône. «Un lettré inconnu, lui dit-il, a été égorgé il n'y a qu'un instant, à l'entrée du fleuve Hong-Kiang, son corps est descendu au fond des eaux.»

      Le roi des dragons se fit apporter le cadavre et, après l'avoir considéré attentivement, il s'écria: «C'est l'homme généreux qui m'a sauvé la vie! Par qui donc a-t-il été mis à mort?» Puis il ajouta: «Un bienfait reçu mérite une récompense égale: je dois de mon côté le rappeler à la vie, pour reconnaître le service qu'il m'a rendu ces jours passés.»

      Il écrivit de suite un billet, et chargea ce même satellite de le porter au génie qui préside à la ville principale Hong-Tcheou. Dans cette lettre le roi des dragons priait ce dernier de lui rendre l'ame du docteur défunt, afin qu'il pût la rappeler à la vie. Le dieu tutélaire de la ville ordonna à un petit génie de prendre l'ame de Kwang-Jouy et de la remettre à l'envoyé du roi des dragons.

      Celui-ci, muni de son précieux dépôt, le transporta au fond des eaux dans le palais de son maître. – «Lettré, quel est ton nom? quelle est ta patrie? comment es-tu tombé dans ce malheur? et pour quelle cause as-tu été victime d'un assassinat?» – A ces questions, Kwang-Jouy salua respectueusement le roi des dragons, lui raconta toute son histoire et le supplia de le faire revivre.

      «Eh bien! reprit alors le dieu des mers14, ce petit poisson d'or que tu as remis dans l'eau, c'est moi. Si l'homme auquel je dois la vie se trouve à son tour dans le même danger, pourrais-je ne pas le sauver?» A ces mots, il releva le cadavre de Kwang-Jouy, plaça dans sa bouche un certain nombre de pierres précieuses pour empêcher la dissolution du corps; puis, quelques jours après que son ame fut réintégrée, il lui dit: «Maintenant que tu as recouvré la vie, les circonstances t'obligent à vivre dans l'empire des eaux: restes-y avec un grade à ma cour.»

      Cette offre fut acceptée avec empressement par Kwang-Jouy, qui en exprima sa gratitude au roi des dragons.

      Mais revenons à la veuve du docteur. – Dans son aversion pour l'assassin de son époux, elle ne voulait se nourrir que de légumes et dormait sur la dure. Cependant elle était enceinte et ignorait de quel sexe serait l'enfant qu'elle devait mettre au jour15; dans cette perplexité, elle avait dû obéir à la force des événements et suivre Lieou.

      Bientôt ils arrivèrent dans le Kiang-Tcheou; les greffiers et les employés inférieurs de la cour allèrent au-devant de celui qu'ils prenaient pour le magistrat. Les fonctionnaires subalternes vinrent eux-mêmes à l'hôtel complimenter, d'après l'ordre de leur rang, le nouveau préfet. «En acceptant cet emploi, leur dit Lieou-Hong, je compte sur le concours de vos lumières pour aider mes faibles talents. – Seigneur, répondirent les magistrats, votre rare génie, votre haute capacité suffiront; vous regarderez le peuple comme votre fils, l'équité présidera à vos jugements et les punitions seront appliquées avec impartialité: tel est l'espoir de vos subordonnés. De grâce, daignez être moins humble!» Après cette visite, ils se retirèrent.

      Les instants fuient avec rapidité. – Un jour que Lieou-Hong était sorti pour des affaires publiques, la jeune dame restée à l'hôtel était occupée du souvenir de son époux et de sa belle-mère, et elle se désolait dans la galerie si bien décorée de sa nouvelle demeure. Tout-à-coup elle se sentit malade, de violentes douleurs l'assaillirent: elle s'évanouit. Bientôt elle donna naissance à un fils, et une voix se fit entendre, qui disait: «Jeune dame, prêtez l'oreille à mes paroles. Je suis le génie du pôle sud, la déesse Kwan-Yn m'envoie vous offrir ce fils: un jour sa réputation sera immense et sans rivale; Lieou-Hong cherchera à le faire périr, veillez de tout votre cœur à sa conservation. Votre époux a été sauvé par le roi des dragons; dans quelque temps vous et lui resserrerez les liens d'affection qui vous unissaient, et une éclatante vengeance confondra votre ennemi: un jour viendra où vous vous souviendrez de tout ceci. Rassurez-vous donc et reprenez vos sens.» Puis la voix se tut.

      Revenue à elle, la jeune mère grava dans son esprit les paroles qu'elle venait d'entendre et serra son enfant dans ses

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<p>12</p>

Une lieue.

<p>13</p>

Le mot Tsieou-Po (Vagues d'automne) exprime souvent, par élégance, deux beaux yeux de femme.

<p>14</p>

Toute cette histoire roule sur la croyance que la carpe couleur d'or (Kin-Ly-Yu) se change en dragon à certaine époque de l'année.

<p>15</p>

L'idée de cette phrase, traduite trop mot à mot, est celle-ci: Elle ignorait si elle ne mettrait pas au monde un fils qui dût un jour venger son père.