Recherches nouvelles sur l'histoire ancienne, tome II. Constantin-François Volney

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Recherches nouvelles sur l'histoire ancienne, tome II - Constantin-François Volney

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l’Oxus, et de là, par la Caspienne, dans tout le nord de l’Europe et de l’Asie. L’or des mines de Sibérie venait s’y échanger contre les produits de l’Inde et de l’Asie occidentale; et de là l’extrême abondance de ce métal, jusqu’au temps d’Hérodote, chez les Massagètes et les Bactriens. Cet état d’opulence, qui dut être un motif d’attrait et de cupidité pour Ninus, put n’être pas indifférent à l’ambitieux Zoroastre.

      La vie monacale du père d’Hystasp, sa tête rasée, ses abstinences, ses mortifications, sont l’exacte copie des pratiques des brahmes et de plusieurs rois dont fait mention le livre Oupnekhat à pareille époque45. Le récit que nous font les livres perses, de la multitude et de la puissance des devins ou magiciens de ce temps-là, et des miracles opérés par eux et par Zoroastre, encore qu’il soit un conte oriental dans ses circonstances, n’est pas une fable absolue au fond...... Il correspond à ce que nous disent les livres hébreux des enchanteurs égyptiens, de leurs miracles et de ceux de Moïse devant Pharaon, deux siècles avant Zoroastre. C’était là le règne de ce qu’on a depuis appelé magie, ou l’art d’opérer des prodiges, et ces prodiges n’étaient pas tous de pures fables ou illusions.

