Leçons d'histoire. Constantin-François Volney

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Leçons d'histoire - Constantin-François Volney

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immédiates, ou des modifications heureuses14.

      Le troisième genre d'utilité que l'on peut retirer de l'histoire, celui que j'appelle d'utilité politique ou sociale, consisté à recueillir et à méditer tous les faits relatifs à l'organisation des sociétés, au mécanisme des gouvernements, pour en induire des résultats généraux ou particuliers, propres à servir de termes de comparaison, et de règles de conduite en des cas analogues ou semblables; sous ce rapport, l'histoire, prise dans son universalité, est un immense recueil d'expériences morales et sociales, que le genre humain fait involontairement et très-dispendieusement sur lui-même; dans lesquelles chaque peuple, offrant des combinaisons variées d'événements, de passions, de causes et d'effets, développe, aux yeux de l'observateur attentif, tous les ressorts et tout le mécanisme de la nature humaine: de manière que si l'on avait un tableau exact du jeu réciproque de toutes les parties de chaque machine sociale, c'est-à-dire, des habitudes, des mœurs, des opinions, des lois, du régime intérieur et extérieur de chaque nation, il serait possible d'établir une théorie générale de l'art de composer ces machines morales, et de poser des principes fixes et déterminés de législation, d'économie politique, et de gouvernement. Il n'est pas besoin de faire sentir toute l'utilité d'un pareil travail. Malheureusement il est soumis à beaucoup de difficultés; d'abord, parce que la plupart des histoires, surtout les anciennes, n'offrent que des matériaux incomplets ou vicieux; ensuite, parce que l'usage que l'on peut en faire, les raisonnements dont ils sont le sujet, ne sont justes qu'autant que les faits sont représentés exactement; et nous avons vu combien l'exactitude et la précision sont épineuses à obtenir, surtout dans les faits privés et préliminaires: or, il est remarquable que dans l'histoire, ce ne sont pas tant les faits majeurs et marquants qui sont instructifs, que les faits accessoires, et que les circonstances qui les ont préparés ou produits; car ce n'est qu'en connaissant ces circonstances préparatoires, que l'on peut parvenir à éviter ou à obtenir de semblables résultats: ainsi dans une bataille, ce n'est pas son issue qui est instructive, ce sont les divers mouvements qui en ont décidé le sort, et qui, quoique moins saillants, sont pourtant les causes, tandis que l'événement n'est que l'effet15. Telle est l'importance de ces notions de détail, que, sans elles, le terme de comparaison se trouve vicieux, n'a plus d'analogie avec l'objet auquel on veut en faire l'application; et cette faute, si grave dans ses conséquences, est pourtant habituelle et presque générale en histoire: on accepte des faits sans discussion; on les combine sans rapports certains; on dresse des hypothèses qui manquent de fondement; on en fait les applications qui manquent de justesse; et de là, des erreurs d'administration et de gouvernement, faussement imitatives, qui entraînent quelquefois les plus grands malheurs. C'est donc un art et un art profond, que d'étudier l'histoire sous ce grand point de vue; et si, comme il est vrai, l'utilité qui en peut résulter est du genre le plus vaste, l'art qui la procure est du genre le plus élevé; c'est la partie transcendante, et, s'il m'est permis de le dire, ce sont les hautes mathématiques de l'histoire.

      Ces diverses considérations, loin de faire digression à mon sujet, m'ont au contraire préparé une solution facile de la plupart des questions qui y sont relatives. Demande-t-on si l'enseignement de l'histoire peut s'appliquer aux écoles primaires: il est bien évident que ces écoles étant composées d'enfants, dont l'intelligence n'est point encore développée, qui n'ont aucune idée, aucun moyen de juger des faits de l'ordre social, ce genre de connaissances ne leur convient point; qu'il n'est propre qu'à leur donner des préjugés, des idées fausses et erronées, qu'à en faire des babillards et des perroquets, ainsi que l'a prouvé, depuis deux siècles, le système vicieux de l'éducation dans toute l'Europe. Qu'entendions-nous dans notre jeunesse à cette Histoire de Tite-Live, ou de Salluste, à ces Commentaires de César, à ces Annales de Tacite que l'on nous forçait d'expliquer? Quel fruit, quelle leçon en avons-nous tirés? D'habiles instituteurs avaient si bien senti ce vice, que malgré leur désir d'introduire dans l'éducation la lecture des livres hébreux, ils n'osèrent jamais le tenter, et furent obligés de leur donner la forme du roman connu sous le nom d'Histoire du peuple de Dieu; d'ailleurs, si la majeure partie des enfants des écoles primaires est destinée à la pratique des arts et métiers, qui absorberont tout leur temps pour fournir à leur subsistance, pourquoi leur donner des notions qu'ils ne pourront cultiver, qu'il leur sera indispensable d'oublier, et qui ne leur laisseront qu'une prétention de faux savoir, pire que l'ignorance? Les écoles primaires rejettent donc l'histoire sous son grand rapport politique; elles l'admettraient davantage sous le rapport des arts, parce qu'il en est plusieurs qui se rapprochent de l'intelligence du jeune âge, et que le tableau de leur origine et de leur progrès pourrait leur insinuer l'esprit d'analyse; mais il faudrait composer en ce genre des ouvrages exprès, et le fruit que l'on en obtiendrait, n'en vaudrait peut-être ni le soin ni les frais.

