La maison d'un artiste, Tome 2. Edmond de Goncourt

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La maison d'un artiste, Tome 2 - Edmond de Goncourt

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un rarissime journal, à la date d'octobre et de novembre 1796, journal qui n'a eu que trois numéros, et qui ne figure dans aucune collection de la Révolution. Il est intitulé: Journal des femmes du Palais ou tableau de l'état physique et moral des femmes publiques, «rédigé par Cars, officier de santé». Le rédacteur dit avoir pour but de tracer «une carte fidèle de la sphère épicurienne», en prémunissant ses concitoyens des dangers cachés, pour leur santé, sous les fleurs de la capitale6; et commence une série de techniques paragraphes sur les charmes de Sainte-Foix, de Boston, de la novice Émée, de l'adorable Rolando, de Julienne qui sort pour la septième fois de l'hospice des Capucins, et de la femme la mieux faite du Palais, de Fanfan, qui ferait bien de remplacer Julienne là d'où elle vient.

      Il y a chez moi un certain goût pour les livres des écrivains à l'imagination déréglée, aux concepts extravagants, aux idées singulières, – pour les livres un peu fous, ces livres où, selon Montaigne, l'esprit, faisant le cheval échappé, enfante des chimères, – et j'ai de ces livres, sur les planches de ma bibliothèque, une petite collection, dont la préface de l'un d'eux vaut la peine d'être citée:

      «Un littérateur dont l'âme est brûlante et le cerveau exalté, doit, dans la fougue de son délire, être incapable de mettre certaine suite dans ses conceptions, certaine harmonie dans ses discours, comme il n'écrit que par inspiration; quand il a versé sur le papier l'idée qui l'obsédait, il ne doit plus se rappeler ce qu'il a pensé, il ne doit plus savoir ce qu'il va écrire.

      «Si, malgré tous mes aveux et mes protestations, on s'obstine encore à me démontrer que mon ouvrage est extravagant, et que je n'aurais jamais dû le mettre au jour, esprits froids, apathiques géomètres, m'écrierai-je, en lançant un regard de colère sur mes persécuteurs acharnés, qui n'avez jamais senti remuer votre être, tressaillir, fermenter vos facultés, qui n'avez jamais éprouvé le bouleversement d'une âme impétueuse, accablée du poids de ses idées, tourmentée par une excessive énergie et par un besoin d'explosion… Ah! si vous connaissiez les pénibles convulsions d'un enthousiasme retenu, plus indulgents, vous me plaindriez et vous applaudiriez aux débordements de mon imagination… cruels… vous blâmez la ponction salutaire qui a dégagé mon hydropisie, et procuré l'écoulement des eaux putrides et corrosives qui minaient et allaient dissoudre mon existence… Oui, j'ai fait crever l'abcès… J'ai craché un amas prodigieux de glaire et de bile qui m'aurait infailliblement suffoqué… Dieu, votre cœur se soulève… eh bien, éloignez-vous de la dégoûtante cuvette où j'ai vomi, où sont en dépôt tant de matières exécrables… Ne pourrait-on pas conserver, par une espèce de curiosité, ma superfétation étrange, comme un médecin garde, dans un vase d'eau-de-vie, ces môles prodigieuses dont accouchent certaines femmes.» Et le livre qui a cette préface en tête, s'appelle: Cataractes de l'imagination, Déluge de la scribomanie, Vomissement littéraire, Hémorragie encyclopédique, Monstre des Monstres, par Épiménide l'Inspiré. Dans l'antre de Trophonius, au pays des Visions, 1779. Les Cataractes de l'imagination ont pour voisin: Icosameron, ou Histoire d'Édouard et d'Élisabeth, qui passèrent quatre-vingt-un ans chez les Mégamières, habitans aborigènes du protocosme dans l'intérieur de notre globe, traduite de l'anglais, par Jacques Casanova de Seingalt Vénitien. A Prague, à l'Imprimerie de l'École normale, rêve en cinq volumes in-octavo, dans lequel Édouard et Élisabeth, pendant un séjour de quarante ans, en une station de ce monde sublunaire, laissaient quatre millions de descendants produits par l'heureuse propagation des quarante filles dont Élisabeth était accouchée depuis douze ans jusqu'à l'âge de cinquante-deux ans. Et de l'autre côté de l'Icosameron, voici: Morali-philoso-physico-logie des Buveurs d'eaux minérales aux nouvelles sources de Passy, en mai 1787, Divisée par matinées, par M. Tho. Mineau de la Mistringue, l'un des buveurs et leur secrétaire perpétuel, à la Fontaine Cocquerelle, 1787; macédoine bizarre, où il est tour à tour question de la fée Bellie, du développement de la mémoire, grâce au sens interne de la substance cendrée, du jeu de corbillon, des avantages du célibat, du passage d'un convoi de galériens chantant les litanies de la Vierge, de la répartition de l'impôt territorial.

