Les mystères d'Udolphe. Анна Радклиф

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Les mystères d'Udolphe - Анна Радклиф

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reconnu. Sa tante ne quittant un sujet pénible que pour en traiter un qui ne le devenait pas moins, parla de M. Motteville et de la perte énorme que sa nièce faisait avec lui. Pendant qu'elle raisonnait avec une pitié fastueuse des infortunes qu'éprouvait Emilie, elle insistait sur les devoirs de l'humilité, sur ceux de la reconnaissance; elle faisait dévorer à sa nièce les plus cruelles mortifications et l'obligeait à se considérer comme étant dans la dépendance, non-seulement de sa tante, mais de tous les domestiques.

      On l'avertit alors qu'on attendait beaucoup de monde à dîner, et madame Chéron lui répéta toutes les leçons du soir précédent, sur sa conduite dans la société; elle ajoutait qu'elle voulait la voir mise avec un peu d'élégance et de goût, et ensuite elle daigna lui montrer toute la splendeur de son château, lui faire remarquer tout ce qui brillait d'une magnificence particulière, et distinguait les différents appartements; après quoi elle se retira dans son cabinet de toilette. Emilie s'enferma dans sa chambre, déballa ses livres, et charma son esprit par la lecture jusqu'au moment de s'habiller.

      Quand on fut rassemblé, Emilie entra dans le salon avec un air de timidité que ses efforts ne pouvaient vaincre. L'idée que madame Chéron l'observait d'un œil sévère la troublait encore davantage. Son habit de deuil, la douceur et l'abattement de sa charmante figure, la modestie de son maintien, la rendirent très-intéressante à quelques personnes de la société. Elle reconnut le signor Montoni et son ami Cavigni, qu'elle avait trouvés chez M. Quesnel; ils avaient dans la maison de madame Chéron toute la familiarité d'anciennes connaissances; elle paraissait elle-même les accueillir avec grand plaisir.

[Illustration]

      Montoni et Cavigni.

      Le signor Montoni portait dans son air le sentiment de sa supériorité: l'esprit et les talents dont il pouvait la soutenir, obligeaient tout le monde à lui céder. La finesse de son tact était fortement exprimée dans sa physionomie; mais il savait se déguiser quand il le fallait, et l'on pouvait y remarquer souvent le triomphe de l'art sur la nature. Son visage était long, assez maigre, et pourtant on le disait beau; c'était peut-être à la force, à la vigueur de son âme, qui se prononçait dans tous ses traits, que pouvait se rapporter cet éloge. Emilie se sentit entraînée vers une sorte d'admiration pour lui, mais non pas de cette admiration qui pouvait conduire à l'estime; elle y joignait une sorte de crainte dont elle ne devinait pas la cause.

      Cavigni était gai et insinuant comme la première fois. Quoique presque toujours occupé de madame Chéron, il trouvait les moyens de causer avec Emilie. Il lui adressa d'abord quelques saillies d'esprit, et prit ensuite un air de tendresse dont elle s'aperçut bien, et qui ne l'effraya point. Elle parlait peu, mais la grâce et la douceur de ses manières l'encourageaient à continuer: elle n'eut de relâche que quand une jeune dame du cercle, qui parlait sans cesse et sur tout, vint se mêler à l'entretien: cette dame, qui déployait toute la vivacité, toute la coquetterie d'une Française, affectait d'entendre tout, ou plutôt elle n'y mettait point d'affectation. N'étant jamais sortie d'une ignorance parfaite, elle n'imaginait pas qu'elle eût rien à apprendre; elle obligeait tout le monde à s'occuper d'elle, amusait quelquefois, fatiguait au bout d'un moment, et puis était abandonnée.

      Emilie, quoique amusée de tout ce qu'elle avait vu, se retira sans peine, et se replongea volontiers dans les souvenirs qui lui plaisaient.

      Une quinzaine se passa dans un train de dissipation et de visites; Emilie accompagnait madame Chéron partout, s'amusait quelquefois, et s'ennuyait souvent. Elle fut frappée des connaissances et de l'apparente instruction que développaient les conversations autour d'elle. Ce ne fut que longtemps après qu'elle reconnut l'imposture de ces prétendus talents.

      Les plus agréables moments d'Emilie s'écoulaient au pavillon de la terrasse; elle s'y retirait avec un livre, ou avec son luth, pour jouir de sa mélancolie ou pour la vaincre.

