Recherches nouvelles sur l'histoire ancienne, tome II. Constantin-François Volney
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Après le débat de toutes ces erreurs, il faut, pour arriver à connaître l’époque réelle de Zoroastre, fils de Pourouchasp, nous adresser aux plus anciens historiens, et à ce titre nous devons d’abord interroger Hérodote.
Dès long-temps l’on a remarqué que son livre n’offrait nulle part le nom de Zoroastre; et ce silence a toujours été une objection très-pénible pour ceux qui ont voulu que ce prophète, plus célèbre en Asie que l’hébreu Moïse, eût été contemporain de Darius, fils d’Hystaspes. En effet, comment concevoir que Zoroastre eût opéré, dans le vaste empire de ce prince, un schisme aussi éclatant que celui de Luther en Europe, sans qu’Hérodote, qui visita l’Asie presque dans le même temps, et qui a décrit la vie de Darius dans le plus grand détail, eût fait la moindre mention d’un homme et d’un événement aussi marquants? Ce premier argument négatif, déja si puissant, est d’ailleurs appuyé d’un second, positif et concluant.... Tous les anciens s’accordent à dire que Zoroastre fut l’auteur et le fondateur du magisme et de la magie, c’est-à-dire de la secte philosophique des mages. Or le nom des mages est cité plusieurs fois par Hérodote, et cela avec des circonstances riches en inductions.
«Les mages (dit cet historien) diffèrent beaucoup des autres hommes, et particulièrement des prêtres d’Égypte: ceux-ci ne souillent point leurs mains du sang des animaux, et ne font périr que ceux qu’ils immolent; les mages, au contraire, égorgent de leurs propres mains tout animal, excepté l’homme et le chien; ils se font même gloire de tuer les fourmis, les serpents et tous les reptiles et volatiles23.»
Voilà bien certainement les mages zoroastriens, définis par leurs rites, et même par leur comparaison, comme ordre sacerdotal, aux prêtres égyptiens… Et déja ils sont très-anciens, ces mages, puisque Hérodote ajoute: «Mais laissons ces usages tels qu’ils ont été originairement établis.» Le mot originairement nous recule lui seul à des siècles: ce n’est pas tout; le roi mède Astyag, ayant eu un premier songe, consulte24 ceux d’entre les mages qui faisaient profession de les expliquer: les mages étaient les devins, les prophètes, par conséquent les prêtres des Mèdes, dès avant Kyrus.
Un second songe épouvante Astyag: il mande les mêmes mages, et leur réponse est encore plus instructive dans notre question25.
«Seigneur (disent-ils au roi mède), la stabilité et la prospérité de votre règne nous importent beaucoup;..... car enfin si la puissance souveraine venait à tomber dans les mains de Kyrus, qui est Perse, elle passerait à une autre nation; et les Perses, qui nous regardent comme des étrangers, n’auraient pour nous, qui sommes Mèdes, aucune considération; ils nous traiteraient en esclaves; au lieu que vous, seigneur, qui êtes notre compatriote, tant que vous occuperez le trône, vous nous comblerez de graces, etc.26»
Donc les mages étaient Mèdes de nation, et non pas Perses. Donc Zoroastre n’était pas né Persan, comme on le croit vulgairement, mais Mède, ainsi que le disent les Parsis.
Cette concordance entre eux et notre auteur, en prouvant la justesse de ses informations, met le fait hors de doute. Ces mots: «Les Perses nous traiteraient comme des étrangers» (et chez les anciens, l’étranger, hostis, était l’ennemi); «s’ils étaient les maîtres, ils nous traiteraient en esclaves;» ces mots indiquent que les Perses avaient une autre religion que celle des Mèdes. En effet, la description très-détaillée qu’en donne Hérodote27, ne convient point au zoroastérisme; le traitement que Kyrus veut faire subir à Krésus, serait le sacrilége le plus impie dans ce culte, qui défend, par-dessus toute chose, de souiller le feu, en y jetant les corps soit morts, soit vivants. Ainsi, de la part d’Hérodote, tout indique, tout prouve que Zoroastre ne fut point Perse; qu’il ne vécut point au temps de Darius, et que sa religion, d’origine mède, ne fut introduite chez les Perses que lorsque, par des vues politiques, Kyrus introduisit chez ses sauvages compatriotes tout le système des usages, des mœurs, des lois et du gouvernement des Mèdes amollis et civilisés.