      Le seul genre d'histoire qui me paraisse convenir aux enfans, est le genre biographique, ou celui des vies d'hommes privés ou publics; l'expérience a prouvé que cette sorte de lecture, pratiquée dans les veillées, au sein des familles, produisait un effet puissant sur ces jeunes cerveaux, et excitait en eux ce désir d'imitation, qui est un attribut physique de notre nature, et qui détermine le plus nos actions. Ce sont souvent des traits reçus dans de telles lectures, qui ont décidé de la vocation et des penchants de toute la vie; et ces traits sont d'autant plus efficaces qu'ils sont moins préparés par l'art, et que l'enfant, qui fait une réflexion et porte un jugement, a plus le sentiment de sa liberté, en ne se croyant ni dominé ni influencé par une autorité supérieure. Nos anciens l'avaient bien senti, lorsque, pour accréditer leurs opinions dogmatiques, ils imaginèrent ce genre d'ouvrage que l'on appelle Vie des Saints. Il ne faut pas croire que toutes ces compositions soient dépourvues de mérite et de talent; plusieurs sont faites avec beaucoup d'art, et une grande connaissance du cœur humain: et la preuve en est qu'elles ont fréquemment rempli leur objet, celui d'imprimer aux ames un mouvement dans le sens et la direction qu'elles avaient en vue.

      A mesure que les esprits se sont dégagés des idées du genre religieux, on a passé aux ouvrages du genre philosophique et politique; et les Hommes illustres de Plutarque et de Cornelius Nepos ont obtenu la préférence sur les Martyrs et les Saints Pères du désert: et du moins ne pourra-t-on nier que ces modèles, quoique dits profanes, ne soient plus à l'usage des hommes vivant en société, mais encore ont-ils l'inconvénient de nous éloigner de nos mœurs, et de donner lieu à des comparaisons vicieuses, et capables d'induire en de graves erreurs. Il faudrait que ces modèles fussent pris chez nous, dans nos mœurs, et s'ils n'existaient pas il faudrait les créer; car c'est surtout ici le cas d'appliquer le principe que j'ai avancé, que le roman peut être supérieur à l'histoire en utilité. Il est à désirer que le gouvernement encourage des livres élémentaires de ce genre; et comme ils appartiennent moins à l'histoire qu'à la morale, je me bornerai à rappeler à leurs compositeurs deux préceptes fondamentaux de l'art, dont ils ne doivent point s'écarter: concision et clarté. La multitude des mots fatigue les enfants, les rend babillards; les traits concis les frappent, les rendent penseurs; et ce sont moins les réflexions qu'on leur fait, que celles qu'ils se font, qui leur profitent.

      CINQUIÈME SÉANCE

      De l'art de lire l'histoire; cet art n'est point à la portée des enfants: l'histoire, sans enseignement, leur est plus dangereuse qu'utile.—De l'art d'enseigner l'histoire.—Vues de l'auteur sur un cours d'études de l'histoire.—De l'art d'écrire l'histoire.—Examen des préceptes de Lucien et de Mably.

      NOUS avons vu que les faits historiques fournissent matière à trois genres d'utilité: l'une relative aux particuliers, l'autre relative aux gouvernements et aux sociétés, et la troisième applicable aux sciences et aux arts. Mais, parce que cette utilité quelconque ne s'offre point d'elle-même, ni sans le mélange d'inconvénients et de difficultés; parce que, pour être recueillie, elle exige des précautions et un art particulier; nous avons commencé l'examen des principes et des règles de cet art, et nous allons continuer aujourd'hui de les développer en les divisant en deux branches: art d'étudier l'histoire; art de composer

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Ce sujet est si important, que le lecteur ne trouvera pas mauvais que j'insère ici les résultats de mes observations sur les différentes salles où je me suis trouvé.

