Le second rang du collier. Gautier Judith

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Le second rang du collier - Gautier Judith

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accueillis par les jurements et les miaulements des chats épouvantés, et par des cris de toute espèce:

      – Prenez garde aux chats!.. N'entrez pas!.. Tenez vos chiens!..

      – Ici! Stop!.. Tiby, allez coucher!..

      Et, quand on était parvenu à refermer la porte sur les chiens expulsés, ils rentraient aussitôt, d'un bond, par la fenêtre, et les imprécations recommençaient de plus belle.

      Chaque jour, la scène se renouvelait, au moment où l'on servait le café, sans que M. Robelin, en fût le moins du monde troublé.

      Post prandium stabis,

      Seu passus mille meabis,

      C'est mon père qui récite ce précepte de l'école de Salerne, en nous entraînant sur la terrasse, après le déjeuner, pour nous promener et causer.

      – Il faudrait traduire cela en vers français, dit-il, mais ça n'est pas très commode… Que penses-tu de ce distique, cependant?..

      Après dîner, debout tu te tiendras,

      Ou seulement mille pas tu feras.

      – Hein! est-ce assez mirlitonesque et proverbial?

      – C'est très bien!

      – En tout cas, c'est exact et ça rime.

      Et nous faisons les mille pas.

      C'est l'heure la plus charmante de la journée, celle où le père est vraiment à nous, et qu'il prolonge d'ailleurs autant qu'il le peut.

      La terrasse est extrêmement agréable pour ces lentes promenades. A l'angle de la salle à manger, elle s'épanouit et forme la cour, élargie qu'elle est de toute l'épaisseur de la maison: les fenêtres, de ce côté-là, font face au pavillon du jardinier, tout enguirlandé de vigne vierge. Plus loin, la terrasse reprend sa largeur initiale, en longeant la maison du propriétaire et une autre petite maison mitoyenne. Il n'y a pas de séparation, pas de barrière; là-bas, un escalier de pierre, qui fait pendant au nôtre, descend, lui aussi, vers les jardins, entre des vases de fonte, où les fuchsias alternent avec les géraniums. Rien ne gêne la vue, par-dessus le parapet, vers la fuite des allées et les vallonnements des pelouses où penchent des abricotiers.

      Le propriétaire, un M. Achard, lapidaire, qui habite Paris, ne vient, avec sa famille, que du samedi au lundi; le reste de la semaine, tout est clos chez lui, et nous pouvons marcher d'un bout à l'autre de la terrasse, ce qui fait près d'une centaine de pas.

      De notre côté, la promenade s'achève devant un mur assez élevé, couvert de lierre du haut en bas, et toujours agité d'un chamaillis de pierrots. Ce mur joint d'un bout notre maison et de l'autre le parapet de la terrasse. C'est le coin le plus frais et on y trouve toujours de l'ombre. Quand on est fatigué de marcher, le mur bas de la terrasse, avec ses larges dalles, offre un banc des plus commodes. Mon père s'y assied, le bout de son pied touchant encore le pavé; pour nous, c'est un peu plus haut: il nous faut prendre un élan, et, une fois assises, laisser pendre nos jambes.

      C'est là que tous trois nous faisons assaut de mémoire, en récitant des vers de la Légende des siècles:

      Charlemagne, empereur à la barbe fleurie …

      Et nous continuons, nous entr'aidant. Quand un ne sait plus, l'autre sait. Nous menons ainsi le poème assez loin. Puis, tout à coup, un vers nous arrête … il se dérobe … personne ne sait plus…

      – Va prendre le bouquin! dit mon père.

      – Non, non … ça n'est pas de jeu!

      Et nous cherchons, par des raisonnements, par l'alternance des rimes, tout fiers quand nous retrouvons enfin le vers.

      Ou bien nous parlons de nos livres préférés. Mon père trouve un grand plaisir à reprendre l'impression qu'une lecture lui a laissée, à la faire chatoyer devant l'esprit, comme une belle étoffe sous la lumière.

      – Ce Scarabée d'or d'Edgar Poë, est-ce assez étonnant! Quelle clarté! quelle simplicité apparente, quelle précision mathématique, qui rend même les choses impossibles parfaitement vraisemblables et même évidentes!.. L'as-tu relu récemment? Crois-tu que tu serais capable, si tu trouvais un parchemin mystérieux, de découvrir la clé du cryptogramme et de déterrer le trésor… Moi, je sens que j'aurais beau me pressurer la cervelle, je ne déchiffrerais pas la formule et resterais pauvre comme devant.

      – Je ne chercherais même pas à comprendre, répondis-je, tant cela me semble difficile! Mais il y a quelque chose que je ne comprends pas non plus, dans cette nouvelle si admirable, c'est la façon dont elle est composée…

      – Quoi! oserais-tu dire qu'elle n'est pas bien composée?.. Ton âge a toutes les audaces!

      – Je ne veux pas dire qu'elle est mal composée. Je voudrais savoir pour quelle raison Edgar Poë a choisi cette manière de composition, au lieu de l'autre, qui aurait été, il me semble, encore plus émouvante.

      – Tu m'étonnes… Quelle autre? Voyons, dis ton affaire.

      – Pourquoi la découverte du trésor est-elle réalisée avant l'explication du parchemin mystérieux qui en indique la place? Il était plus naturel de suivre William Legrand dans les émotions du déchiffrement, les recherches à travers l'île et enfin les péripéties de la découverte, – que l'erreur du nègre, qui confond l'œil gauche de la tête de mort avec l'œil droit, suffit à dramatiser. – Edgar Poë prend le sujet à rebours, et c'est seulement après le dénouement, qu'il explique comment il a pu l'amener.

      – Ta remarque est judicieuse, dit mon père: on s'attend, en effet, après le départ de son ami, à ce que Legrand reprenne le parchemin, pour l'étudier dans la solitude. Cela tourne autrement et c'est très bien tout de même, peut-être mieux, puisque c'est plus imprévu. L'auteur, sans doute, n'a justement pas voulu faire comme un autre aurait fait; ou bien cette façon de procéder eût entraîné plus de développement que n'en comportait la dimension d'une nouvelle: la nouvelle est une forme parfaite, mais a ses exigences et demande même souvent le sacrifice du sujet, qui pourrait fournir tout un roman… Enfin je ne sais pas exactement quelle a été l'idée d'Edgar Poë; mais ce qui m'étonne, c'est qu'une gamine comme toi ait eu celle de faire une pareille observation. Cela me prouve, comme je te l'ai dit plusieurs fois, que tu as un sens littéraire très juste et que tu es très coupable de ne pas vouloir essayer d'écrire … quand ce ne serait que pour me faire plaisir!

      – Je t'assure que, devant un papier, il ne me vient aucune idée, je ne trouve rien du tout. Comme Balzac aurait fait dire à Mistigris:

      La critique est Thésée et l'art est Hippolyte!

      – Prends garde, justement, que le sens critique ne soit déjà trop développé chez toi et ne t'empêche d'achever un travail. Tu te jugeras toi-même, tout de suite, trop sévèrement, et, quand on commence, il ne faut pas se juger: on a besoin d'une grande naïveté, d'une confiance absolue en son génie, on doit se trouver superbe et triomphant, quitte à en rabattre plus tard.

      – J'en suis déjà à ce plus tard.

      – C'est très mal! Tu me forceras à t'enlever ce titre de: «Mon dernier espoir», que je t'avais donné… Mon dernier espoir sera trompé, comme tous les autres.

      – Non, non, père, ne me l'enlève pas! m'écriai-je en

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