Le capitaine Coutanceau. Emile Gaboriau

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Le capitaine Coutanceau - Emile Gaboriau

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d’un éclat de rire, en disant:

      – A merveille!.. Je vois que j’ai eu ce rare bonheur d’être secourue par un philosophe… Je doute seulement, citoyen, que vos beaux principes eussent suffi à me tirer des mains des patriotes qui voulaient m’écharper… Les poings du robuste sans-culotte qui est venu à notre secours m’inspireraient plus de confiance… Vous le connaissez beaucoup, ce sans-culotte?

      – C’est un des geindres… je veux dire un des garçons de mon père.

      – Et il vous est dévoué.

      – Aveuglément.

      – De sorte que, si vous lui commandiez quelque chose, n’importe quoi, il ne réfléchirait ni ne discuterait… il obéirait.

      – Je le crois, mademoiselle…

      Elle parut réfléchir, et moi j’essayai de mettre un peu d’ordre dans mes idées en déroute.

      Si naïf que je fusse, je comprenais bien, désormais, que ce n’était pas une ouvrière que j’avais au bras, et je n’en admirais que plus son sang-froid, son courage, et jusqu’à son aisance superbe à se moquer de moi.

      Cependant, nous étions arrivés au coin de la rue du Bac, et je cherchais des yeux quelque établissement où ma protégée pût réparer le désordre de sa toilette, désordre dont elle ne s’apercevait pas, mais qui provoquait les quolibets des passants.

      J’allais me décider à la conduire chez un petit traiteur de la rue de Grenelle, quand j’aperçus de loin Fougeroux, qui arrivait en se dandinant lourdement selon sa coutume.

      J’en eus un mouvement de joie, car, malgré ma confiance en sa force prodigieuse, songeant au nombre de ses adversaires, et qu’ils pouvaient se raviser, j’étais inquiet.

      J’entraînai donc vivement ma protégée à sa rencontre, et dès qu’il fut à portée de la voix:

      – Eh bien!.. lui criai-je.

      Il haussa dédaigneusement les épaules, et riant de son large rire, qui lui fendait la bouche jusqu’aux oreilles:

      – Les citoyens ont compris que j’avais raison, répondit-il, et ils m’ont payé une bouteille.

      Puis, s’adressant à notre inconnue:

      – Maintenant, toi, citoyenne, lui dit-il, voudrais-tu nous faire le plaisir de nous dire pourquoi ces braves patriotes t’en voulaient si fort?

      Elle rougit un peu, mais c’est du ton le plus dégagé qu’elle répondit:

      – C’est ce qu’ils ont oublié de m’apprendre.

      A l’air capable dont Fougeroux hocha la tête, je vis bien que ses adversaires avaient dû parler, et qu’il était travaillé de défiances.

      – A d’autres!.. grogna-t-il. Des patriotes sont incapables de malmener, sans raison, une jeune fille comme toi… Je les ai interrogés, ils prétendent que tu n’es qu’une aristocrate déguisée, une émissaire de Coblentz et des Prussiens…

      – Ah! ils prétendent cela.

      – Mais, oui… Au moment où la reine quittait le champ de la Fédération, ils t’ont vue te faufiler jusqu’à son carrosse et lui jeter un billet…

      Je pensais qu’elle allait essayer de nier: point.

      – Et après!.. fit-elle audacieusement. Existe-t-il donc une loi qui défende de remettre un placet à la reine de France!..

      Je voyais que la colère la gagnait et je sentais son bras se dégager peu à peu du mien.

      Je frémis à l’idée qu’elle pouvait nous planter là, que je ne saurais rien d’elle, que je ne la reverrais plus…

      Imposant donc silence à Fougeroux, dont la grossièreté me révoltait, je me retournai vers la jeune fille, et du ton le plus humble:

      – Croyez, mademoiselle, dis-je, que ce citoyen n’a nullement eu l’intention de vous offenser… Et la preuve c’est qu’il sera, de même que moi, trop heureux de vous escorter jusqu’à votre domicile…

      Visiblement elle hésita.

      – En vérité, citoyen, me dit-elle, je ne sais si je dois accepter votre offre… je ne vous ai déjà causé que trop d’embarras.

      – Je vous en prie, insistai-je.

      – Vous le voulez, fit-elle, soit, venez.

      Et reprenant mon bras, elle m’entraîna du côté du Pont-Royal, si rapidement qu’on eût dit qu’elle essayait de distancer Fougeroux, lequel, les mains dans les poches et sifflant la Carmagnole, marchait obstinément sur nos talons.

      Mais, comme bien vous le pensez, je ne remarquais pas ce détail. Je ne pouvais détacher mon esprit de cette idée que j’allais être séparé de cette étrange jeune fille. Et la douleur que j’en ressentais me donnait du courage.

      – Ne saurai-je donc pas, mademoiselle, demandai-je, à qui j’ai eu le bonheur de rendre service.

      – On vous l’a dit, répondit-elle en souriant, à une aristocrate déguisée.

      – Ainsi, vous ne me laisserez même pas l’espérance de vous revoir.

      – A quoi bon!..

      – Qui sait… je pourrais peut-être vous être utile encore.

      Elle s’arrêta, et arrêtant sur moi un regard si intense que tout mon sang afflua à mon visage:

      – Bien vrai, monsieur Justin, murmura-t-elle d’une voix d’une douceur infinie, bien vrai; si je vous demandais quelque chose, vous me l’accorderiez…

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