Recherches nouvelles sur l'histoire ancienne, tome II. Constantin-François Volney
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Ce fait nous sera utile; mais nous demandons à Ammien, de quelle source, de quel auteur a-t-il tiré l’opinion que ce très-savant roi Hystasp, contemporain de Zoroastre, fût l’Hystasp père de Darius? Est-ce des livres parsis? nous les avons, et l’on n’y trouve rien de tel. Est-ce d’Hérodote? nous le possédons, et nous y allons voir la démonstration du contraire. Quelle analogie y a-t-il entre les actions et même les personnes des deux rois? Kestasp est roi, et Hystasp, père de Darius, ne le fut point. L’on ne saurait dire que Darius fût Esfendiar; et si l’on veut qu’il fût lui-même Kestasp, Esfendiar, fils de celui-ci, n’a pas la moindre analogie avec Xercès, fils de Darius. Nous pouvons le dire hardiment: tout est contradictoire, tout est absurde dans cette opinion; et quels que soient ses inventeurs, il est évident qu’ils ont été induits en erreur par deux circonstances:
1° Par la ressemblance d’un nom qui paraît avoir été commun chez les Mèdes et chez les Perses;
2° Par la ressemblance du goût que Darius eut pour les sciences des mages, selon les témoignages d’Hérodote, de Cicéron et de Porphyre, qui nous apprennent l’inscription de son tombeau, gravée par son ordre: Darius, roi, etc., docteur en magisme.
Voilà la double équivoque qui, pour les anciens comme pour les modernes, a été la cause première d’une erreur à laquelle se sont refusés tous ceux qui ont porté plus d’attention et de réflexion.
De ce nombre est Pline le naturaliste, l’un des hommes les plus distingués de toute l’antiquité, par son esprit et par l’immensité de ses lectures. Après des réflexions pleines de sens sur la magie, et sur la folle passion des Romains de son temps pour cet art d’imposture et de fourberie, Pline nous fournit, au début de son livre XXXe, un passage important qui mérite d’être transcrit:
«C’est dans l’Orient (dit-il), c’est dans la Perse, que la magie fut, de l’aveu des historiens, inventée par Zoroastre; mais n’y a-t-il eu qu’un seul Zoroastre, ou bien en a-t-il existé un second? Cela n’est pas clair. Eudoxe, qui veut nous faire regarder la magie comme l’une des sectes philosophiques les plus utiles et les plus brillantes, prétend que Zoroastre vivait 6000 ans avant la mort de Platon (mort l’an 348 avant J.-C.), ce qu’on lit aussi dans Aristote… Hermippe, qui a écrit un savant Traité sur cet art, et qui a traduit deux millions de vers composés par Zoroastre, en indiquant les titres de chaque volume (d’où il les a tirés), rapporte qu’il eut pour maître Azonak, ou Agonak, et qu’il vécut 5000 ans avant la guerre de Troie. Mais il est étonnant que le souvenir (de l’inventeur) et que l’art aient été conservés si long-temps, sans moyens intermédiaires, et sans succession claire et continue (d’enseignement); car à peine se trouve-t-il quelqu’un qui ait ouï parler d’un Apuscorus et d’un Zaratus, Mèdes; de Marmar et d’Arabantiphok, Babyloniens; de Tarmoenda, Assyrien, dont aucun monument n’existe.»
(Après avoir remarqué que dans l’Odyssée d’Homère, la magie est habituellement mise en action, Pline continue):
«Je trouve que le premier qui a écrit sur cet art est le Perse Ostanès, contemporain de Xercès, qui en répandit dans la Grèce, non pas le goût, mais la rage. Ceux qui ont fait des recherches plus profondes placent un peu avant lui un autre Zoroastre de Proconnèse… Il est encore une secte de magiciens, qui a pour chef Mosès et les Juifs Iamné et Iotapé, mais (seulement) plusieurs milliers d’années après Zoroastre (en suivant le calcul des 6000 ans d’Eudoxe)…»
Pesons certaines expressions de ce passage important:
«C’est dans la Perse que la magie fut inventée par Zoroastre, de l’aveu des historiens.»