Après Hérodote, ou plutôt avant lui, le premier écrivain grec connu qui ait articulé le nom de Zoroastre, n’est pas Platon, comme on l’a dit quelquefois, mais Xanthus de Lydie, qui, sous le règne de Darius, publia, en quatre livres, une histoire de son pays, très-estimée et souvent citée par les anciens. Hérodote, qui ne publia la sienne qu’environ 40 ans plus tard, s’en est beaucoup servi, selon Plutarque; et nous devons l’en louer, puisqu’en matière de faits, la meilleure méthode de les narrer est d’emprunter le langage du premier témoin ou narrateur, quand on le sait fidèle. Or l’historien Xanthus, selon Diogène Laërce28, estimait que, depuis Zoroastre, chef des mages, jusqu’à l’arrivée de Xercès en Grèce, il s’était écoulé 600 ans; c’est-à-dire que Zoroastre aurait fleuri 1080 ans avant notre ère, ce qui déja est une antiquité hors de la portée des chronologies grecques. Mais ce passage de Xanthus n’est pas le seul de cet auteur qui nous soit parvenu; Nicolas de Damas, qui vivait au temps d’Auguste, nous a conservé dix pages in-4° de détails curieux sur les rois de Lydie, et il n’a dû les tirer que de Xanthus29. Parmi ces détails se trouve l’anecdote du bûcher de Krésus, qui nous offre encore le nom de Zoroastre. L’historien dit en substance:
«Kyrus fut touché du traitement qui se préparait pour Krésus; mais les (soldats) Perses insistèrent pour que ce prince fût livré au feu, et ils s’empressèrent de lui dresser un vaste bûcher, où ils firent monter avec lui quatorze des principaux seigneurs de sa cour. Kyrus, pour les dissuader, leur fit lire un oracle de la sibylle; ils prétendirent qu’il était controuvé, et ils allumèrent le bûcher.... Alors éclatèrent de toutes parts, les gémissements des Lydiens.... Cependant un orage qui s’était approché (durant les apprêts assez longs) commence de gronder; les nuages s’amoncellent et obscurcissent le ciel. Krésus, voyant ce secours d’Apollon, implore la faveur du dieu auquel il a offert tant de dons; les éclairs redoublent, le tonnerre éclate, la pluie tombe à torrents.... Le désordre se met dans les rangs des soldats; les chevaux, effrayés par la foudre et par les éclairs, augmentent le tumulte..... Alors une terreur (religieuse) s’empare des Perses. Ils se rappellent l’oracle de la sibylle et ceux de Zoroastre: ils crient de toutes parts que l’on sauve Krésus; et c’est à cette occasion que les Perses ont établi en loi, conformément aux oracles de Zoroastre, que les cadavres ne seraient plus brûlés, ni le feu souillé par eux, ce qui ayant déja eu lieu par d’anciennes institutions, fut alors rétabli et confirmé.»
Dans ce récit nous voyons, 1° qu’à cette époque les Perses n’avaient point encore la religion de Zoroastre, et c’est ce qu’indique Hérodote; 2° qu’en appelant ancienne institution le culte du feu qui caractérise cette religion, l’antiquité de Zoroastre est également énoncée. Quant à ce que ces institutions auraient eu lieu jadis chez eux, il est probable que, sous l’empire des Assyriens et des Mèdes, quelques tribus, quelques familles auront imité la religion de leurs voisins et maîtres, comme il arriva aux Juifs, chez lesquels, au temps d’Achab, s’introduisirent les rites assyriens. Mais la masse de la nation ne fut point zoroastrienne; l’obstination des soldats perses à brûler Krésus, c’est-à-dire, à en faire un sacrifice à la manière des Phéniciens, des Indiens et des Keltes, en est une démonstration complète: l’on doit donc regarder comme un fait positif cette remarque de Xanthus, que ce fut l’incident merveilleux de l’orage éteignant le bûcher de Krésus, qui
23
Hérodote, lib. I, § CXL.
24
Lib. I, p. 88, § CVII.
25
Lib. I, p. 99, § CXX.
26
En relisant Hérodote, nous trouvons deux autres traits non moins concluants. Liv. III, § LXV, Cambyse mourant conjure les Perses de ne point souffrir que le mage
27
§ CXXXI.
28
29