La Comédie humaine - Volume 05. Scènes de la vie de Province - Tome 01. Honore de Balzac

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La Comédie humaine - Volume 05. Scènes de la vie de Province - Tome 01 - Honore de Balzac

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que fais-tu donc là, Minoret? cria tout à coup une petite femme qui fondit sur le groupe au milieu duquel le maître de poste se voyait comme une tour. Tu ne sais pas où est Désiré, et tu restes planté sur tes jambes à bavarder quand je te croyais à cheval! Bonjour, mesdames et messieurs.

      Cette petite femme maigre, pâle et blonde, vêtue d'une robe d'indienne blanche à grandes fleurs couleur chocolat, coiffée d'un bonnet brodé garni de dentelle, et portant un petit châle vert sur ses plates épaules, était la maîtresse de poste qui faisait trembler les plus rudes postillons, les domestiques et les charretiers; qui tenait la caisse, les livres, et menait la maison au doigt et à l'œil, selon l'expression populaire des voisins. Comme les vraies ménagères, elle n'avait aucun joyau sur elle. Elle ne donnait point, selon son expression, dans le clinquant et les colifichets; elle s'attachait au solide, et gardait, malgré la fête, son tablier noir dans les poches duquel sonnait un trousseau de clefs. Sa voix glapissante déchirait le tympan des oreilles. En dépit du bleu tendre de ses yeux, son regard rigide offrait une visible harmonie avec les lèvres minces d'une bouche serrée, avec un front haut, bombé, très impérieux. Vif était le coup d'œil, plus vifs étaient le geste et la parole. Zélie, obligée d'avoir de la volonté pour deux, en avait toujours eu pour trois, disait Goupil qui fit remarquer les règnes successifs de trois jeunes postillons à tenue soignée établis par Zélie, chacun après sept ans de service. Aussi, le malicieux clerc les nommait-il: Postillon Ier, Postillon II et Postillon III. Mais le peu d'influence de ces jeunes gens dans la maison et leur parfaite obéissance prouvaient que Zélie s'était purement et simplement intéressée à de bons sujets.

      — Eh! bien, Zélie aime le zèle, répondait le clerc à ceux qui lui faisaient ces observations.

      Cette médisance était peu vraisemblable. Depuis la naissance de son fils nourri par elle sans qu'on pût apercevoir par où, la maîtresse de poste ne pensa qu'à grossir sa fortune, et s'adonna sans trêve à la direction de son immense établissement. Dérober une botte de paille ou quelques boisseaux d'avoine, surprendre Zélie dans les comptes les plus compliqués était la chose impossible, quoiqu'elle écrivît comme un chat et ne connût que l'addition et la soustraction pour toute arithmétique. Elle ne se promenait que pour aller toiser ses foins, ses regains et ses avoines; puis elle envoyait son homme à la récolte et ses postillons au bottelage en leur disant, à cent livres près, la quantité que tel ou tel pré devait donner. Quoiqu'elle fût l'âme de ce grand gros corps appelé Minoret-Levrault, et qu'elle le menât par le bout de ce nez si bêtement relevé, elle éprouvait les transes qui, plus ou moins, agitent toujours les dompteurs de bêtes féroces. Aussi se mettait-elle constamment en colère avant lui, et les postillons savaient, aux querelles que leur faisait Minoret, quand il avait été querellé par sa femme, car la colère ricochait sur eux. La Minoret était d'ailleurs aussi habile qu'intéressée. Par toute la ville ce mot: Où en serait Minoret sans sa femme? se disait dans plus d'un ménage.

      — Quand tu sauras ce qui nous arrive, répondit le maître de Nemours, tu seras toi-même hors des gonds.

      — Eh! bien, quoi?

      — Ursule a amené le docteur Minoret à la messe.

      Les prunelles de Zélie Levrault se dilatèrent, elle resta pendant un moment jaune de colère, dit: — Je veux le voir pour le croire! et se précipita dans l'église. La messe en était à l'élévation. Favorisée par le recueillement général, la Minoret put donc regarder dans chaque rangée de chaises et de bancs, en remontant le long des chapelles jusqu'à la place d'Ursule, auprès de qui elle aperçut le vieillard la tête nue.

