Le capitaine Coutanceau. Emile Gaboriau

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Le capitaine Coutanceau - Emile Gaboriau

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style="font-size:15px;">      Lui, calme autant que s’il eût été devant son pétrin, en profita pour passer sous mon bras le bras de la jeune fille, et nous poussant:

      – Allez, nous dit-il, m’attendre au coin de la rue du Bac… j’en ai pour une minute à régler le compte de ces braves sans-culottes.

      Mais ils étaient déjà revenus de leur surprise, et les trois plus vigoureux se précipitèrent sur Fougeroux, s’accrochant à ses vêtements… Il s’en débarrassa d’un tour de reins, aussi aisément qu’un lion qui secouerait des roquets acharnés à sa peau. Et comme je revenais à son aide:

      – Mais, allez-vous en donc, jarniguié! jura-t-il, vous voyez bien que vous nous empêchez de nous entendre, les citoyens et moi.

      A l’attitude de nos adversaires, je compris que Fougeroux les avait dégoûtés de la bataille, et que toute leur fureur se passait en criailleries.

      Reprenant donc le bras de la jeune fille, je l’entraînai rapidement le long de la rue de Grenelle.

      Ce qui ne laissait pas que de me surprendre, c’est que durant toute cette scène, elle était demeurée muette et impassible.

      Était-ce sang-froid, était-ce au contraire stupeur? Je ne savais.

      Tout en marchant, je l’observais du coin de l’œil. Les couleurs étaient revenues à ses joues, elle allait d’un pas aisé; jamais, à voir son calme, on n’eût soupçonné le danger qu’elle venait de courir…

      Comme de raison, mille questions se pressaient dans mon esprit.

      Qu’était cette jeune fille, et quels étaient ces hommes?.. Qu’avait-elle fait? comment s’était-elle attiré leur colère, et que voulaient-ils d’elle?

      Mais je n’osais interroger… De nous deux, maintenant celui qui tremblait, c’était moi.

      De ma vie, je n’avais approché une femme si belle!.. Qu’était près d’elle la fille de M. Despois, l’armurier, notre voisin, qui avait dans tout le quartier Saint-Honoré un immense renom de beauté!.. J’aurais passé des siècles près de mademoiselle Despois, sans que mon cœur battît plus vite à un moment qu’à l’autre, tandis que près de celle-ci!.. Puis, celle-ci me semblait extraordinairement imposante, en dépit de ses vêtements plus que simples. Il y avait en elle tant de noblesse et tant de grâce en ses moindres mouvements, que près d’elle, mademoiselle Despois, dont on disait qu’elle avait «un port de reine,» aurait eu l’air d’une laveuse de vaisselle.

      Si je puis aujourd’hui vous dire si exactement mes sensations, jugez de ce que je dus éprouver alors!..

      Je mourais d’envie de lui parler, et je n’osais pas… Je sentais très bien que je devais dire quelque chose, et ma langue était comme collée à mon palais… Et plus j’avais conscience du ridicule de ma situation, plus mon embarras redoublait.

      Bien certainement, nous serions allés jusqu’à la rue du Bac sans échanger une parole, si elle n’eût rompu le silence.

      Elle appuya légèrement la main sur mon bras, pour me faire ralentir le pas, et d’une voix qui me parut douce comme une musique céleste:

      – Je vous dois la vie, monsieur, me dit-elle… plus encore, peut-être: l’honneur. Comment pourrai-je jamais m’acquitter envers vous!..

      Je me sentais plus rouge que le feu, et c’est d’une voix étranglée que je balbutiai quelque chose comme ceci:

      – Je suis trop payé, déjà, mademoiselle, par le bonheur d’avoir pu vous être utile en quelque chose… Ce que j’ai fait n’est rien…

      – Comment, rien!.. Vous avez risqué votre vie, monsieur.

      – Ne le croyez pas, mademoiselle…

      – Pardonnez-moi. Ces misérables vous auraient bel et bien massacré, sans ce robuste… citoyen qui nous est venu en aide.

      – Non, mademoiselle, non… Ces gens étaient fort exaltés, c’est vrai, mais croyez bien qu’au fond ils ne sont pas méchants.

      Elle s’arrêta court, et m’examinant attentivement:

      – Croyez-vous vraiment ce que vous dites? me demanda-t-elle.

      – Assurément.

      Pour parler vrai, je ne le croyais qu’à demi et mon accent devait manquer d’assurance. Elle eût cependant l’air de me croire, et se remettant à marcher.

      – Du moins, poursuivit-elle d’un ton moitié plaisant et moitié attendri, du moins vous me direz, je l’espère, le nom de mon sauveur pour que je puisse le joindre à mes prières… Comment vous nommez-vous, monsieur?

      – Justin Coutanceau, mademoiselle…

      Et poussé par un mouvement de vanité:

      – Le prénom de Justin, ajoutai-je, est celui de mon parrain, M. Goguereau, le député de Paris.

      Je sentis que son bras tressaillait sous le mien, et avec une vivacité singulière:

      – Quoi! s’écria-t-elle, vous êtes le filleul de Goguereau!.. C’est bien l’ami de Vergniaud, n’est-ce pas? de Gensonné, de l’ancien ministre Roland, et de tous les Girondins!..

      – Oui, mademoiselle, répondis-je, confondu d’entendre une jeune fille, une ouvrière, parler de tels hommes comme si elle les eût connus.

      Pour la première fois, ma protégée daigna prendre attention à mon humble personne, et elle m’examina d’un rapide et subtil coup-d’œil.

      Mais elle devait être, et fut déroutée, par ma mise, plus recherchée que celle des jeunes gens de ma condition, et aussi par ma taille et ma figure, qui me faisaient paraître quatre ou cinq bonnes années de plus que mon âge.

      – Et vous… citoyen, reprit-elle, vous étudiez sans doute pour devenir un avocat célèbre, comme ces messieurs de l’Assemblée?

      Elle ne disait plus: «monsieur,» elle disait: «citoyen.»

      L’ironie était palpable, elle se moquait de l’Assemblée nationale, et de Justin Coutanceau, par la même occasion.

      – Je n’ai pas une ambition si haute, mademoiselle, répondis-je d’un ton vexé.

      Elle avança dédaigneusement les lèvres et murmura:

      – Oh! si haute!.. si haute!..

      – Je vis chez mon père, ajoutai-je, et je n’ai pas encore de profession.

      – Et que fait votre père!

      – Il est boulanger, mademoiselle.

      – Et… patriote, n’est-ce pas?.. C’est-à-dire grand partisan des idées nouvelles; hantant les clubs et les sections.

      C’était, à ce qu’il me parut, une superbe occasion de prendre ma revanche de ses sarcasmes.

      Me drapant donc de toute la dignité dont j’étais capable:

      – Vous

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