Recherches nouvelles sur l'histoire ancienne, tome II. Constantin-François Volney
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«Pendant une bataille livrée par Kê Kaôus, son armée et lui-même furent frappés d’un aveuglement subit et magique, et que cet événement avait été prédit à l’ennemi par un de ses magiciens.»
N’est-ce pas là évidemment l’éclipse de Kyaxarès, dans sa bataille contre Alyattes? et cela d’autant mieux que, pour les Orientaux, magie, astronomie, sont tous synonymes. Cette guerre est placée dans le Manzanderan; mais nous avons déja dit qu’il ne faut attendre aucune exactitude géographique des Orientaux. Nous en avons des preuves, même dans les traducteurs syriaques, arabes, arméniens et persans des livres hébreux, qui très-fréquemment ont commis de grossières erreurs. Quant à Ferdouzi et à Mirkhond même, tout fait principal est pour eux un canevas sur lequel ils brodent à discrétion; et comme ces deux écrivains, payés par des princes, avaient en vue de les flatter, ils ont souvent introduit des accessoires, des motifs, des sentences, qui n’existaient pas dans leurs auteurs: sans compter que ces auteurs, eux-mêmes compilateurs et copistes de troisième, quatrième et dixième main, avaient pris les mêmes libertés avec les originaux; en sorte que toutes ces narrations ne ressemblent pas plus à la vérité historique, que les romans de Roland et de ses preux à l’histoire de Charlemagne.... Aussi, après l’aveuglement magique, Kê Kaôus se trouve-t-il prisonnier; mais le paladin Roustam accourt, le délivre, et le pays se soumet. Peu de temps après, Kê Kaôus tourne ses armes contre l’Égypte, la Syrie et le Roùm, qui est le nom de l’Asie mineure depuis sa possession par les Romains. Tout lui réussit par la valeur de Roustam. Ce héros, que l’on fait vivre plus de 200 ans, joue un grand rôle sous Kai Kaôus, c’est-à-dire Kyaxar. Or, en considérant que d’abord il jouit de la plus grande faveur, qu’ensuite il fut disgracié, et se retira dans un pays éloigné, où il finit par avoir la guerre avec les rois de Perse; que de sa personne il était le guerrier le plus accompli, le cavalier le plus adroit, le chasseur le plus habile, etc.; il nous semble évident que Roustam fut le Parsondas de Ktésias, si célèbre par ses exploits, par sa faveur près d’Artaïos-Kyaxarès, par son aventure romanesque à Babylone; finalement, par sa révolte contre le roi mède, et par sa retraite chez les Cadusiens, dont il devint roi, et où il soutint une guerre dont il sortit avec tout l’honneur. D’Herbelot, à l’article de Roustam, fait observer que, selon quelques auteurs, Kê Kaôus lui envoya son fils pour le convertir au magisme, c’est-à-dire à la doctrine de Zerdust. Cependant ces auteurs nous assurent ensuite que Zerdust ne parut que quatre générations plus tard.
Selon eux encore, Kê Kaôus porte la guerre en Iémen, épouse la fille du roi, est fait prisonnier par surprise, est délivré, par Roustam. Pendant ce temps, les Turks, dit Ferdousi (c’est-à-dire les Scythes), conduits par Afrasiab, avaient fait une invasion dans le Tourân, qu’ils accablaient de maux. Roustam les combat long-temps, sans pouvoir les chasser. Ceci ressemble à l’invasion des Scythes, sous Kyaxarès.
Quant à la guerre de l’Iémen, elle paraît géographiquement étrange: mais si les anciens Orientaux désignèrent ce pays par le nom et l’épithète de felix (Arabia), et si ce mot est l’exact synonyme du chaldéen Assur, l’Assyrie, qui signifie également heureux et riche, les auteurs n’auraient-ils pas été trompés par équivoque, de manière à transporter dans l’heureuse (Arabie), la guerre que fit Kyaxarès contre l’heureuse contrée de Ninive?
Ici les traductions arabes publiées par M. Schultens nous présentent des faits qui ont quelque analogie.
