Comment on construit une maison. Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc
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Fig. 10.
«Vous avez compris, n’est-ce pas? Eh bien, allons voir ce petit escalier que peut-être vous n’avez jamais examiné attentivement. Il a quatre pieds anciens de largeur, ou 1m,30c, ce qui était la largeur suffisante pour descendre facilement les queues de vin. Voyez (fig. 11): la voûte rampante se compose d’autant d’arcs superposés qu’il y a de marches; cela est très bien vu, solide, et facile à construire. En effet, quand on a posé les marches en pierre, sur celles-ci on établit successivement un même cintre de bois qui, bien entendu, ressaute à chaque marche, et, sur ce cintre, on pose un arc, ce qui se fait rapidement, les pierres étant taillées d’avance. Ainsi les arcs suivent le profil de ces marches, et en une journée le cintre étant reporté, après la fermeture de chaque arc, sur la marche suivante, en commençant par celle du bas, deux hommes peuvent bander cinq ou six de ces arcs. S’il y a douze marches, en deux jours on peut donc fermer cette voûte rampante. Voici comme il faut indiquer cette construction en coupe perspective et en géométral dans votre résumé d’aujourd’hui, A et B.
Fig. 11.
«Montons au rez-de-chaussée: voyez à l’intérieur comme les murs laissent paraître des efflorescences qui ressemblent à du coton cardé. C’est le salpêtre qui se forme dans l’intérieur de la pierre et qui, par l’effet de l’humidité du sol, se cristallise sur le parement. Ce salpêtre altère la pierre, finit par la ronger, et fait tomber toute peinture que l’on prétendrait apposer sur la paroi intérieure. On fait des enduits hydrofuges pour arrêter l’effet du salpêtre, mais ces moyens ne font que retarder un peu son apparition sans détruire le mal, et cet enduit tombe bientôt comme une croûte. Il faut donc, quand on construit, à la campagne surtout, empêcher l’humidité du sol de remonter dans l’épaisseur des murs et l’arrêter au niveau du sol. On a essayé parfois d’interposer une couche de bitume entre les pierres du soubassement aux lieu et place du lit de mortier pour éviter l’aspiration de l’humidité par les pierres, ce qu’on appelle la capillarité; mais ce moyen est très insuffisant. Le bitume s’échappe sous la charge, parce qu’il ne durcit pas assez pour résister à cette charge, ou bien il s’altère et se combine avec la chaux. Le mieux est d’interposer, entre les premières assises inférieures d’un soubassement, un lit d’ardoises pris dans la couche de mortier. L’ardoise arrête complètement cet effet de capillarité et l’humidité ne peut remonter dans les murs.
«Regardez maintenant ce mur de face, sur la cour… Il forme comme une bosse à la hauteur du plancher du premier étage. Nous disons alors que c’est un mur qui boucle. Au lieu de se maintenir dans un plan vertical, comme cela devrait être, il a rondi; pourquoi? parce qu’il a été poussé par une force agissant de l’intérieur à l’extérieur. Quelle est cette force? Ce pourrait être une voûte, mais il n’y a pas ici de voûte au rez-de-chaussée. Ce ne peut donc être que le plancher. On ne comprend guère, au premier abord, comment un plancher, qui est un plan horizontal, peut pousser. Car pour pousser, il faudrait supposer que ce plancher s’étend dans un sens, ce qui ne peut être. Mais voici ce qui arrive. Suivez-moi bien… Autrefois, pour établir un plancher, on posait de grosses poutres d’un mur à l’autre, et, sur ces poutres, des pièces de bois plus légères, qu’on appelle solives; puis on chargeait ces solives d’une couche de terre, de gravier ou de sable, et là-dessus on formait une aire en mortier pour recevoir le carrelage. Tout cela est très lourd. Or, comme une pièce de bois, même d’un fort équarrissage, fléchit à la longue sous son propre poids, c’est-à-dire, de droite qu’elle était, devient courbe, à plus forte raison se courbe-t-elle lorsqu’on la charge. Plus elle se courbe et plus elle exerce une