Le Ventre de Paris. Emile Zola

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Le Ventre de Paris - Emile Zola

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J'ai réfléchi à ça toute la semaine… Hein! les beaux légumes, ce matin je suis descendu de bonne heure, me doutant qu'il y aurait un lever de soleil superbe sur ces gredins de choux.

      Il montrait du geste toute la longueur du carreau. La maraîchère reprit:

      – Eh bien, je m'en vais. Adieu… À bientôt, monsieur Claude!

      Et comme elle partait, présentant Florent au jeune peintre:

      – Tenez, voilà monsieur qui revient de loin, paraît-il. Il ne se reconnaît plus dans votre gueux de Paris. Vous pourriez peut-être lui donner un bon renseignement.

      Elle s'en alla enfin, heureuse de laisser les deux hommes ensemble. Claude regardait Florent avec intérêt; cette longue figure, mince et flottante, lui semblait originale. La présentation de madame François suffisait; et, avec la familiarité d'un flâneur habitué à toutes les rencontres de hasard, il lui dit tranquillement:

      – Je vous accompagne. Où allez-vous?

      Florent resta gêné. Il se livrait moins vite; mais, depuis son arrivée, il avait une question sur les lèvres. Il se risqua, il demanda, avec la peur d'une réponse fâcheuse:

      – Est-ce que la rue Pirouette existe toujours?

      – Mais oui, dit le peintre. Un coin bien curieux du vieux Paris, cette rue-là! Elle tourne comme une danseuse, et les maisons y ont des ventres de femme grosse… J'en ai fait une eau-forte pas trop mauvaise. Quand vous viendrez chez moi, je vous la montrerai… C'est là que vous allez?

      Florent, soulagé, ragaillardi par la nouvelle que la rue Pirouette existait, jura que non, assura qu'il n'avait nulle part à aller. Toute sa méfiance se réveillait devant l'insistance de Claude.

      – Ça ne fait rien, dit celui-ci, allons tout de même rue Pirouette.

      La nuit, elle est d'une couleur!.. Venez donc, c'est à deux pas.

      Il dut le suivre. Ils marchaient côte à côte, comme deux camarades, enjambant les paniers et les légumes. Sur le carreau de la rue Rambuteau, il y avait des tas gigantesques de choux-fleurs, rangés en piles comme des boulets, avec une régularité surprenante. Les chairs blanches et tendres des choux s'épanouissaient, pareilles à d'énormes roses, au milieu des grosses feuilles vertes, et les tas ressemblaient à des bouquets de mariée, alignés dans des jardinières colossales. Claude s'était arrêté, en poussant de petits cris d'admiration.

      Puis, en face, rue Pirouette, il montra, expliqua chaque maison. Un seul bec de gaz brûlait dans un coin. Les maisons, tassées, renflées, avançaient leurs auvents comme « des ventres de femme grosse, » selon l'expression du peintre, penchaient leurs pignons en arrière, s'appuyaient aux épaules les unes des autres. Trois ou quatre, au contraire, au fond de trous d'ombre, semblaient près de tomber sur le nez. Le bec de gaz en éclairait une, très-blanche, badigeonnée à neuf, avec sa taille de vieille femme cassée et avachie, toute poudrée à blanc, peinturlurée comme une jeunesse. Puis la file bossuée des autres s'en allait, s'enfonçant en plein noir, lézardée, verdie par les écoulements des pluies, dans une débandade de couleurs et d'attitudes telle, que Claude en riait d'aise. Florent s'était arrêté au coin de la rue de Mondétour, en face de l'avant-dernière maison, à gauche. Les trois étages dormaient, avec leurs deux fenêtres sans persiennes, leurs petits rideaux blancs bien tirés derrière les vitres; en haut, sur les rideaux de l'étroite fenêtre du pignon, une lumière allait et venait. Mais la boutique, sous l'auvent, paraissait lui causer une émotion extraordinaire. Elle s'ouvrait. C'était un marchand d'herbes cuites; au fond, des bassines luisaient; sur la table d'étalage, des pâtés d'épinards et de chicorée, dans des terrines, s'arrondissaient, se terminaient en pointe, coupés, derrière, par de petites pelles, dont on ne voyait que le manche de métal blanc. Cette vue clouait Florent de surprise; il devait ne pas reconnaître la boutique; il lut le nom du marchand, Godeboeuf, sur une enseigne rouge, et resta consterné. Les bras ballants, il examinait les pâtés d'épinards, de l'air désespéré d'un homme auquel il arrive quelque malheur suprême.