L'objet principal, même unique d'une salle délibérante, est que les discutants se parlent avec aisance, s'entendent avec clarté; décoration, construction, règles de l'art, tout doit être subordonné à ce point final. Pour l'obtenir, il faut:

1º Que les délibérants soient rapprochés les uns des autres, dans le plus petit espace conciliable avec la salubrité et la commodité; sans cette condition, ceux qui ont des voix faibles sont dépouillés de fait de leur droit de voter, et il s'établit une aristocratie de poumons, qui n'est pas l'une des moins dangereuses;

2º Que les délibérants siégent dans l'ordre le plus propre à mettre en évidence tous leurs mouvemens; car, sans respect public, il n'y a point de dignité individuelle; ces deux premières conditions établissent la forme circulaire et amphithéâtrale;

3º Que les rangs des délibérants forment une masse continue, sans division matérielle qui en fasse des quartiers distincts; car ces divisions matérielles favorisent et même fomentent des divisions morales de parti et de faction;

4º Que le parquet de la salle soit interdit à toute autre personne qu'aux secrétaires et aux huissiers; rien ne trouble plus la délibération, que d'aller et venir dans ce parquet;

5º Que les issues d'entrée et de sortie soient nombreuses, indépendantes les unes des autres, de manière que la salle puisse s'évacuer ou se remplir rapidement et sans confusion;

6º Que l'auditoire soit placé de manière à ne gêner en rien les délibérants.

Comme cette dernière condition pourrait sembler un problème, voici le plan que j'ai calculé sur ces diverses données, et qu'il n'appartient qu'à des architectes de rectifier dans l'exécution.

Je trace une salle en fer à cheval, ou formant un peu plus que le demi-cercle; je lui donne une aire suffisante à placer cinq cents délibérants au plus; car des assemblées plus nombreuses sont des cohues, et peut-être trois cents sont-ils un nombre préférable. J'élève cinq ou six rangs de gradins en amphithéâtre dont le rayon est de trente-six à quarante pieds au plus: dans chacun de ces rangs, je pratique une foule d'issues dites vomitoires, pour entrer et sortir. Autour du parquet, règne une balustrade qui l'interdit au dernier gradin. A l'un des bouts du demi-cercle, et hors des rangs, est le siége du président; derrière lui, hors du cercle, est un appartement à son usage, par où il entre et sort: devant lui sont les secrétaires; à l'autre bout en face, aussi hors des rangs, est la tribune de lecture, destinée seulement à lire les lois et les rapports; chaque membre devant parler sans quitter sa place: cette tribune et le siége du président n l'amphithéâtre. Au-dessus des rangs, en retraite dans le mur, sont des tribunes où siégent les preneurs de notes, dits journalistes, qui, dans un gouvernement républicain me paraissant des magistrats très-influants, sont élus partie par le peuple, partie par le gouvernement: enfin, j'admets quelques tribunes grillées pour les ambassadeurs et pour divers magistrats.

La voûte de cette salle est non pas ronde, mais aplatie et calculée pour des effets suffisants d'audition: nombre de châssis y sont pratiqués pour rafraîchir l'air de la salle, et pour y jeter de la lumière. Aucune fenêtre latérale, aucune colonne ne rompt l'unité de l'enceinte. S'il y a trop d'écho, l'on tend des draperies. Le long des murs sont des thermomètres pour mesurer et tenir à un même degré la chaleur des poêles souterrains en hiver, et des conduits d'air en été; cette partie est sous l'inspection de trois médecins; car la santé des délibérants est un des éléments des bonnes lois.

Jusqu'ici l'on ne voit point d'auditoire, et cependant j'en veux un avec la condition commode de le faire plus ou moins nombreux, selon qu'on le voudra: pour cet effet j'adapte à l'ouverture du demi-cercle ci-dessus, un autre demi-cercle plus petit, ou plus grand, ou égal, qui représente une salle de spectacle sans galeries. Les délibérants se trouvent à son égard comme dans un théâtre élevé qui domine d'assez haut le parterre. Ces deux salles sont séparées par un passage et une balustrade, presque comme l'orchestre, pour s'opposer, au besoin, à tout mouvement. L'on entre par ce passage pour se présenter à la barre située entre le président et la tribune de lecture: enfin, une cloison latérale mobile vient, dans les cas de délibération secrète, isoler en un clin d'œil les délibérants, sans déplacer la masse des spectateurs. Il y a tout lieue se regardent pas, mais sont un peu tournés vis-à-vis le fond de croire qu'un tel édifice ne coûterait pas 100,000 francs, parce qu'il exclut toute espèce de luxe; mais dût-il coûter le double, sa construction est la chose la plus praticable, même dans nos circonstances; car sans toucher au trésor public, une souscription de 12 à 15 fr. par mois, de la part de chaque membre des Conseils, remplirait l'objet qu'ils désirent également, sans être une charge onéreuse sur leur traitement.

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Ainsi encore les détails des négociations, de qui dépendent les grands événements de la paix et de la guerre, sont de tous les faits historiques les plus instructifs, puisque l'on y voit à nu tout le jeu des intrigues et des passions; et ces faits seront toujours les moins connus, parce qu'il n'est peut-être aucun de leurs agents qui osât en rendre un compte exact, pour son propre honneur ou son intérêt.