L'Assommoir. Emile Zola

Чтение книги онлайн.

Читать онлайн книгу L'Assommoir - Emile Zola страница 16

L'Assommoir - Emile Zola

Скачать книгу

Cadet-Cassis, on ne sait jamais s'il veut rire.

      – Ah! oui, madame est la personne, dit à son tour la femme en dévisageant Gervaise. Mon Dieu! nous n'avons pas de conseil à vous donner, nous autres… C'est une drôle d'idée de se marier tout de même. Enfin, si ça vous va à l'un et à l'autre. Quand ça ne réussit pas, on s'en prend à soi, voilà tout. Et ça ne réussit pas souvent, pas souvent, pas souvent…

      La voix ralentie sur ces derniers mots, elle hochait la tête, passant de la figure de la jeune femme à ses mains, à ses pieds, comme si elle avait voulu la déshabiller, pour lui voir les grains de la peau. Elle dut la trouver mieux qu'elle ne comptait.

      – Mon frère est bien libre, continua-t-elle d'un ton plus pincé. Sans doute, la famille aurait peut-être désiré… On fait toujours des projets. Mais les choses tournent si drôlement… Moi, d'abord, je ne veux pas me disputer. Il nous aurait amené la dernière des dernières, je lui aurais dit: Épouse-la et fiche-moi la paix… Il n'était pourtant pas mal ici, avec nous. Il est assez gras, on voit bien qu'il ne jeûnait guère. Et toujours sa soupe chaude, juste à la minute… Dis donc, Lorilleux, tu ne trouves pas que madame ressemble à Thérèse, tu sais bien, cette femme d'en face qui est morte de la poitrine?

      – Oui, il y a un faux air, répondit le chaîniste.

      – Et vous avez deux enfants, madame. Ah! ça, par exemple, je l'ai dit à mon frère: Je ne comprends pas comment tu épouses une femme qui a deux enfants… Il ne faut pas vous fâcher, si je prends ses intérêts; c'est bien naturel… Vous n'avez pas l'air fort, avec ça… N'est-ce pas, Lorilleux, madame n'a pas l'air fort?

      – Non, non, elle n'est pas forte.

      Ils ne parlèrent pas de sa jambe. Mais Gervaise comprenait, à leurs regards obliques et au pincement de leurs lèvres, qu'ils y faisaient allusion. Elle restait devant eux, serrée dans son mince châle à palmes jaunes, répondant par des monosyllabes, comme devant des juges. Coupeau, la voyant souffrir, finit par crier:

      – Ce n'est pas tout ça… Ce que vous dites et rien, c'est la même chose. La noce aura lieu le samedi 29 juillet. J'ai calculé sur l'almanach. Est-ce convenu? ça vous va-t-il?

      – Oh! ça nous va toujours, dit sa soeur. Tu n'avais pas besoin de nous consulter… Je n'empêcherai pas Lorilleux d'être témoin. Je veux avoir la paix.

      Gervaise, la tête basse, ne sachant plus à quoi s'occuper, avait fourré le bout de son pied dans un losange de la claie de bois, dont le carreau de l'atelier était couvert; puis, de peur d'avoir dérangé quelque chose en le retirant, elle s'était baissée, tâtant avec la main. Lorilleux, vivement, approcha la lampe. Et il lui examinait les doigts avec méfiance.

      – Il faut prendre garde, dit-il, les petits morceaux d'or, ça se colle sous les souliers, et ça s'emporte, sans qu'on le sache.

      Ce fut toute une affaire. Les patrons n'accordaient pas un milligramme de déchet. Et il montra la patte de lièvre avec laquelle il brossait les parcelles d'or restées sur la cheville, et la peau étalée sur ses genoux, mise là pour les recevoir. Deux fois par semaine, on balayait soigneusement l'atelier; on gardait les ordures, on les brûlait, on passait les cendres, dans lesquelles on trouvait par mois jusqu'à vingt-cinq et trente francs d'or.

      Madame Lorilleux ne quittait pas du regard les souliers de Gervaise. – Mais il n'y a pas à se fâcher, murmura-t-elle, avec un sourire aimable. Madame peut regarder ses semelles.

