Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 5 - (D - E- F). Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc

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Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 5 - (D - E- F) - Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc

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porte méridionale de la cathédrale de Worms, dans le tympan du gâble qui surmonte cette porte, une grande figure de femme couronnée, tenant un calice de la main droite comme on tient un vase dans lequel on se fait verser un liquide.

      Cette femme couronnée (6) est fièrement assise sur une bête ayant quatre têtes, aigle, lion, boeuf, homme; quatre jambes, pied humain, pied fendu, patte de lion et serre d'aigle: c'est encore la Nouvelle loi. Dans le tympan de la porte qui surmonte cette statue, on voit un couronnement de la Vierge; dans les voussures, la Nativité, l'arche de Noé, Adam et Ève, le crucifiement, les trois femmes au tombeau, Jésus-Christ ressuscitant et des prophètes. Parmi les statues des ébrasements, on remarque l'Église et la Synagogue. La religion chrétienne porte l'étendard levé, elle est couronnée; la religion juive a les yeux bandés, elle égorge un bouc; sa couronne tombe d'un côté, ses tablettes de l'autre.

      Nous trouvons l'explication étendue de la statue assise sur la bête à quatre têtes dans le manuscrit d'Herrade de Landsberg, le Hortus deliciarum, déposé aujourd'hui dans la bibliothèque de Strasbourg 62. L'une des vignettes de ce manuscrit représente le Christ en croix. Au-dessus des deux bras de la croix, on voit le soleil qui pleure et la lune, puis les voiles du temple déchirés. Au-dessous, deux Romains tenant l'un la lance, l'autre l'éponge imprégnée de vinaigre et de fiel; la Vierge, saint Jean et les deux larrons. Sur le premier plan, à la droite du Sauveur, une femme couronnée assise, comme celle de la cathédrale de Worms, sur la bête, symbole des quatre évangiles; elle tend une coupe dans laquelle tombe le sang du Christ; dans la main gauche, elle porte un étendard terminé par une croix. À la gauche du divin supplicié est une autre femme, assise sur un âne dont les pieds buttent dans des cordes nouées; la femme a les jambes nues; un voile tombe sur ses yeux; sa main droite tient un couteau, sa main gauche des tablettes; sur son giron repose un bouc; son étendard est renversé. En bas de la miniature, des morts sortent de leurs tombeaux.

      Bien que la sculpture de Worms date du milieu du XIIIe siècle, elle nous donne, en statuaire d'un beau style, un fragment de cette scène si complétement tracée au XIIe par Herrade de Landsberg, c'est-à-dire l'Église recueillant le sang du Sauveur assise sur les quatre évangiles. La femme portée par l'âne buttant personnifie la Synagogue: c'était traiter l'Ancien Testament avec quelque dureté.

      Souvent, dans nos vitraux français, on voit de même un Christ en croix avec l'Église et la Synagogue à ses côtés, mais représentées sans leurs montures, l'Église recueillant le sang du Sauveur dans un calice, et la Synagogue voilée, se détournant comme les statues de Bamberg et de Strasbourg, ou tenant un jeune bouc qu'elle égorge. Villard de Honnecourt paraît, dans la vignette 57e de son manuscrit, avoir copié une de ces figures de l'Église sur un vitrail ou peut-être sur une peinture de son temps.

       ÉGLISE, s. f. Lieu de réunion des fidèles. Pendant le moyen âge, on a divisé les églises en églises cathédrales, abbatiales, conventuelles, collégiales et paroissiales.

      Les églises paroissiales se trouvaient sous la juridiction épiscopale ou sous celle des abbés; aussi c'était à qui, des évêques et des abbés, auraient à gouverner un nombre de paroisses plus considérable; de là une des premières causes du nombre prodigieux d'églises paroissiales élevées dans les villes et les bourgades pendant les XIIe et XIIIe siècles, c'est-à-dire à l'époque de la lutte entamée entre le pouvoir monastique et le pouvoir épiscopal. D'ailleurs, la division, l'antagonisme existent dans toutes les institutions religieuses ou politiques du moyen âge; chacun, dans l'ordre civil comme dans l'ordre spirituel, veut avoir une part distincte. Les grandes abbayes, dès le XIe siècle, cherchèrent à mettre de l'unité au milieu de ce morcellement général; mais il devint bientôt évident que l'institut monastique établissait cette unité à son propre avantage; l'épiscopat le reconnut assez tôt pour profiter du développement municipal du XIIe siècle et ramener les populations vers lui, soit en bâtissant d'immenses cathédrales, soit en faisant reconstruire, surtout dans les villes, les églises paroissiales sur de plus grandes proportions. Si nous parcourons, en effet, les villes de la France, au nord de la Loire, nous voyons que, non-seulement toutes les cathédrales, mais aussi les églises paroissiales, sont rebâties pendant la période comprise entre 1150 et 1250. Ce mouvement, provoqué par l'épiscopat, encouragé par la noblesse séculière, qui voyait dans les abbés des seigneurs féodaux trop puissants, fut suivi avec ardeur par les populations urbaines, chez lesquelles l'église était alors un signe d'indépendance et d'unité. Aussi, du XIIe au XIIIe siècle, l'argent affluait pour bâtir ces grandes cathédrales et les paroisses qui se groupaient autour d'elles.