      Au sein des peuples agricoles, composés de paysans grossiers et de guerriers féroces, s’étaient formées des corporations d’hommes studieux, livrés par état à l’observation des astres et des influences célestes qui régissent les moissons. Bientôt ils avaient pu prédire les éclipses, ce phénomène solennel qui en impose si puissamment à la multitude; dès lors, appelés avec raison prédiseurs, prophètes, devins, ces hommes furent considérés comme les confidents des intelligences célestes..... Le hasard d’abord, puis des expériences méditées, leur ayant fait découvrir des opérations singulières, physiques et chimiques, ils en usèrent habilement pour augmenter leur crédit; ils firent entendre des voix là où il n’y avait point de bouche, apercevoir des objets là où la main ne trouvait point de corps; ils allumèrent des feux spontanés, par des pyrophores et des phosphores; en un mot, ils opérèrent des prestiges de fantasmagorie, d’optique, d’acoustique, qui aujourd’hui, quoique divulgués et connus, nous causent encore de la surprise; et ils furent regardés comme des ministres de la divinité: et parce que ces secrets, couverts d’un mystère profond, ne furent possédés que par certaines familles, dont ils assuraient l’existence et le pouvoir, ils purent se transmettre, subsister, et périr avec leurs dépositaires, sans que la multitude en ait jamais connu l’artifice. Ainsi, nous dit-on, Zoroastre fit verser sur son corps de l’airain fondu, pour convaincre Kestasp: et de nos jours, nous avons vu un Espagnol se faire arroser d’huile bouillante. La limite de ces prodiges n’est pas si facile à tracer qu’on le croirait d’abord; nous avons déja remarqué que le nom de Kaldéens, Kasd, signifie proprement devins; il paraît que ce fut spécialement contre eux qu’eut à lutter Zoroastre. L’anecdote du brahme Tchengregatchah, qui vint de l’Inde pour le réfuter, nous prouve, d’autre part, l’existence déja ancienne du brahmisme; par conséquent le dogme trinitaire des Védas précéda le dualisme de Zoroastre: et Cléarque, cité par Diogène Laërce (in Proœmio), ne fut pas bien instruit, lorsqu’il dit que les gymnosophistes dérivaient des mages; cela est inexact, même à l’égard des boudhistes: mais ceux-là eurent raison qui, selon le même Diogène, soutenaient que la philosophie des Juifs venait de celle des mages; car il est bien certain que, depuis la captivité de Babylone, ce fut à cette source que les Juifs puisèrent tout ce que l’on trouve dans leurs livres, sur le Dieu de lumière (Ormusd), sur l’ennemi Satan, qui est Ahrimanes, sur les anges, sur la résurrection en corps et en ame, etc., tous dogmes zoroastriens, dont on ne trouve pas une seule trace dans les livres de Salomon, de David, ni dans les lois de Moïse: la seule analogie qui existe entre la théologie de ce dernier et celle de Zoroastre, est 1° d’avoir proscrit toute image de la divinité, tout culte d’idoles, ce qui a préparé la réunion de leurs sectateurs, et marqué leur schisme avec les Sabiens, ou idolâtres; 2° de la part de Moïse, d’avoir représenté Dieu par le feu, tandis que le Mède le représente par la lumière; ce qui, dans l’un et l’autre cas, appartient à l’opinion bien plus ancienne, que l’élément du feu était le principe de tout mouvement, de toute vie, la source incorruptible de toute existence; aussi le nom de Iehou, que donna Moïse à ce principe, signifie-t-il réellement l’existence et ce qui est (Ego sum qui sum), et cela dans l’idiome sanscrit comme dans l’hébraïque: le Iou (piter), ou Pater des anciens Grecs et Pélasgues, dont nous trouvons le culte dès long-temps avant Abraham, prouve que cette doctrine indienne et égyptienne est de la plus haute antiquité. Sous ce rapport le docte Aristote a eu raison de dire que Iou était Oromaze, et que Pluton était Ahrimane46. Tout cela indique que la plupart des dogmes de Zoroastre existaient déja avant lui, et que, selon l’usage de presque tous les novateurs, il ne fit qu’une nouvelle combinaison (comme a fait Mahomet). Il n’est pas du ressort d’une chronologie d’exposer un système religieux aussi compliqué que celui de Zoroastre; il nous suffira d’observer que Thomas Hyde, plein de partialité pour les Guèbres, n’a fait qu’embrouiller ce sujet. Pour le bien traiter, il eût fallu, avec son érudition, y porter l’esprit ferme et libre de Hume ou de Gibbon. La doctrine des modernes Parsis, modifiée à différentes époques depuis Kyrus, n’est pas une image parfaite de l’ancienne; plusieurs traits cités par Plutarque47 et par d’autres auteurs grecs, ne s’y retrouvent plus; l’on n’aperçoit entre autres dans toute la compilation d’Anquetil, qu’une seule phrase sur le dogme du temps sans bornes, et cette phrase en dit moins que celle de Théodore de Mopsueste, toute tronquée qu’elle est par Photius48.

      «Théodore explique dans son premier livre sur la magie perse, le dogme infame de Zarasdes touchant Zarouan, principe de toutes choses, appelé fortune (ou hasard). Théodore rapporte comment Zarouan, en faisant une libation (priapique), engendra Ormisda et Satan (Ahriman): il parle aussi du mélange de leur sang, et réfute tout ce dogme très-obscène.»

      Ceci a un rapport évident avec les idées anciennes sur la fécondation, ou création annuelle, figurée par le Phallus, dans le tableau du sacrifice de Mithra;49 en même temps que, sous un autre aspect, c’est aussi le mystère de la création première, ou extraction du chaos, par le grand agent des anciens, le fatum, la fatalité, le hasard, qui est aussi l’éternel, l’ancien des jours. Le mot persan hazarouan a lui-même ce sens, puisqu’il désigne des millions d’années. C’est de ce dogme que les Valentiniens tirèrent leurs aïons, ou toujours vivants; et ce mot grec aïôn est l’Aïum, l’Aeuum des anciens Latins, qui l’ont tiré du sanscrit AUM. Ici nous avons, pour la première fois, la valeur véritable de ce mot indou si mystérieux, dont la méditation doit absorber toutes les facultés de l’ame; et en effet, quel sujet plus absorbant que l’éternité! Ce n’est pas le seul point de contact que le système de Zoroastre ait eu avec le brahmisme. Ses deux principes ne sont au fond qu’une simplification de la trinité indienne; et il a eu un avantage véritable à soutenir que tout pouvoir, toute action consistait à produire et à détruire; que par conséquent l’intermédiaire introduit par les brahmes, comme conservateur, sous le nom de Vishnou, était imaginaire, puisqu’il n’y a point de véritable stase entre croître et décroître, augmenter et diminuer.

