Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 5 - (D - E- F). Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc
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Non-seulement la taille de l'homme, mais aussi la dimension des matériaux déterminent l'échelle de l'architecture romaine et surtout de l'architecture gothique. Tout membre d'architecture doit être pris dans une hauteur d'assise; mais comme les pierres à bâtir ne sont pas partout de la même hauteur de banc, c'est là où l'on reconnaît la souplesse des principes de cette architecture. Avec un tact et un sentiment de l'art assez peu appréciés de nos jours, l'architecte du moyen âge élève sa construction de façon à la mettre d'accord avec la dimension de l'édifice qu'il bâtit. Peu importe que les matériaux soient hauts ou bas, il sait en même temps le soumettre à l'échelle imposée par ces matériaux et aux proportions convenables à un grand ou à un petit monument. Supposons qu'il ne possède que des pierres calcaires dont la hauteur de banc est de 0,40 c. au plus, et qu'il veuille bâtir un édifice d'une très-grande dimension, comme la façade de la cathédrale de Paris, par exemple; admettons même qu'il tienne à donner à cette façade de grandes proportions, ou, pour mieux dire, une échelle supérieure à l'échelle commune. Il élèvera les soubassements en assises régulières, basses; si, dans ces soubassements, il veut faire saillir des bandeaux, il ne donnera à ces bandeaux qu'une très-faible hauteur, et encore les fera-t-il tailler sur des profils fins, délicats, afin de laisser à la masse inférieure toute son importance; il maintiendra les lignes horizontales, comme indiquant mieux la stabilité. Arrivé à une certaine hauteur, il sent qu'il faut éviter l'uniformité convenable à un soubassement, que les lits horizontaux donnés par les assises détruiront l'effet des lignes verticales. Alors, devant cette structure composée d'assises, il place des colonnettes en délit qui sont comme un dessin d'architecture indépendant de la structure; il surmonte ces colonnettes d'arcatures prises dans des pierres posées de même en délit et appareillées de telle façon qu'on n'aperçoive plus les joints de la construction: ainsi donne-t-il à son architecture les proportions qui lui conviennent, et il laisse à ces proportions d'autant plus de grandeur que, derrière ce placage décoratif, l'oeil retrouve l'échelle vraie de la bâtisse, celle qui est donnée par la dimension des matériaux. La grande galerie à jour qui, sous les tours, termine la façade de Notre-Dame de Paris, est un chef-d'oeuvre de ce genre. La structure vraie, comme un thème invariable, se continue du haut en bas, par assises réglées de 0,40 c. de hauteur environ. Devant cette masse uniforme se dessine d'abord la galerie des Rois, avec ses colonnes monolithes de 0,25 c. de diamètre, dressées entre des statues de 3m,00 de hauteur. Puis vient se poser immédiatement une balustrade à l'échelle humaine, c'est-à-dire de 1m,00 de hauteur, qui rend à la galerie sa grandeur, en rappelant, près des figures colossales, la hauteur de l'homme. Au-dessus, les assises horizontales; le thème continue sans rien qui altère son effet. L'oeuvre se termine par cette grande galerie verticale dont les colonnes monolithes ont 5m,10 de hauteur sur 0,18 c. de diamètre, couronnée par une arcature et une corniche saillante, haute, ferme, dans laquelle cependant l'ornementation et les profils se soumettent à la dimension des matériaux (voy. CORNICHE, fig. 17). Les tours s'élèvent sur ce vaste soubassement; elles se composent, comme chacun sait, de piles cantonnées de colonnettes engagées bâties par assises de 0,45 c. de hauteur; mais pour que l'oeil, à cette distance, puisse saisir la construction, énorme empilage d'assises, dans les angles, chacune de ces assises porte un crochet saillant se découpant sur les fonds ou sur le ciel. Ces longues séries de crochets, marquant ainsi l'échelle de la construction, rendent aux tours leur dimension véritable en faisant voir de combien d'assises elles se composent. Sur la façade de Notre-Dame de Paris, l'échelle donnée par la dimension de l'homme et par la nature des matériaux est donc soigneusement observée de la base au faîte. La statuaire, qui sert de point de comparaison, n'existe que dans les parties inférieures; les couronnements en sont dépourvus, et, en cela, l'architecte a procédé sagement: car, dans un édifice de cette hauteur, si l'on place des statues sur les couronnements, celles-ci paraissent trop petites lorsqu'elles ne dépassent pas du double au moins la dimension de l'homme; elles écrasent l'architecture lorsqu'elles sont colossales.
En entrant dans une église ou une salle gothique, chacun est disposé à croire ces intérieurs beaucoup plus grands qu'ils ne le sont réellement; c'est encore par une judicieuse application du principe de l'échelle humaine que ce résultat est obtenu. Comme nous l'avons dit tout à l'heure, les bases des piles, leurs chapiteaux, les colonnettes des galeries supérieures rappellent à diverses hauteurs la dimension de l'homme, quelle que soit la proportion du monument. De plus, la multiplicité des lignes verticales ajoute singulièrement à l'élévation. Dans ces intérieurs, les profils sont camards, fins, toujours pris dans des assises plus basses que celles des piles ou des parements. Les vides entre les meneaux des fenêtres ne dépassent jamais la largeur d'une baie ordinaire, soit 1m,25 (4 pieds) au plus. Si les fenêtres sont très-larges, ce sont les meneaux qui, en se multipliant, rappellent toujours ces dimensions auxquelles l'oeil est habitué, et font qu'en effet ces fenêtres paraissent avoir leur largeur réelle. D'ailleurs ces baies sont garnies de panneaux de vitraux séparés par des armatures en fer, qui contribuent encore à donner aux ouvertures vitrées leur grandeur vraie; et pour en revenir aux colonnes engagées indéfiniment allongées, dans l'emploi desquelles les uns voient une décadence ou plutôt un oubli des règles de l'antiquité sur les ordres, les autres une influence d'un art étranger, d'autres encore un produit du hasard, elles ne sont que la conséquence d'un principe qui n'a aucun point de rapport avec les principes de l'architecture antique. D'abord il faut admettre que les ordres grecs n'existent plus, parce qu'en effet ils n'ont aucune raison d'exister chez un peuple qui abandonne complétement la plate-bande pour l'arc. La plate-bande n'étant plus admise, le point d'appui n'est plus colonne, c'est une pile. La colonne qui porte une plate-bande est et doit être diminuée, c'est-à-dire présenter à sa base une section plus large que sous le chapiteau; c'est un besoin de l'oeil d'abord, c'est aussi une loi de statique; car la plate-bande étant un poids inerte, il faut que le quillage sur lequel pose ce poids présente une stabilité parfaite. L'arc, au contraire, est une pesanteur agissante qui ne peut être maintenue que par une action opposée. Quatre arcs qui reposent sur une pile se contre-buttent réciproquement, et la pile n'est plus qu'une résistance opposée à
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Dans l'architecture champenoise du XIIIe siècle, les colonnes sont d'un plus fort diamètre que dans l'école de l'Île-de-France. Les plus grêles se trouvent dans l'école bourguignonne, et cela tient à la résistance extraordinaire des matériaux de cette province.