La fille du ciel. Pierre Loti

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La fille du ciel - Pierre Loti

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le grand Sceau de l'État. En vous le remettant, nous vous reconnaissons comme souveraine de l'Empire, pendant la minorité de votre fils bien-aimé. Acceptez le mandat du ciel avec recueillement et piété…

      Deux filles d'honneur descendent les marches du trône, viennent prendre le plateau et vont le déposer sur une autre table toute proche de l'Impératrice.

      PRINCE-FIDÈLE

      O fille du Ciel, que nous jurons de fidèlement servir! Pour achever l'œuvre de vos ancêtres déifiés, n'oubliez jamais les dix préceptes, qui sont la règle de conduite des souverains. Tels qu'ils furent gravés, ici, dans le jade précieux, mon devoir est de vous les relire en ce jour et devant tous.

      Lisant sur un bloc de jade qu'on lui présente.

      Craindre le ciel.

      Aimer le peuple.

      Élever l'esprit.

      Cultiver les sciences.

      Honorer le mérite.

      Écouter les conseils.

      Diminuer les impôts.

      Adoucir les lois.

      Épargner le trésor

      Fuir l'entraînement des sens.

      En obéissant à ces commandements, on est assuré de suivre la voie droite; mais il faut s'y avancer sans distraction ni défaillance. O notre souveraine, soyez attentive et anxieuse, comme si, à toutes les heures de votre vie, vous portiez une coupe trop emplie d'eau, dont pas une goutte ne doit se perdre. Faites ainsi, alors votre œuvre sera juste et votre dynastie ne finira jamais…

      TOUS

      Dix mille années! Dix mille années!

      L'orchestre joue. Prince-Fidèle s'agenouille, fait trois prosternements, se relève, puis retourne à sa place. La musique cesse, un grand silence s'établit, l'Impératrice se lève.

      SCÈNE II

L'IMPÉRATRICE, LA FOULE

      L'IMPÉRATRICE

      Éclaire-moi, ô divine Raison! Esprits de mes ancêtres, descendez en mon esprit, soutenez ma faiblesse, fortifiez mon cœur!..

      Ce sceptre, trop lourd encore pour les mains frêles de mon bien-aimé fils, mes mains de femme auront-elles la force de le porter assez haut?.. Du moins elles ne trembleront pas; elles le tiendront d'une étreinte constante, que la mort seule pourra desserrer. Et vous m'aiderez, tous, mes fidèles, vous m'aiderez de vos conseils, de vos sagesses et de vos courages.

      Le nom indiqué par le Livre des Siècles pour le règne du dernier descendant de la Dynastie Lumineuse est: la Grande Concorde définitive. Mais qu'elle semble encore lointaine, hélas! cette concorde, annoncée depuis les vieux temps de notre histoire, et que nos cœurs meurtris appellent de tous leurs vœux! Au lieu de ce rêve de l'avenir, nous avons le présent terrible, l'incertitude, l'instabilité, la guerre! Et cet Empire dont vous me proclamez souveraine, il faudra, chaque jour, en refaire la conquête; lambeau par lambeau, l'arracher au ravisseur…

      Oh! que de sang, depuis trois siècles! C'est un flot empourpré de sang, qui soutient le navire chargé de nos nobles espoirs!.. Il est ballotté, il fuit devant la tempête, ce navire aux flancs rougis, mais il ne peut pas faire naufrage, car il porte la justice et le droit; un jour, il jettera l'ancre dans le port pacifique, la Dynastie Lumineuse sera rétablie à jamais, – et tous nos morts, dont les débris jonchent la terre, dont les âmes emplissent au-dessus de nous les nuages, nos innombrables morts auront ainsi leur vengeance magnifique et recevront le prix de leur martyre.

      Comme vous tous qui êtes ici, je voue ma vie à cette cause sacrée; mais il ne suffit pas de mourir sans regret, il faut combattre à outrance, nous défendre jusqu'au dernier souffle, afin que notre mort soit féconde.

      Pour reconquérir notre patrie, pour briser le joug qui la déshonore, faisons notre cœur intrépide, notre âme implacable. Ni pitié, ni merci pour le Tartare; que jamais ne s'apaise notre héroïque colère, notre sainte haine!..

      Envers tous les autres vivants, nous connaissons nos devoirs: bienveillance, compassion, charité. Quels que soient les hommes, d'où qu'ils viennent, du Midi, du Nord, de l'Occident avide, à tous ceux qui se diront amis, tendons des mains fraternelles, selon l'immémoriale tradition que, seuls, nos envahisseurs ont violée!

      Je jure, devant vous, ô Mânes de mes ancêtres, et devant vous, ô mes sujets bien-aimés, je jure de veiller sévèrement sur moi-même, de m'appliquer à ne manquer à aucun de mes devoirs, d'être attentive et anxieuse comme si je portais entre mes mains une coupe trop remplie, dont l'eau ne doit pas être renversée; je jure d'affronter la tête haute les menaces de l'avenir, de subir avec résignation la destinée cruelle et de ne pas ciller des paupières même devant le glaive levé sur moi!

      Elle se rassied sur le trône.

      TOUS

      Dix mille années! Dix mille années!

      La musique reprend au fond de la scène. Sur un signe du maître des cérémonies, les mandarins quittent leurs places et viennent se ranger en plusieurs lignes au pied du trône.

      DEUX HÉRAUTS

      Agenouillez-vous!

      D'AUTRES HÉRAUTS, sur les portes, répétant le même ordre à la foule qui est sur les terrasses et dans les cours

      Agenouillez-vous!

      Tous les mandarins s'agenouillent en même temps.

      LES HÉRAUTS

      Prosternez-vous!

      LES HÉRAUTS DES PORTES

      Prosternez-vous!

      Tous les mandarins se prosternent par trois fois en approchant leur front du sol trois fois par chaque prosternement.

      LES HÉRAUTS

      Relevez-vous!

      LES HÉRAUTS DES PORTES

      Relevez-vous!

      Tous les mandarins se relèvent et regagnent leur places.

      UN HÉRAUT

      Que le vice-roi du Sud, au nom de tous, réponde à Sa Majesté.

      Le maître des cérémonies s'approche de l'Empereur tartare et le guide vers le trône. Le petit Empereur de Nang-King échange des signes avec l'Empereur tartare; il lui montre le dragon d'or, suspendu à son cou, tandis que l'Empereur tartare lui fait voir un coin du volant, caché sur sa poitrine. L'Impératrice, surprise, interroge son fils du regard. L'enfant sourit mystérieusement, et se presse contre elle. L'Empereur tartare contemple d'abord l'Impératrice, puis, lentement se prosterne. Il se relève. La musique cesse.

      L'EMPEREUR

      O divine Majesté! Moi, votre esclave, et en ce moment l'un des premiers dignitaires de votre cour, pourquoi donc suis-je si peu de chose? Pourquoi est-elle stérile, ma volonté fervente de créer sous vos pas une route unie et triomphale?.. Oh! devant mon impuissance à dompter le sort menaçant, quel tumulte de désirs et de colère bouleverse mon âme!..

      Et

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