      Cependant, la fenêtre du pignon s'était ouverte, une petite vieille se penchait, regardait le ciel, puis les Halles, au loin.

      – Tiens! mademoiselle Saget est matinale, dit Claude qui avait levé la tête.

      Et il ajouta, en se tournant vers son compagnon:

      – J'ai eu une tante, dans cette maison-là. C'est une boîte à cancans… Ah! voilà les Méhudin qui se remuent; il y a de la lumière au second.

      Florent allait le questionner, mais il le trouva inquiétant, dans son grand paletot déteint; il le suivit, sans mot dire, tandis que l'autre lui parlait des Méhudin. C'étaient des poissonnières; l'aînée était superbe; la petite, qui vendait du poisson d'eau douce, ressemblait à une vierge de Murillo, toute blonde au milieu de ses carpes et de ses anguilles. Et il en vint à dire, en se fâchant, que Murillo peignait comme un polisson. Puis, brusquement, s'arrêtant au milieu de la vue:

      – Voyons, où allez-vous, à la fin!

      – Je ne vais nulle part, à présent, dit Florent accablé. Allons où vous voudrez.

      Comme il sortait de la rue Pirouette, une voix appela Claude, du fond de la boutique d'un marchand de vin, qui faisait le coin. Claude entra, traînant Florent à sa suite. Il n'y avait qu'un côté des volets enlevé. Le gaz brûlait dans l'air encore endormi de la salle; un torchon oublié, les cartes de la veille, traînaient sur les tables, et le courant d'air de la porte grande ouverte mettait sa pointe fraîche au milieu de l'odeur chaude et renfermée du vin. Le patron, monsieur Lebigre servait les clients, en gilet à manches, son collier de barbe tout chiffonné, sa grosse figure régulière toute blanche de sommeil. Des hommes, debout, par groupes, buvaient devant le comptoir, toussant, crachant, les yeux battus, achevant de s'éveiller dans le vin blanc et dans l'eau-de-vie. Florent reconnut Lacaille, dont le sac, à cette heure, débordait de légumes. Il en était à la troisième tournée, avec un camarade, qui racontait longuement l'achat d'un panier de pommes de terre. Quand il eut vidé son verre, il alla causer avec monsieur Lebigre, dans un petit cabinet vitré, au fond, où le gaz n'était pas allumé.

      – Que voulez-vous prendre? demanda Claude à Florent.

      En entrant, il avait serré la main de l'homme qui l'invitait. C'était un fort, un beau garçon de vingt-deux ans au plus, rasé, ne portant que de petites moustaches, l'air gaillard, avec son vaste chapeau enduit de craie et son colletin de tapisserie, dont les bretelles serraient son bourgeron bleu. Claude l'appelait Alexandre, lui tapait sur les bras, lui demandait quand ils iraient à Charentonneau. Et ils parlaient d'une grande partie qu'ils avaient faite ensemble, en canot, sur la Marne. Le soir, ils avaient mangé un lapin.

      – Voyons, que prenez-vous? répéta Claude.

      Florent regardait le comptoir, très-embarrassé. Au bout, des théières de punch et de vin chaud, cerclées de cuivre, chauffaient sur les courtes flammes bleues et roses d'un appareil à gaz. Il confessa enfin qu'il prendrait volontiers quelque chose de chaud. Monsieur Lebigre servit trois verres de punch. Il y avait, près des théières, dans une corbeille, des petits pains au beurre qu'on venait d'apporter et qui fumaient. Mais les autres n'en prirent pas, et Florent but son verre de punch; il le sentit qui tombait dans son estomac vide, comme un filet de plomb fondu. Ce fut Alexandre qui paya.

      – Un bon garçon, cet Alexandre, dit Claude, quand ils se retrouvèrent tous les deux sur le trottoir de la rue Rambuteau. Il est très-amusant à la campagne; il fait des tours de force; puis, il est superbe, le gredin; je l'ai vu nu, et s'il voulait me poser des académies, en plein air… Maintenant, si cela vous

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