Leçons d'histoire. Constantin-François Volney

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Leçons d'histoire - Constantin-François Volney

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observeras si je ferme seulement les yeux; car nous sommes habitués à Jomsbourg à ne pas remuer, même quand on nous donne le coup de la mort; nous nous sommes exercés à cela les uns les autres.» Il mourut en tenant sa promesse, et en présence de tous les spectateurs. Le septième était, dit l'historien, un jeune homme d'une grande beauté, et à la fleur de l'âge; sa longue chevelure blonde semblait de soie, et flottait en bouclés sur ses épaules: Torchill lui ayant demandé s'il redoutait la mort: «Je la reçois volontiers, dit-il, puisque j'ai rempli le plus grand devoir de la vie, et que j'ai vu mourir tous ceux à qui je ne puis survivre; je te prie seulement qu'aucun esclave ne touche mes cheveux, et que mon sang ne les salisse point.»

      Ce trait vous prouve quelle est là puissance des préceptes de l'éducation, dans un genre même aussi contraire à la nature; et il peut en même temps prouver l'abus qu'il serait possible de faire de l'histoire, puisqu'un tel exemple, il y a plusieurs mois19, n'eut pas manqué de servir à autoriser le fanatisme; et tel est le danger qu'en effet je trouve à l'histoire, d'offrir presque éternellement des scènes de folie, de vice et de crime, et par conséquent des modèles et des encouragements aux écarts les plus monstrueux.

      En vain dira-t-on que les maux qui en résultent suffisent pour en détourner. Il est en morale une vérité profonde à laquelle on ne fait point assez d'attention; c'est que le spectacle du désordre et du vice laisse toujours de dangereuses impressions; qu'il sert moins à en détourner, qu'à y accoutumer par la vue, et à y enhardir par l'excuse que fournit l'exemple. C'est le même mécanisme physique qui fait qu'un récit obscène jette le trouble dans l'ame la plus chaste, et que le meilleur moyen de maintenir la vertu, c'est de ne pas lui présenter les images du vice20.

      Dans le genre dont je parle, je dirai volontiers que les meilleurs ouvrages sont les moins mauvais, et que le parti le plus sage serait d'attendre que les jeunes gens eussent déjà un jugement à eux, et libre de l'influence magistrale; pour les introduire à la lecture de l'histoire; leur esprit neuf, mais non pas ignorant, n'en serait que plus propre à saisir des points de vue nouveaux, et à ne point fléchir devant les préjugés qu'inspire une éducation routinière. Si j'avais à tracer un plan d'études en ce genre, après avoir requis ces conditions, voici la marche qui me paraîtrait la plus convenable.