      Mais le plus fou et le plus rare de tous ces livres, un ouvrage que je n'ai pas vu repasser une seule fois en vente depuis trente ans, c'est le: «Mémorial pour servir a l'histoire de la Catinomanie… par l'auteur de Deux Plaintes (M. Buleau) rendues à la fin de 1784, l'une à M. le Procureur Général, l'autre à M. le baron de Breteuil, et d'une brochure qui fait la troisième partie de ces Mélanges, 1787.»

      Dans ce volume in-quarto, qui n'est rien moins qu'érotique, l'auteur débute ainsi:

Chant premier

      Il y eut une fois chez des Ostrogots, peuple catinomane ou catinomaniaque, un particulier qui n'était rien, mais qui ne faisait de mal à personne… ... Et à la suite de ce début, M. Buleau fait entrer en scène la baronne de Gringole, madame Fétiche, madame Pagode, mesdemoiselles Bébé et Catin Bibi, le baron de l'Allure, le vicomte des Gilets, le commandeur des Ruines, monsieur des Cheveux-Gras, et Frétillard et Corniflet, qui se livrent aux digressions les plus entortillées et les plus abracadabrantes, sur toutes les choses discutables de ce monde.

      L'histoire commence, chez moi, avec les vingt volumes en grand papier vélin de Saint-Simon, et, continuant dans les journaux et mémoriaux des ducs de Luynes, de Mathieu Marais, de Barbier, d'Argenson, de Grimm, de Bachaumont, finit avec la collection des Mémoires sur la Révolution, également en papier vélin.

      A la suite des mémoires historiques généraux, s'allonge sans fin la rangée des mémoires et des documents biographiques. Ç'a été pour moi un amusement de faire, aussi complète que possible, la série des «Femmes»7 en groupant autour de noms connus et même inconnus, d'abord les livres se rattachant à quelque partie de l'existence de la femme, puis les actes et les lettres émanant de sa main, puis les pièces véritablement historiques, puis enfin les biographies suivies des pamphlets: le tout terminé par les mémoires et correspondances apocryphes du temps. Du reste, je ne suis pas fâché de donner un modèle de ce classement, et je choisis Mme du Barry.

      Madame du Barry, Constitutions des religieuses de Sainte-Aure à Paris. De l'imprimerie de C. Simon, 1786. (Mme du Barry a été élevée dans cette communauté.)

      – Étrennes de la Cour-Neuve. A la Cour-Neuve, 1774. (Mme du Barry a passé quelques années de sa jeunesse dans cette maison de campagne.)

      – Procès de M. le comte du Barry avec madame la comtesse de Tournon. A Amsterdam, 1781. (Procès de la nièce de Mme du Barry contenant des détails sur la tante.)

      – Lettre autographe de Mme du Barry, lettre d'amour adressée à lord Seymour, ambassadeur d'Angleterre en France.

      – Mémoires de Pajou et Drouais, pour Mme du Barry. (Extrait des Mélanges des bibliophiles.)

      – L'Égalité controuvée, ou Petite Histoire de la Protection. Contenant les pièces relatives à l'arrestation de la Du Barry, ancienne maîtresse de Louis XV… Ce 31 juillet 1793, l'an deuxième de la République une et indivisible. A Paris, chez Galetti… in-8.

      – Acte d'accusation contre Jeanne Vaubernier, femme Dubarry… De l'imprimerie du Tribunal révolutionnaire, in-4o.

      – Mémoires historiques de Jeanne Gomart Vaubernier, comtesse Dubarry, par de Favrolles (Mme Guénard). Lerouge, 1803, 4 vol. in-18.

      – Madame du Barry, par J. – A. Le Roy. Versailles, 1858, in-18.

      – Madame la comtesse du Barry, par Capefigue, Paris, Amyot, 1862, in-18.

      – La du Barry, par

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<p>6</p>

En 1769 avait paru une brochure intitulée: Projet raisonné et moyens immanquables pour arrêter les progrès, empêcher la circulation et détruire jusqu'au principe des maux vénériens dans toute l'étendue du Royaume. Elle est curieuse, cette brochure, en ce qu'elle dit que la maladie vénérienne était, quelques années avant, complètement inconnue en province.

<p>7</p>

Dans ma bibliothèque, la série des hommes est encore plus nombreuse et plus riche en documents rares.