      Les églises abbatiales des clunisiens avaient fait école, c'est-à-dire que les paroisses qui en dépendaient imitaient, autant que possible, et dans des proportions plus modestes, ces monuments types. Il en fut de même pour les cathédrales lorsqu'on les rebâtit à la fin du XIIe siècle et au commencement du XIIIe; elles servirent de modèles pour les paroisses qui s'élevaient dans le diocèse. Il ne faudrait pas croire cependant que ces petits monuments fussent des réductions des grands; l'imitation se bornait sagement à adopter les méthodes de construire, les dispositions de détail, l'ornementation et certains caractères iconographiques des vastes églises abbatiales ou des cathédrales.

      Vers le Ve siècle, lorsque le nouveau culte put s'exercer publiquement, deux principes eurent une action marquée dans la construction des églises en Occident: la tradition des basiliques antiques qui, parmi les monuments païens, servirent les premiers de lieu de réunion pour les fidèles; puis le souvenir des sanctuaires vénérables creusés sous terre, des cryptes qui avaient renfermé les restes des martyrs, et dans lesquelles les saints mystères avaient été pratiqués pendant les jours de persécution. Rien ne ressemble moins à une crypte qu'une basilique romaine; cependant la basilique romaine possède, à son extrémité opposée à l'entrée, un hémicycle voûté en cul-de-four, le tribunal. C'est là que, dans les premières églises chrétiennes, on établit le siége de l'évêque ou du ministre ecclésiastique qui le remplaçait; autour de lui se rangeaient les clercs; l'autel était placé en avant, à l'entrée de l'hémicycle relevé de plusieurs marches. Les fidèles se tenaient dans les nefs, les hommes d'un côté, les femmes de l'autre. Habituellement nos premières églises françaises possèdent, sous l'hémicycle, l'abside, une crypte dans laquelle était déposé un corps saint, et quelquefois le fond de l'église lui-même rappelle les dispositions de ces constructions souterraines, bien que la nef conserve la physionomie de la basilique antique. Ces deux genres de constructions si opposés laissent longtemps des traces dans nos églises, et les sanctuaires sont voûtés, élevés suivant la méthode concrète des édifices romains bâtis en briques et blocages, que les nefs ne consistent qu'en des murs légers reposant sur des rangs de piles avec une couverture en charpente comme les basiliques antiques.

      Nous ne possédons sur les églises primitives du sol de la France que des données très-vagues, et ce n'est guère qu'à dater du Xe siècle que nous pouvons nous faire une idée passablement exacte de ce qu'étaient ces édifices; encore, à cette époque, présentaient-ils des variétés suivant les provinces au milieu desquelles on les élevait. Les églises primitives de l'Île-de-France ne ressemblent pas à celles de l'Auvergne; celles-ci ne rappellent en rien les églises de la Champagne, ou de la Normandie, ou du Poitou. Les monuments religieux du Languedoc diffèrent essentiellement de ceux élevés en Bourgogne. Chaque province, pendant la période romane, possédait son école, issue de traditions diverses. Partout l'influence latine se fait jour d'abord; elle s'altère plus ou moins, suivant que ces provinces se mettent en rapport avec des centres actifs de civilisation voisins ou trouvent dans leur propre sein des ferments nouveaux. L'Auvergne, par exemple, qui, depuis des siècles, passe pour une des provinces de France les plus arriérées, possédait, au XIe siècle, un art très-avancé, très-complet, qui lui permit d'élever des églises belles et solides, encore debout aujourd'hui. La Champagne, de toutes les

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<p>62</p>

Ce manuscrit est une sorte d'encyclopédie; il date du XIIe siècle. Plusieurs de ses miniatures ont été reproduites par nous dans le Dictionnaire du mobilier français.