Le mystère de la chambre jaune. Гастон Леру
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Читать онлайн книгу Le mystère de la chambre jaune - Гастон Леру страница 10
M. Robert Darzac nous fit entrer dans la partie moderne du château par une vaste porte que protégeait une «marquise». Rouletabille, qui avait abandonné le cheval et le cabriolet aux soins dun domestique, ne quittait pas des yeux M. Darzac; je suivis son regard, et je maperçus que celui-ci était uniquement dirigé vers les mains gantées du professeur à la Sorbonne. Quand nous fûmes dans un petit salonet garni de meubles vieillots, M. Darzac se tourna vers Rouletabille et assez brusquement lui demanda:
«Parlez! Que me voulez-vous?»
Le reporter répondit avec la même brusquerie:
«Vous serrer la main!»
Darzac se recula:
«Que signifie?»
Évidemment, il avait compris ce que je comprenais alors: que mon ami le soupçonnait de labominable attentat. La trace de la main ensanglantée sur les murs de la «Chambre Jaune» lui apparut… Je regardai cet homme à la physionomie si hautaine, au regard si droit dordinaire et qui se troublait en ce moment si étrangement. Il tendit sa main droite, et, me désignant:
«Vous êtes lami de M. Sainclair qui ma rendu un service inespéré dans une juste cause, monsieur, et je ne vois pas pourquoi je vous refuserais la main…»
Rouletabille ne prit pas cette main. Il dit, mentant avec une audace sans pareille:
«Monsieur, jai vécu quelques années en Russie, doù jai rapporté cet usage de ne jamais serrer la main à quiconque ne se dégante pas.»
Je crus que le professeur en Sorbonne allait donner un libre cours à la fureur qui commençait à lagiter, mais au contraire, dun violent effort visible, il se calma, se déganta et présenta ses mains. Elles étaient nettes de toute cicatrice.
«Êtes-vous satisfait?
– Non! répliqua Rouletabille. Mon cher ami, fit-il en se tournant vers moi, je suis obligé de vous demander de nous laisser seuls un instant.»
Je saluai et me retirai, stupéfait de ce que je venais de voir et dentendre, et ne comprenant pas que M. Robert Darzac neût point déjà jeté à la porte mon impertinent, mon injurieux, mon stupide ami… Car, à cette minute, jen voulais à Rouletabille de ses soupçons qui avaient abouti à cette scène inouïe des gants…
Je me promenai environ vingt minutes devant le château, essayant de relier entre eux les différents événements de cette matinée, et ny parvenant pas. Quelle était lidée de Rouletabille? Était-il possible que M. Robert Darzac lui apparût comme lassassin? Comment penser que cet homme, qui devait se marier dans quelques jours avec Mlle Stangerson, sétait introduit dans la «Chambre Jaune» pour assassiner sa fiancée? Enfin, rien nétait venu mapprendre comment lassassin avait pu sortir de la «Chambre Jaune»; et, tant que ce mystère qui me paraissait inexplicable ne me serait pas expliqué, jestimais, moi, quil était du devoir de tous de ne soupçonner personne. Enfin, que signifiait cette phrase insensée qui sonnait encore à mes oreilles: le presbytère na rien perdu de son charme ni le jardin de son _éclat!_Javais hâte de me retrouver seul avec Rouletabille pour le lui demander.
À ce moment, le jeune homme sortit du château avec M. Robert Darzac. Chose extraordinaire, je vis au premier coup doeil quils étaient les meilleurs amis du monde.
«Nous allons à la «Chambre Jaune», me dit Rouletabille, venez avec nous. Dites-donc, cher ami, vous savez que je vous garde toute la journée. Nous déjeunons ensemble dans le pays…
– Vous déjeunerez avec moi, ici, messieurs…
– Non, merci, répliqua le jeune homme. Nous déjeunerons à lauberge du «Donjon»…
– Vous y serez très mal… Vous ny trouverez rien.
– Croyez-vous? … Moi jespère y trouver quelque chose, répliqua Rouletabille. Après déjeuner, nous retravaillerons, je ferai mon article, vous serez assez aimable pour me le porter à la rédaction…
– Et vous? Vous ne revenez pas avec moi?
– Non; je couche ici…»
Je me retournai vers Rouletabille. Il parlait sérieusement, et M. Robert Darzac ne parut nullement étonné…
Nous passions alors devant le donjon et nous entendîmes des gémissements. Rouletabille demanda:
«Pourquoi a-t-on arrêté ces gens-là?
– Cest un peu de ma faute, dit M. Darzac. Jai fait remarquer hier au juge dinstruction quil est inexplicable que les concierges aient eu le temps dentendre les coups de revolver, «de shabiller», de parcourir lespace assez grand qui sépare leur loge du pavillon, tout cela en deux minutes; car il ne sest pas écoulé plus de deux minutes entre les coups de revolver et le moment où ils ont été rencontrés par le père Jacques.
– Èvidemment, cest louche, acquiesça Rouletabille… Et ils étaient habillés…?
– Voilà ce qui est incroyable… ils étaient habillés… «entièrement», solidement et chaudement… Il ne manquait aucune pièce à leur costume. La femme était en sabots, mais lhomme avait «ses souliers lacés». Or, ils ont déclaré sêtre couchés comme tous les soirs à neuf heures. En arrivant, ce matin, le juge dinstruction, qui sétait muni, à Paris, dun revolver de même calibre que celui du crime (car il ne veut pas toucher au revolver-pièce à conviction), a fait tirer deux coups de revolver par son greffier dans la «Chambre Jaune», fenêtre et porte fermées. Nous étions avec lui dans la loge des concierges; nous navons rien entendu… on ne peut rien entendre. Les concierges ont donc menti, cela ne fait point de doute… Ils étaient prêts; ils étaient déjà dehors non loin du pavillon; ils attendaient quelque chose. Certes, on ne les accuse point dêtre les auteurs de lattentat, mais leur complicité nest pas improbable… M. de Marquet les a fait arrêter aussitôt.
– Sils avaient été complices, dit Rouletabille, ils seraient arrivés débraillés, ou plutôt ils ne seraient pas arrivés du tout. Quand on se précipite dans les bras de la justice, avec sur soi tant de preuves de complicité, cest quon nest pas complice. Je ne crois pas aux complices dans cette affaire.
– Alors, pourquoi étaient-ils dehors à minuit? Quils le disent! …
– Ils ont certainement un intérêt à se taire. Il sagit de savoir lequel… Même sils ne sont pas complices, cela peut avoir quelque importance. Tout est important de ce qui se passe dans une nuit pareille…»
Nous venions de traverser un vieux pont jeté sur la Douve et nous entrions dans cette partie du parc appelée «la Chênaie». Il y avait là des chênes centenaires. Lautomne avait déjà recroquevillé leurs feuilles jaunies et leurs hautes branches noires et serpentines semblaient daffreuses chevelures, des noeuds de reptiles géants entremêlés comme le sculpteur antique en a tordu sur sa tête de Méduse. Ce lieu, que Mlle Stangerson habitait lété parce quelle le trouvait gai, nous apparut, en cette saison, triste et funèbre. Le sol était noir, tout fangeux des pluies récentes et de la bourbe des feuilles mortes, les troncs des arbres étaient noirs, le ciel lui-même, au-dessus de nos têtes, était en deuil, charriait de gros nuages lourds. Et, dans cette retraite sombre et désolée, nous aperçûmes les murs blancs du pavillon. Étrange bâtisse, sans une fenêtre