Uranie. Flammarion Camille
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«La création, me dit-elle, se compose d’un nombre infini d’univers distincts, séparés les uns des autres par des abîmes de néant.
– Un nombre infini?
– Objection mathématique, répliqua-t-elle. Sans doute un nombre, quelque grand qu’il soit, ne peut pas être actuellement infini, puisqu’on peut toujours par la pensée l’augmenter d’une unité, ou même le doubler, le tripler, le centupler. Mais souviens-toi que le moment actuel n’est qu’une porte par laquelle l’avenir se précipite vers le passé. L’éternité est sans fin, et le nombre des univers sera, lui aussi, sans fin.
«Regarde! Tu vois encore, toujours, et partout, de nouveaux archipels d’îles célestes, de nouveaux univers.
– Il me semble, ô Uranie! que depuis bien longtemps déjà, et avec une grande vitesse, nous montons dans le ciel sans bornes?
– Nous pourrions toujours monter ainsi, répliqua-t-elle, jamais nous n’atteindrions une limite définitive.
«Nous pourrions voguer là-bas, à gauche, à droite, devant nous, derrière nous, en bas, vers n’importe quelle direction, jamais, nulle part, nous ne rencontrerions aucune frontière.
«Jamais, jamais de fin.
«Sais-tu où nous sommes? Sais-tu quel chemin nous avons parcouru?
«Nous sommes… au vestibule de l’infini, comme nous y étions sur la Terre. Nous n’avons pas avancé d’un seul pas!»
Une grande émotion s’était emparée de mon esprit. Les dernières paroles d’Uranie m’avaient pénétré jusqu’aux moelles comme un frisson glacial. «Jamais de fin! jamais! jamais!» répétais-je. Et je ne pouvais dire ni penser autre chose. Pourtant la magnificence du spectacle reparut à mes yeux et mon anéantissement fit place à l’enthousiasme.
«L’Astronomie! m’écriai-je. C’est tout! Savoir ces choses! vivre dans l’infini. O Uranie! Qu’est-ce que le reste des idées humaines en face de la science! Des ombres, des fantômes!
– Oh! fit-elle, tu vas te réveiller sur la Terre, tu admireras encore, et légitimement, la science de tes maîtres; mais sache-le bien, l’astronomie actuelle de vos écoles et de vos observatoires, l’astronomie mathématique, la belle science des Newton, des Laplace, des Le Verrier, n’est pas encore la science définitive.
«Ce n’est point là, ô mon fils, le but que je poursuis depuis les jours d’Hipparque et de Ptolémée. Regarde ces millions de soleils, analogues à celui qui fait vivre la Terre, et comme lui, sources de mouvement, d’activité et de splendeur; eh bien, voilà l’objet de la science à venir: l’étude de la vie universelle et éternelle. Jusqu’à ce jour, on n’a pas pénétré dans le temple. Les chiffres ne sont pas un but, mais un moyen; ils ne représentent pas l’édifice de la nature, mais les méthodes, les échafaudages. Tu vas assister à l’aurore d’un jour nouveau. L’astronomie mathématique va faire place à l’astronomie physique, à la véritable étude de la nature.
«Oui, ajouta-t-elle, les astronomes qui calculent les mouvements apparents des astres dans leurs passages de chaque jour au méridien, ceux qui annoncent l’arrivée des éclipses, des phénomènes célestes, des comètes périodiques, ceux qui observent avec tant de soins les positions précises des étoiles et des planètes aux divers degrés de la sphère céleste, ceux qui découvrent des comètes, des planètes, des satellites, des étoiles variables, ceux qui recherchent et déterminent les perturbations apportées aux mouvements de la Terre par l’attraction de la Lune et des planètes, ceux qui consacrent leurs veilles à découvrir les éléments fondamentaux du système du monde, tous, observateurs ou calculateurs, sont des précurseurs de l’astronomie nouvelle. Ce sont là d’immenses travaux, des labeurs dignes d’admiration et de transcendantes œuvres, qui mettent en lumière les plus hautes facultés de l’esprit humain. Mais c’est l’armée du passé. Mathématiciens et géomètres. Désormais le cœur des savants va battre pour une conquête plus noble encore. Tous ces grands esprits, en étudiant le ciel, ne sont en réalité, pas sortis de la Terre. Le but de l’Astronomie n’est pas de nous montrer la position apparente de points brillants ni de peser des pierres en mouvement dans l’espace, ni de nous faire connaître d’avance les éclipses, les phases de la lune ou les marées. Tout cela est beau, mais insuffisant.
«Si la vie n’existait pas sur la Terre, cette planète serait absolument dépourvue d’intérêt pour quelque esprit que ce fût, et l’on peut appliquer la même réflexion à tous les mondes qui gravitent autour des milliards de soleils dans les profondeurs de l’immensité. La vie est le but de la création tout entière. S’il n’y avait ni vie ni pensée, tout cela serait comme nul et non avenu.
«Tu es destiné à assister à une transformation complète de la science. La matière va faire place à l’esprit.
– La vie universelle! fis-je. Est-ce que toutes les planètes de notre système solaire sont habitées?.. Est-ce que les milliards de mondes qui peuplent l’infini sont habités?.. Est-ce que ces humanités ressemblent à la nôtre?.. Est-ce que nous les connaîtrons jamais?..
– L’époque pendant laquelle tu vis sur la Terre, la durée même de l’humanité terrestre, n’est qu’un moment dans l’éternité.»
Je ne compris pas cette réponse à mes questions.
«Il n’y a aucune raison, ajouta Uranie, pour que tous les mondes soient habités maintenant. L’époque actuelle n’a pas plus d’importance que celles qui l’ont précédée ou celles qui la suivront.
«La durée de l’existence de la Terre sera beaucoup plus longue – peut-être dix fois plus longue – que celle de sa période vitale humaine. Sur une dizaine de mondes pris au hasard dans l’immensité, nous pourrions, par exemple, suivant les cas, en trouver à peine un actuellement habité par une race intelligente. Les uns l’ont été jadis; d’autres le seront dans l’avenir; ceux-ci sont en préparation, ceux-là ont parcouru toutes leurs phases; ici des berceaux, là-bas des tombes; et puis, une variété infinie se révèle dans les manifestations des forces de la nature, la vie terrestre n’étant en aucune façon le type de la vie extra-terrestre. Des êtres peuvent vivre, penser, en des organisations toutes différentes de celles que vous connaissez sur votre planète. Les habitants des autres mondes n’ont ni votre forme ni vos sens. Ils sont autres.
«Le jour viendra, et très prochainement puisque tu es appelé à le voir, où cette étude des conditions de la vie dans les diverses provinces de l’univers sera l’objet essentiel – et le grand charme – de l’Astronomie. Bientôt, au lieu de s’occuper simplement de la distance, du mouvement et de la masse matérielle de vos planètes voisines, par exemple, les astronomes découvriront leur constitution physique, leurs aspects géographiques, leur climatologie, leur météorologie, pénétreront le mystère de leur organisation vitale et discuteront sur leurs habitants. Ils trouveront que Mars et Vénus sont actuellement peuplés d’êtres pensants, que Jupiter en est encore à sa période primaire de préparation organique, que Saturne plane en des conditions toutes différentes de celles qui ont