      D'abord, j'exigerais que mes élèves eussent des notions préliminaires dans les sciences exactes, telles que les mathématiques, la physique, l'état du ciel et du globe terrestre, c'est-à-dire qu'ils eussent l'esprit muni de moyens et de termes de comparaison, pour juger des faits qui leur seraient racontés: j'ai dit l'état du ciel et du globe terrestre, parce que, sans quelques idées d'astronomie, l'on ne conçoit rien en géographie, et que sans un aperçu de géographie, l'on ne sait où placer les scènes de l'histoire, qui flottent dans l'esprit comme les nuages dans l'air. Je ne trouverais point nécessaire que mes élèves eussent approfondi les détails de ces deux sciences: l'histoire les leur fournira; et je ne demanderais point qu'ils fussent exempts de préjugés, soit en morale, soit en idées religieuses; il suffirait qu'ils ne fussent entêtés de rien; qu'ils eussent l'esprit ouvert à l'observation; et je ne doute pas que le spectacle varié de tous les contrastes de l'histoire ne redressât leurs idées en les étendant. C'est pour ne connaître que soi et les siens, qu'on est opiniâtre; c'est pour n'avoir vu que son clocher, qu'on est intolérant, parce que l'opiniâtreté et l'intolérance ne sont que les fruits d'un égoïsme ignorant; et que quand on a vu beaucoup d'hommes, quand on a comparé beaucoup d'opinions, l'on s'aperçoit que chaque homme a son prix, que chaque opinion a ses raisons, et l'on émousse les angles tranchants d'une vanité neuve pour rouler doucement dans le torrent de la société; ce fruit de sagesse et d'utilité que l'on recueille des voyages, l'histoire le procure aussi; car l'histoire est un voyage qui se fait avec cet agrément, que sans péril ni fatigue, et sans changer de place, on parcourt l'univers des temps et des lieux. Or, de même qu'un voyageur ne commence pas par s'aller placer en ballon dans les terres australes, ni dans les pays inaccessibles et inconnus, pour prendre de là sa course vers la terre habitée; de même, si j'en suis cru de mes élèves en histoire, ils ne se jetteront point d'abord dans la nuit de l'antiquité ni dans les siècles incommensurables, pour de là tomber, sans savoir comment, dans des âges contigus au nôtre, qui n'ont aucune ressemblance avec les premiers: ils éviteront donc tous ces livres d'histoire qui d'un seul bond vous transportent à l'origine du monde, qui vous en calculent l'époque comme du jour d'hier, et qui vous déclarent que là il n'y a point à raisonner, et que là il faut croire sans contester. Or, comme les contestations sont une mauvaise chose, et que cependant le raisonnement est une boussole que l'on ne peut quitter, il faut laisser ces habitants des antipodes dans leur pôle austral; et imitant les navigateurs prudents, partir d'abord de chez nous, voguer terre à terre, et n'avancer qu'à mesure que le pays nous devient connu. Je serais donc d'avis que l'on étudiât d'abord l'histoire du pays où l'on est né, où l'on doit vivre, et où l'on peut acquérir la preuve matérielle de faits, et voir les objets de comparaison. Et cependant je ne prétendrais pas blâmer une méthode qui commencerait par un pays étranger, car cet aspect d'un ordre de choses, de coutumes, de mœurs qui ne sont pas les nôtres, a un effet puissant pour rompre le cours de nos préjugés, et pour nous faire voir nous-mêmes sous un jour nouveau, qui produit en nous le désintéressement et l'impartialité: l'unique condition que je tienne pour indispensable, est que ce soit une histoire de temps et de pays bien connus, et possible à vérifier. Que ce soit l'histoire d'Espagne, d'Angleterre, de Turkie ou de Perse, tout est égal, avec cette seule différence qu'il paraît que jusqu'ici nos meilleures histoires ont été faites sur des pays d'Europe, parce que ce sont eux que nous connaissons le mieux. D'abords nos élèves prendraient une idée générale d'un pays et d'une nation donnés, dans l'écrivain le plus estimé qui en a traité. Par-là, ils acquerraient une première échelle de temps, à laquelle tout viendrait, et tout devrait se rapporter. S'ils voulaient approfondir les détails, ils auraient déja trouvé dans ce premier ouvrage l'indication des originaux, et ils pourraient les consulter et les compulser: ils le devraient même sur les articles où leur auteur aurait témoigné de l'incertitude et de l'embarras. D'une première nation, ou d'une première période connues, ils passeraient à une voisine qui les aurait plus intéressés, qui aurait le plus de connexion avec des points nécessaires à éclaircir ou à développer. Ainsi de proche en proche, ils prendraient une connaissance suffisante de l'Europe, de l'Asie, de l'Afrique et du Nouveau-Monde; car, suivant toujours mon principe de ne procéder que du connu à l'inconnu, et du voisin à l'éloigné, je ne voudrais pas qu'ils remontassent dans les temps reculés, avant d'avoir une idée complète de l'état présent; cette idée acquise, nous nous embarquerions pour l'antiquité, mais avec prudence, et gagnant d'échelle en échelle, de peur de nous perdre sur une mer privée de rivages et d'étoiles arrivés aux confins extrêmes des temps historiques, et là trouvant quelques époques certaines, nous nous y placerions comme sur des promontoires, et nous tâcherions d'apercevoir, dans l'océan ténébreux de l'antiquité, quelques-uns de ces point saillants, qui, tels que des îles, surnagent aux flots des événements. Sans quitter terre, nous essayerions de connaître par divers rapports, comme par des triangles, la distance de quelques-uns; et elle deviendrait pour nous une base chronologique qui servirait à mesurer la distance des autres. Tant que nous verrions de tels points certains, et que nous pourrions en mesurer l'intervalle, nous avancerions, le fil à la main; mais alors que nous ne verrions plus que des brouillards et des nuages, et que les faiseurs de cosmogonies et de mythologies viendraient pour nous conduire aux pays des prodiges et des fées, nous retournerions sur nos pas; car ordinairement ces guides imposent pour condition de mettre un bandeau sur les yeux, et alors on ne sait où l'on va; de plus ils se disputent entre eux à qui vous aura, et il faut éviter les querelles: ce serait payer trop cher un peu de science, que de l'acheter au prix de la paix. A la vérité, mes élèves reviendraient l'esprit plein de doutes sur la chronologie des Assyriens et des Égyptiens; ils ne seraient pas sûrs de savoir, à 100 ans près, l'époque de la guerre de Troie, et seraient même très-portés à douter, et de l'existence humaine de tous les demi-dieux, et du déluge de Deucalion, et du vaisseau des Argonautes, et des 115 ans de règne de Fohi le Chinois, et de tous les prodiges indiens,

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<p>19</p>

Avant thermidor de l'an 2.

<p>20</p>

Les prêtres l'ont si bien senti, que, par une contradiction digne de leur système, ils ont toujours interdit à la jeunesse, et en général au peuple, la lecture des Bibles pleines de récits grossiers et atroces, et pourtant dictés par le Saint-Esprit.