      En vous souvenant des figures de Barbé-Marbois, de Boissy-d'Anglas, de Morellet, d'Helvétius, de Frédéric-le-Grand, vous aurez aussitôt une image exacte de la tête du docteur Minoret, dont la verte vieillesse ressemblait à celle de ces personnages célèbres. Ces têtes, comme frappées au même coin, car elles se prêtent à la médaille, offrent un profil sévère et quasi puritain, une coloration froide, une raison mathématique, une certaine étroitesse dans le visage quasi pressé, des yeux fins, des bouches sérieuses, quelque chose d'aristocratique, moins dans le sentiment que dans l'habitude, plus dans les idées que dans le caractère. Tous ont des fronts hauts, mais fuyant à leur sommet, ce qui trahit une pente au matérialisme. Vous retrouverez ces principaux caractères de tête et ces airs de visage dans les portraits de tous les encyclopédistes, des orateurs de la Gironde, et des hommes de ce temps dont les croyances religieuses furent à peu près nulles, qui se disaient déistes et qui étaient athées. Le déiste est un athée sous bénéfice d'inventaire. Le vieux Minoret montrait donc un front de ce genre, mais sillonné de rides, et qui reprenait une sorte de naïveté par la manière dont ses cheveux d'argent, ramenés en arrière comme ceux d'une femme à sa toilette, se bouclaient en légers flocons sur son habit noir, car il était obstinément vêtu, comme dans sa jeunesse, en bas de soie noirs, en souliers à boucles d'or, en culotte de pou de soie, en gilet blanc traversé par le cordon noir, et en habit noir orné de la rosette rouge. Cette tête si caractérisée, et dont la froide blancheur était adoucie par des tons jaunes dus à la vieillesse, recevait en plein le jour d'une croisée. Au moment où la maîtresse de poste arriva, le docteur avait ses yeux bleus aux paupières rosées, aux contours attendris, levés vers l'autel: une nouvelle conviction leur donnait une expression nouvelle. Ses lunettes marquaient dans son paroissien l'endroit où il avait quitté ses prières. Les bras croisés sur sa poitrine, ce grand vieillard sec, debout dans une attitude qui annonçait la toute-puissance de ses facultés et quelque chose d'inébranlable dans sa foi, ne cessa de contempler l'autel par un regard humble, et que rajeunissait l'espérance, sans vouloir regarder la femme de son neveu, plantée presque en face de lui comme pour lui reprocher ce retour à Dieu.

      En voyant toutes les têtes se tourner vers elle, Zélie se hâta de sortir, et revint sur la place moins précipitamment qu'elle n'était allée à l'église; elle comptait sur cette succession, et la succession devenait problématique. Elle trouva le greffier, le percepteur et leurs femmes encore plus consternés qu'auparavant: Goupil avait pris plaisir à les tourmenter.

      — Ce n'est pas sur la place et devant toute la ville que nous pouvons parler de nos affaires, dit la maîtresse de poste, venez chez moi. Vous ne serez pas de trop, monsieur Dionis, dit-elle au notaire.

      Ainsi, l'exhérédation probable des Massin, des Crémière et du maître de poste allait être la nouvelle du pays.

      Au moment où les héritiers et le notaire allaient traverser la place pour se rendre à la poste, le bruit de la diligence arrivant à fond de train au bureau qui se trouve à quelques pas de l'église, en haut de la Grand'rue, fit un fracas énorme.

      — Tiens! je suis comme toi, Minoret, j'oublie Désiré, dit Zélie. Allons à son débarquer: il est presque avocat, et c'est un peu de ses affaires qu'il s'agit.

      L'arrivée d'une diligence est toujours une distraction; mais quand elle est en retard, on s'attend à des événements: aussi la foule se porta-t-elle devant la Ducler.

      — Voilà Désiré! fut un cri général.

      A la fois le tyran et le boute-en-train de Nemours, Désiré mettait toujours la ville en émoi par ses apparitions. Aimé de la jeunesse avec laquelle il se montrait généreux, il la stimulait par sa présence; mais ses amusements étaient si redoutés, que plus d'une famille fut très heureuse de lui voir faire ses études et son Droit à Paris. Désiré Minoret, jeune homme mince, fluet et blond comme sa mère, de laquelle il avait les yeux bleus et le teint pâle, sourit par la portière à la foule, et descendit lestement pour embrasser sa mère. Une légère esquisse de ce garçon prouvera combien Zélie fut flattée en le voyant.

      L'étudiant portait des bottes fines, un pantalon blanc d'étoffe anglaise à sous-pieds

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