      Et Gervaise, très-rouge, se rassit, leva ses pieds, fit voir qu'il n'y avait rien. Coupeau avait ouvert la porte en criant: Bonsoir! d'une voix brusque. Il l'appela, du corridor. Alors, elle sortit à son tour, après avoir balbutié une phrase de politesse: elle espérait bien qu'on se reverrait et qu'on s'entendrait tous ensemble. Mais les Lorilleux s'étaient déjà remis à l'ouvrage, au fond du trou noir de l'atelier, où la petite forge luisait, comme un dernier charbon blanchissant dans la grosse chaleur d'un four. La femme, un coin de la chemise glissé sur l'épaule, la peau rougie par le reflet du brasier, tirait un nouveau fil, gonflait à chaque effort son cou, dont les muscles se roulaient, pareils à des ficelles. Le mari, courbé sous la lueur verte de la boule d'eau, recommençant un bout de chaîne, ployait la maille à la pince, la serrait d'un côté, l'introduisait dans la maille supérieure, la rouvrait à l'aide d'une pointe, continuellement, mécaniquement, sans perdre un geste pour essuyer la sueur de sa face.

      Quand Gervaise déboucha des corridors sur le palier du sixième, elle ne put retenir cette parole, les larmes aux yeux:

      – Ça ne promet pas beaucoup de bonheur.

      Coupeau branla furieusement la tête. Lorilleux lui revaudrait cette soirée-là. Avait-on jamais vu un pareil grigou! croire qu'on allait lui emporter trois grains de sa poussière d'or! Toutes ces histoires, c'était de l'avarice pure. Sa soeur avait peut-être cru qu'il ne se marierait jamais, pour lui économiser quatre sous sur son pot-au-feu? Enfin, ça se ferait quand même le 29 juillet. Il se moquait pas mal d'eux!

      Mais Gervaise, en descendant l'escalier, se sentait toujours le coeur gros, tourmentée d'une bête de peur, qui lui faisait fouiller avec inquiétude les ombres grandies de la rampe. A cette heure, l'escalier dormait, désert, éclairé seulement par le bec de gaz du second étage, dont la flamme rapetissée mettait, au fond de ce puits de ténèbres, la goutte de clarté d'une veilleuse. Derrière les portes fermées, on entendait le gros silence, le sommeil écrasé des ouvriers couchés au sortir de table. Pourtant, un rire adouci sortait de la chambre de la repasseuse, tandis qu'un filet de lumière glissait par la serrure de mademoiselle Remanjou, taillant encore, avec un petit bruit de ciseaux, les robes de gaze des poupées à treize sous. En bas, chez madame Gaudron, un enfant continuait à pleurer. Et les plombs soufflaient une puanteur plus forte, au milieu de la grande paix, noire et muette.

      Puis, dans la cour, pendant que Coupeau demandait le cordon d'une voix chantante, Gervaise se retourna, regarda une dernière fois la maison. Elle paraissait grandie sous le ciel sans lune. Les façades grises, comme nettoyées de leur lèpre et badigeonnées d'ombre, s'étendaient, montaient; et elles étaient plus nues encore, toutes plates, déshabillées des loques séchant le jour au soleil. Les fenêtres closes dormaient. Quelques-unes, éparses, vivement allumées, ouvraient des yeux, semblaient faire loucher certains coins. Au-dessus de chaque vestibule, de bas en haut, à la file, les vitres des six paliers, blanches d'une lueur pâle, dressaient une tour étroite de lumière. Un rayon de lampe, tombé de l'atelier de cartonnage, au second, mettait une traînée jaune sur le pavé de la cour, trouant les ténèbres qui noyaient les ateliers du rez-de-chaussée. Et, du fond de ces ténèbres, dans le coin humide, des gouttes d'eau, sonores au milieu du silence, tombaient une à une du robinet mal tourné de la fontaine. Alors, il sembla à Gervaise que la maison était sur elle, écrasante, glaciale à ses épaules. C'était toujours sa bête de peur, un enfantillage dont elle souriait ensuite.

      – Prenez garde! cria Coupeau.

      Et elle dut, pour sortir, sauter par-dessus une grande mare, qui avait coulé de la teinturerie. Ce jour-là, la mare était bleue, d'un azur profond de ciel d'été, où la petite lampe de nuit du concierge allumait des étoiles.

      III

      Gervaise ne voulait pas de noce. A quoi bon dépenser de l'argent? Puis, elle restait un peu honteuse; il lui semblait inutile d'étaler le mariage devant tout le quartier. Mais Coupeau se récriait: on ne pouvait pas se marier comme ça, sans manger un morceau ensemble. Lui, se battait joliment l'oeil du quartier! Oh! quelque chose de tout simple, un petit tour de balade l'après-midi, en attendant d'aller tordre le cou à un lapin, au premier gargot venu. Et pas de musique au dessert, bien sûr, pas de clarinette pour secouer le panier aux crottes des dames. Histoire

Скачать книгу