Le Lien Du Sang. Amy Blankenship
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Ce démon s'était intégré à son environnement, et aménagé un antre. Les amérindiens de cette terre avaient perçu le démon comme un grand esprit qu'il fallait adorer et vénérer et, de ce culte, le maître démon en était ressorti plus fort.
Misery pouvait goûter cette colère que le démon vouait aux mortels, aux visages pâles qui allaient et venaient librement sur ses terres et cherchaient à prendre avantage. Elle avait passé un marché avec ce démon, au lieu de le combattre... un combat dont elle savait maintenant qu'elle l'aurait perdu. L'ancien avait paru être de son avis quant à son intention de libérer leur espèce de leur prison dimensionnelle, et lui avait parlé d'accomplir un sacrifice de sang⦠l'un des moyens dont il aurait besoin pour l'assister, avant de s'envoler vers la forêt.
Quand Misery était retournée à la grotte avec deux vampires ainsi qu'un homme ensorcelé et à demi-conscient, l'esprit malveillant était déjà là , à les attendre. Les yeux rouges et perçants de la corneille la fixèrent avant de s'envoler. Misery suivit l'oiseau au cÅur de la forêt, à l'extrémité même de la réserve naturelle. Elle avait alors pénétré dans une petite clairière pour y découvrir avec surprise un vieil homme assis près d'un grand feu.
« On m'appelle Noire-Corneille, se présenta le vieillard.
Misery hocha la tête avec respect. Elle se souvenait des us et coutumes sacrés à respecter pour traiter avec un démon dont la puissance surpassait la sienne.
â Je suis Misery.
Noire-Corneille éclata d'un rire moqueur.
â Que sais-tu de la véritable misère ?
Misery resta silencieuse, se mordant la langue afin d'éviter de se retrouver taillée en pièces. Elle avait de la force, et il le savait... elle était sûre qu'il pouvait la sentir de la même manière qu'elle, le sentait.
Noire-Corneille se leva et s'approcha d'eux. Elle prit note de la forme humaine du démon et ne parvint pas à comprendre pourquoi un être aussi puissant choisissait un corps aussi fragile. Il paraissait ancien, très âgé, ridé, avec de longs cheveux blancs, revêtu d'un pantalon en peau de daim tannée. Sa chemise était faite de la même matière et ornée de perles et de plumes. Un petit sac pendait à sa hanche et d'autres plumes étaient tressées dans ses cheveux, par-dessus une oreille.
Noire-Corneille tendit brusquement un bras et saisit le mortel par les cheveux afin de voir son visage.
â Celui-là fera l'affaire, déclara-t-il en retournant près du feu.
â Que souhaites-tu que je fasse pour toi ? S'enquit Misery.
â Nous devons attendre, répondit Noire-Corneille, en ajoutant plus de bois dans le feu.
Misery ne dissimula pas l'impatience qui montait en elle.
â Attendre quoi, vieillard ? Je n'ai pas toute l'éternité⦠ma guerre aura lieu, avec ou sans toi.
Tout en l'ignorant, Noire-Corneille ajouta plus de bois dans le feu et entama un chant. Misery s'apprêtait à partir quand elle se retrouva soudain tétanisée. Elle sentait parfaitement que quelque chose aspirait ses forces, et son apparence enfantine se mit à tomber en pourriture. Ce n'était pas là les effets causés par son autre apparence, celle du cadavre⦠son être tout entier se voyait drainé de l'énergie qu'elle avait volé aux humains.
â Ton plan échouera sans mon aide, dit Noire-Corneille avec condescendance. Ton existence m'appartient depuis que tu as passé ce marché. Tu es faible et tu n'as aucun pouvoir sur moi car tu ne possèdes rien que je désire.
Misery fut brusquement libérée mais tourna aussitôt vers lui un regard furieux, tout en restant assise sur l'immense rocher, à attendre Dieu savait quoi. Noire-Corneille était en train d'alimenter le feu sans cesse, et les flammes s'étaient élevées à une hauteur fabuleuse. Le vieil homme se leva et se dirigea vers un côté de la clairière, jusqu'à un antique séquoia que Misery n'avait pas remarqué à son arrivée.
Noire-Corneille s'agenouilla à côté des épaisses racines de l'arbre et prit une poignée de terre. Alors qu'il retournait auprès du feu, son chant résonna avec plus de force et dans un rythme plus scandé, avant qu'il ne finisse par jeter la terre dans les flammes. Le feu pétilla et grandit quand la terre toucha les flammes brûlantes. Son corps s'anima en une danse tribale tandis qu'il chantait de plus en plus fort.
Les ténèbres qui les entouraient s'allongèrent pour tout avaler, jusqu'à ce qu'il ne reste plus que Noire-Corneille au milieu d'elles, dansant au centre d'un cercle parfait. Il s'arrêta soudain et tendit la main vers l'obscurité près de ses pieds. La pénombre au noir d'encre coula vers sa main, réclamant la chaleur qui émanait de Noire-Corneille, avant qu'il ne l'enlève du sol. Elle rejoignit elle aussi les flammes dans une étincelle qui se changea aussitôt en explosion, et qui força Misery à se protéger les yeux du bras.
Un hurlement inhumain envahit la clairière et Misery regarda l'ombre s'échapper des flammes, chatoyant d'un éclat rouge sous l'emprise de la chaleur. Elle traversa la clairière à l'endroit où Noire-Corneille avait ramassé une poignée de terre puis disparut dans le sol. Quelques instants plus tard, la terre commença à se soulever, comme habitée d'un souffle, et deux bras osseux et desséchés surgirent brusquement de terre.
Noire-Corneille s'avança sans plus attendre vers la victime apportée par les vampires de Misery pour le sacrifice de sang, et la leur arracha des mains.
Le jeune homme, un étudiant de l'université locale, sortit de l'envoûtement que lui avaient jeté les vampires quand Noire-Corneille prit possession de lui. Encore désorienté, il ne comprit pas ce qui lui arrivait jusqu'à ce qu'il voit une longue lame s'approcher de sa gorge. Avant qu'il n'ait le temps d'agir, la lame plongea dans sa chair et le surprit dans un cri silencieux.
Le sang éclaboussa les flammes qui se tendaient vers le ciel, nourrissant ainsi le feu avec étincelles et sifflements. Les bras qui avaient surgi de terre extrayaient le reste du corps auquel ils étaient attachés, dans le noir de la nuit. De longs et graves gémissements s'échappèrent de la gorge de la chose, ainsi que des grognements affamés, tandis qu'elle rampait vers l'agonisant.
Un poing osseux s'enfonça dans la poitrine de l'homme et la créature baissa la tête sur la blessure ouverte, se nourrissant du sang et de la chair du malheureux. Au cours de son festin, muscles et chair se formèrent peu à peu sur ses os saillants, et Misery se sentit toute émoustillée par la scène. Elle ne parvenait pas à détourner les yeux de lâÅuvre d'art créée par Noire-Corneille, et applaudit avec enthousiasme.
â Il devra se nourrir bien plus encore avant d'être complètement ressuscité⦠mais ce sacrifice suffira pour le moment, dit Noire-Corneille de sa voix rocailleuse légèrement teintée d'ennui.
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