Selon Platon, Apulée, Porphyre, Hesychius, Suidas, etc., et selon tous les pythagoriciens, qui sans doute tinrent cette tradition de leur maître, le mot asiatique magos, ou plutôt mag, signifiait proprement homme consacré, dévoué au culte de Dieu, précisément comme le mot hébreu nazaréen; par conséquent le mot magie fut d’abord la science ou la pratique de ce culte. C’est dans ce sens que Platon dit16 «que les enfants des rois de Perse, parvenus à l’âge de 14 ans, recevaient quatre instituteurs, dont le premier leur enseignait la magie, qui est, dit-il, le culte des dieux (la religion). Ce même instituteur leur enseignait aussi la politique royale.» Dans ce sens aussi Zoroastre a inventé la théologie des mages, et institué leur caste, qui devint la caste nazaréenne et lévitique du pays. Mais, parce que la science des mages se composait d’astronomie et d’astrologie judiciaire, c’est-à-dire des prédictions, divinations et prophéties attachées à cet art; qu’elle se composait encore de certaines connaissances physiques et chimiques, au moyen desquelles on opérait des phénomènes prodigieux et miraculeux pour la masse du peuple; cette science devint peu à peu un art d’imposture et de charlatanisme, qui reçut en un mauvais sens le nom de magie que nous lui donnons… Sous ce rapport, c’est-à-dire, comme art d’évocations, d’enchantements, de métamorphoses opérées par certaines pratiques, elle est bien plus ancienne que Zoroastre, ainsi que le disent, avec raison, les Perses, puisqu’elle était la base du pouvoir et de l’influence des prêtres égyptiens, chaldéens, brahmes, druides, en un mot de tous les prêtres de l’antiquité. Le nom de Chaldéens, cité dès le temps d’Abram, comme désignant une nation déja ancienne, signifie devin, et fournit une preuve de l’art et de sa pratique chez un peuple qui, comme le dit Ammien Marcellin, ne fut d’abord qu’une secte, et devint ensuite, par accroissement, une nation nombreuse et puissante. Or, si, comme il est vrai, ce genre de magie et de magiciens remonte à des milliers d’années, ce ne peut être qu’en le confondant avec le zoroastérisme, qu’Eudoxe et Hermippe en ont rejeté le fondateur à 5 ou 6,000 ans avant Platon et la guerre de Troie. Diogène Laërce nous fournit une troisième variante:
«Selon Hermodore le platonicien (dit-il in proœmio), depuis les mages, dont on dit que Zoroastre fut le premier chef (princeps), jusqu’à la guerre de Troie, il s’écoula 5,000 ans.»
Voilà mille ans de différence avec Eudoxe: remarquez qu’Hermodore ne dit pas depuis Zoroastre, mais depuis les mages; en sorte qu’il faut que quelque équivoque soit la cause de cette méprise, car il est bien certain que ces 5 ou 6,000 ans sont hors des limites de toute biographie connue, et que Zoroastre, comme nous l’allons voir, n’a pas vécu plus de huit siècles avant Platon. Suidas paraît avoir changé ces 5,000 en 500: mais le témoignage de ce moine du IXe siècle est de peu de poids; il a voulu sauver l’époque juive de la création.
Actuellement, puisque le fondateur des mages est Zoroastre, auteur du système des deux principes ou des deux génies du bien et du mal (Oromaze et Ahriman), si célèbres en Asie, il s’ensuit, 1° que celui-là seul est l’homme dont nous cherchons l’époque; 2° que partout où nous trouverons le nom de ses mages, ou quelqu’un de ses dogmes, cet homme aura déja existé. Or, si au siècle de Pline l’époque de Zoroastre était déja si peu claire ou si obscure, que l’on ne savait plus où le placer, cela seul prouve que le législateur des Perses, des Mèdes et des Bactriens ne vécut point au temps de Darius; qu’il ne fut point ce magicien de Proconnèse, qui vécut un peu avant Ostanès, et qui prit ou porta le nom de Zerdoust, comme l’ont porté depuis et le portent encore beaucoup de mobeds ou prêtres parsis, comme des Juifs célèbres ont porté celui de Mosès17. Les faits contemporains de Darius et de Xercès furent trop bien connus des Grecs pour qu’il pût s’opérer dans l’Asie un schisme
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Témoin Rabbi