      Ce furent toutes les analogies de ce genre avec les idées déja existantes, qui préparèrent les esprits à l’admission de la nouvelle religion. Peut-être le roi des Bactriens y trouva-t-il encore l’avantage politique, en se donnant un système particulier, de se soustraire à quelque influence,

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<p>45</p>

L’original de l’Oupnekhat, si bizarrement traduit ou plutôt défiguré par Anquetil, est bien reconnu pour être l’un des livres les plus authentiques après les Vedas: il date au moins du 1200 ans avant J.-C.

<p>46</p>

Voyez Diog. Laërce, in Proœmio. Mais lorsqu’il ajoute que les mages sont antérieurs aux Égyptiens, il est en erreur et il copie Hermippe et Eudoxe.

<p>47</p>

Le passage suivant de son Traité sur Isis et Osiris est surtout remarquable:

«Il est des hommes qui croient qu’il existe deux dieux, dont le caractère opposé se plaît à faire l’un le bien, l’autre le mal. Zoroastre les a nommés Oromaze et Ahrimane. Il a dit que la lumière est ce qui représente le mieux l’un, comme les ténèbres et l’ignorance représentent le mieux l’autre. Les Perses disent qu’Oromaze fut formé de la lumière la plus pure; Ahrimane, au contraire, des ténèbres les plus épaisses: Oromaze fit six dieux bons comme lui, et Ahrimane en opposa six méchants. Oromaze en fit encore vingt-quatre autres, qu’il plaça dans un œuf; mais Ahrimane en créa autant, qui percèrent l’œuf, ce qui a produit dans le monde le mélange des biens et des maux.»

Théopompe ajoute, d’après les livres des mages, «que tour à tour l’un de ces dieux domine (est supérieur) trois mille ans, pendant que l’autre est inférieur; qu’ensuite ils combattent avec égalité pendant trois autres mille ans… mais enfin le mauvais génie doit succomber, etc.»

En réduisant ces allégories à leur sens naturel et simple, il en résulte que Zoroastre, d’après ses méditations physico-astronomiques, considérait le monde ou l’univers, comme régi par deux principes ou pouvoirs, l’un de production, l’autre de destruction; que le premier gouvernait pendant les six mille, c’est-à-dire pendant les six mois d’été, depuis l’équinoxe du Belier jusqu’à celui de la Balance; et le second pendant les six mille ou six mois d’hiver, depuis la Balance jusqu’au Belier. Cette division de chaque signe du Zodiaque en 1000 parties, se retrouve chez les Chaldéens; et Anquetil, qui a si bien saisi l’allégorie, parle en plus d’un endroit des douze mille de Zoroastre, comme des douze mois de l’année.

L’œuf est, comme l’on sait, l’emblème du monde chez les Égyptiens; les vingt-quatre dieux bons sont les douze mois divisés par quinzaines de lune croissante et de lune décroissante, dont l’usage se retrouve chez les Indiens comme chez les Romains; ainsi du reste: c’est-à-dire que tout le système zoroastrien ne fut que de l’astronomie et de l’astrologie, comme tous les systèmes anciens; et qu’ensuite, défiguré par ses sectaires, qui ne l’entendirent pas, il reçut un sens mystique moral et des applications politiques qui ont eu, en plusieurs occasions, et spécialement chez les Juifs, des conséquences singulières, puisqu’un nouveau système en naquit.

<p>48</p>

Page 199, édit. de Rouen, 1653.

<p>49</p>

Voyez Dupuis, Origine de tous les cultes, pl. n° 17.