pression sur le parement intérieur des murs dans lesquels on a dû l’encastrer. C’est cette pression sur le parement intérieur qui tend à pousser le mur en dehors. Mais, si comme ici, pour soulager la portée des poutres, on a placé dessous des liens29 de bois (fig. 12), cet effet de poussée est d’autant plus sensible que le bras de levier est plus long. Je vois bien que vous ne comprenez pas parfaitement. Un croquis va vous mettre au fait. Soit A la coupe du mur, ou si vous aimez mieux, son épaisseur. Si la poutre vient à se courber suivant la ligne C D, il se produit une pression en D qui est traduite par une poussée en F et le rondissement du mur comme je vous l’indique par les courbes ponctuées. Supposez même qu’à la place du lien E, nous ayons un corbeau de pierre; l’effet produit sera le même, mais moins puissant, à moins que la queue de ce corbeau ne prenne toute l’épaisseur du mur, comme je vous le marque en I, et que cette queue K soit chargée de telle sorte que cette charge neutralise la pression que la poutre exerce à l’extrémité L. C’est ce qui n’a pas été fait ici, où, à la place du lien de bois, on a mis un corbeau. Ce corbeau n’a qu’une médiocre prise dans le mur, et celui-ci, bâti en petits matériaux assez mal maçonnés, n’a pas une consistance suffisante pour résister à la poussée qu’exerce le rondissement des poutres. Mais pourquoi, me direz-vous, cet effet s’est-il produit à la hauteur du plancher du premier étage et ne s’est-il pas produit au-dessus? Parce que, par l’effet du bouclement que nous signalons ici, le mur s’est incliné au-dessus vers l’intérieur, et qu’il a ainsi serré le second plancher, ses parements s’étant placés, par leur inclinaison même, perpendiculairement à la direction courbe des poutres supérieures, comme je vous le marque en M, en exagérant l’effet pour bien vous le faire saisir.
Fig. 12.
«Vous voyez que chaque détail mérite attention et qu’il faut se rendre compte de tout dans les constructions.
«En toutes choses, on n’apprend à éviter le mal qu’en l’analysant et cherchant ses causes, en constatant ses effets; c’est pourquoi, pour devenir un bon constructeur, il ne suffit pas de se familiariser avec les règles de la construction qui ne peuvent prévoir tous les cas; il faut voir beaucoup, beaucoup observer, constater les points défectueux dans les bâtisses anciennes; de même, les médecins n’arrivent-ils à définir une bonne constitution physique qu’en étudiant les maladies et leurs causes. Nous n’apprécions ce qui est bon le plus souvent que par la connaissance du mal, si bien qu’en l’absence du mal, nous pouvons admettre que le bon existe. Un vieux maître architecte qui, quand j’avais à peu près votre âge, voulait bien m’aider de ses conseils, me disait souvent: «Mon ami, je puis vous dire ce qu’il faut éviter dans l’art de bâtir; quant à vous expliquer en quoi consiste le bon et le beau, c’est affaire à vous de le trouver. Si vous êtes né architecte, vous saurez bien le découvrir; sinon, tout ce que je pourrais vous montrer, les exemples que je placerais sous vos yeux ne vous donneraient pas du talent.» Et le maître parlait sagement. La vue des plus belles œuvres d’architecture peut fausser l’esprit des étudiants si, en les leur montrant, on ne leur explique pas comment leurs auteurs sont arrivés à les faire belles, parce qu’ils ont évité de tomber dans telles et telles fautes.
«Mais en voilà assez pour votre rédaction de ce jour. Mettez ces croquis au net, en regard de votre texte, et nous verrons cela ce soir.»
CHAPITRE VI
COMME QUOI M. PAUL EST INDUIT À ÉTABLIR CERTAINES DIFFÉRENCES ENTRE LA MORALE ET LA CONSTRUCTION
Lorsque le soir, le compte rendu rédigé par
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Berceau de voûte. S’entend d’une voûte composée simplement d’une portion de cylindre.
28
Parement. Surface externe ou interne d’un mur.
29
Lien. Pièce de bois en écharpe qui réunit l’arbalétrier au poinçon, ou une poutre horizontale à un poteau.