      Un soir Emilie touchait son luth dans le pavillon, avec une expression qui venait du cœur. Le jour tombant éclairait encore la Garonne, qui fuyait à quelque distance, et dont les flots avaient passé devant la vallée. Emilie pensait à Valancourt; elle n'en avait pas entendu parler depuis son séjour à Toulouse, et maintenant éloignée de lui, elle sentait toute l'impression qu'il avait faite sur son cœur. Avant que d'avoir vu Valancourt, elle n'avait rencontré personne dont l'esprit et le goût s'accordassent si bien avec le sien. Madame Chéron lui avait parlé de dissimulation, d'artifices; elle avait prétendu que cette délicatesse qu'elle admirait dans son amant, n'était rien qu'un piége pour lui plaire, et pourtant elle croyait à sa sincérité. Un doute néanmoins, quelque faible qu'il fût, était suffisant pour accabler son cœur.

      Le bruit d'un cheval sur la route, au-dessous de sa fenêtre, la tira de sa rêverie. Elle vit un cavalier dont l'air et le maintien rappelaient Valancourt, car l'obscurité ne lui permettait pas de distinguer ses traits. Elle se retira de la fenêtre, craignant d'être aperçue, et désirant pourtant d'observer. L'étranger passa sans regarder, et quand elle se fut rapprochée du balcon, elle le vit dans l'avenue qui menait à Toulouse. Ce léger incident la préoccupa de telle sorte, que le pavillon, le spectacle en perdirent tous leurs charmes; après quelques tours de terrasse elle rentra bien vite au château.

      Madame Chéron rentra chez elle avec plus d'humeur que de coutume; Emilie se félicita, lorsque l'heure lui permit de se retrouver seule dans son appartement.

      Le lendemain matin elle fut appelée chez madame Chéron, dont la figure était enflammée de colère; quand Emilie parut, elle lui présenta une lettre.

      –Connaissez-vous cette écriture? dit-elle d'un ton sévère, et la regardant fixement tandis qu'Emilie examinait la lettre avec attention.

      –Non, madame, répondit-elle, je ne la connais pas.

      –Ne me poussez pas à bout, dit la tante. Vous la connaissez, avouez-le sur-le-champ; j'exige que vous disiez la vérité.

      Emilie se taisait, elle allait sortir; madame Chéron la rappela.—Oh! vous êtes coupable, lui dit-elle, je vois bien à présent que vous connaissez l'écriture.—Puisque vous en doutiez, madame, lui dit Emilie avec dignité, pourquoi m'accusiez-vous d'avoir fait un mensonge?

      –Il est inutile de le nier, dit madame Chéron, je vois à votre contenance que vous n'ignoriez pas cette lettre. Je suis bien sûre qu'à mon insu, dans ma maison, vous avez reçu des lettres de cet insolent jeune homme.

      Emilie, choquée de la grossièreté de cette accusation, oublia la fierté qui l'avait réduite au silence, et s'efforça de se justifier, mais sans convaincre madame Chéron.

      –Je ne puis pas supposer, reprit-elle, que ce jeune homme eût pris la liberté de m'écrire, si vous ne l'eussiez pas encouragé.—Vous me permettrez de vous rappeler, madame, dit Emilie d'une voix timide, quelques particularités d'un entretien que nous eûmes ensemble à la vallée: je vous dis alors avec franchise que je ne m'étais point opposée à ce que M. Valancourt pût s'adresser à ma famille.

      –Je ne veux point qu'on m'interrompe, dit madame Chéron; je… je… Pourquoi ne le lui avez-vous pas défendu? Emilie ne répondait pas. Un homme que personne ne connaît, absolument étranger; un aventurier qui court après une héritière! mais du moins, sous ce rapport, on peut bien dire qu'il s'est trompé.

      –Je vous l'ai déjà dit, madame, sa famille était connue de mon père, dit Emilie modestement, et sans paraître avoir remarqué sa dernière phrase.

      –Oh! ce n'est pas du tout un préjugé favorable, répliqua la tante avec sa légèreté ordinaire. Il avait des idées si folles! Il jugeait les gens à la physionomie.—Madame, dit Emilie, vous me croyiez coupable tout à l'heure, et vous le jugiez pourtant sur ma physionomie. Emilie se permit ce reproche

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