Selon l’historien Nouèïri, l’un des Tobbas, successeur de Balqis, appelé Chamar Iéràche (Shamar le trembleur), sortit en Irâq au temps de Gustasp, qui lui rendit obéissance. Ce Chamar, ayant pris la route du Sinn (qu’il voulait conquérir), descendit dans le pays de Sogd, dont les habitants se rassemblèrent dans la ville capitale (pour la défendre): Chamar les y assiégea, prit la ville et la ruina, après avoir massacré un monde immense. Le vainqueur continua sa marche vers le Sinn; mais il périt dans le désert.
Selon Hamza, il est bien vrai que quelques auteurs placent Chamar au temps de Gust-asp; mais d’autres assurent qu’il fut plus ancien, et qu’il fut tué par Roustam: ce serait lui qui, sous le nom de Chamar-ben-el-emlouk, aurait rendu obéissance à Manutchehr, qui, selon les Parsis, eut le paladin Zal pour vizir, et son fils, le paladin Roustam pour l’un de ses généraux.
Nous allons voir, dans la dynastie Piche-dâd, que Manutchehr porte les traits de Déïokès et de Kyaxar, c’est-à-dire de Kê Qobâd et de Kê Kaôus: or l’identité de Roustam et de Parsondas étant admise, il se trouverait que le règne de Kyaxar, ou de son père, serait l’époque de cette expédition célèbre des Tobbas arabes, dont les traces subsistaient, encore au XIe siècle; car le géographe Ebn-haukal dit avoir vu l’inscription de Chamar sur l’une des portes de Samarkand, qui aurait tiré son nom de ce Tobbas (château de Charmar)55, et cette expédition ne peut guère trouver sa place en un autre temps; parce que, d’une part, remontant d’Alexandre à Kyrus, elle n’a ni trace, ni probabilité, vu la puissance des Perses; et néanmoins les auteurs font Chamar antérieur à Eskander; et parce que, d’autre part, sous l’empire des Assyriens, après les liaisons qui existèrent entre eux et les Arabes, il est invraisemblable que ceux-ci aient traversé hostilement les états des enfans de Ninus, pour aller attaquer les Sogdiens qui furent leurs sujets. Au contraire, lorsque cette famille alliée et amie eut été détrônée par Arbâk, les Tobbas durent considérer les Mèdes comme des rebelles et des ennemis, et ils purent faire contre Deïokès, Phraortes et Kyaxar, des expéditions qu’Hérodote n’aura point connues ou mentionnées. Soit le temps de l’anarchie ou les premières années de Deïok encore faible, soit l’invasion des Scythes et leur domination pendant 28 ans, l’une et l’autre époques furent également favorables à l’attaque de Chamar; et si l’on considère que, par les calculs de Masoudi et de la fausse prophétie de Zerdust, le règne de Gustasp se trouve placé au temps de Kyaxarès, l’on trouvera que notre interprétation reçoit des appuis dans tous ses détails.
Quant à ce qu’ajoute Hamza, «que Manutchehr fut contemporain de Moïse; qu’Afridoun le fut d’Abraham; qu’Abd-el-chems, dit Saba, le fut de Ké Qobâd, etc....» ce sont des anachronismes produits par les comparaisons vicieuses que les écrivains musulmans ont faites des chronologies arabes et juives prises dans leur état brut, et sans en avoir discuté les parties.... Ce genre d’erreurs leur est habituel; l’on ne peut compter sur l’exactitude de leurs synchronismes, que lorsqu’ils sont fondés en faits positifs, passés entre les personnages qu’ils citent; par exemple, le tribut imposé par Chamar à Gustasp, ou payé par lui à Manutchehr; ce qui forme une circonstance contradictoire, mais laisse subsister un fait fondamental; savoir, l’attaque et le tribut.
Après Kê Kaôus-Ky-axar, nous devrions trouver Astiag; mais ce roi manque entièrement: son règne paraît avoir été fondu dans celui de Ké-Kaôus, dont la durée surpasse les deux règnes réunis. Le mariage avec la fille d’un roi, à l’issue d’une guerre et pendant un armistice, doit être celui d’Astyage après la bataille de l’Eclipse: c’est encore à lui que convient l’histoire très-compliquée et diversement racontée, des suites de ce mariage, dont l’issue unanime est que le successeur du roi régnant ne fut point son fils propre, mais son petit-fils, Ké Kosrou, élevé en Perse par Roustam, puis appelé en cour, lorsqu’il est grand, par le roi, qui lui résigne sa couronne, et finit ses jours dans la retraite.
55
Son petit-fils