Deux et deux font cinq. Alphonse Allais
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Nous sommes d'accord, Syndicat d'idolâtres, nous sommes d'accord.
Et puis, voici la lettre annoncée plus haut:
«À Monsieur Fernand Xau, Directeur du journal le Journal, 106, rue de Richelieu.
»Monsieur,
»Depuis plus de deux ans que, chaque matin, je lis le Journal, j'admire… etc., etc.
(Ici quelques mots aimables pour plusieurs collaborateurs non dénués, en effet, de talent.)
»… Mais ce que je prise par-dessus tout, ce sont les chroniques si fines, si ingénieuses, si larges, si substantielles de ce remarquable vieillard (sic) qui signe Alphonse Allais.
»Je n'ai pas l'honneur de le connaître, je n'ai même jamais vu sa photographie, mais le respect que j'éprouve pour son noble caractère et pour la façon si docte, si magistrale, si définitive avec laquelle il dénoue le nœud gordien des plus grosses difficultés de la langue française, m'ont amené à lui demander, par votre intermédiaire, son avis sur une question qui nous passionne, quelques amis et moi.
»M. Allais a su conquérir, dans les milieux universitaires, une vive autorité pour la lueur qu'il jeta jadis sur le genre du mot tac, masculin ou féminin selon le cas (l'attaque du moulin, le tic-tac du moulin, la tactique Dumoulin).
»Il s'agit aujourd'hui des différentes orthographes du mot sang, qui ondoient suivant la qualité, la couleur, la température, etc., etc.
»Quand, par exemple, vous parlez, dans le Journal, de ce jeune esthète que vous appelez, je crois, Sarcisque Francey ou Sancisque Frarcey (ou un nom dans ce genre-là), vous dites: «Ce petit jeune homme détient le record du bon sens.»
»Mais dès qu'il est question du chasseur Mirman, vous écrivez: «Le député de Reims se fait beaucoup de mauvais sang.»
»Donc, s, e, n, s, quand c'est bon; s, a, n, g, quand c'est mauvais.
»De même, l'orthographe de ce mot varie avec la couleur:
»Quoique le sang soit habituellement rouge, vous écrivez «faire semblant» s, e, m, et «sambleu!» s, a, m.
»Expliquez cela, s. v. p.!
»Ce n'est pas tout:
»Pourquoi écrivez-vous: «M. Barthou perdit son sang-froid» s, a, n, g, et «Don Quichotte perdit son Sancho» s, a, n?
»Je m'arrête, monsieur le directeur, car, à insister dans cette voie, on se ferait tourner les sangs.
»Peut-être M. Alphonse Allais trouvera-t-il que je n'ai pas le sens commun?
»Dans cette espérance, veuillez, monsieur le directeur, etc., etc.
»Votre bien dévoué,
La question est, en effet, étrangement complexe; je la transmets à mon conseil d'études (section des lettres).
Et je me rappelle l'amusante boutade de mon pauvre vieil ami Hippolyte Briollet:
On dit «Francfort-sur-le-Mein» et «avoir le cœur sur la main». Comment voulez-vous que les étrangers s'y reconnaissent?
Moi aussi, je me demande comment les étrangers peuvent s'y reconnaître.
FRAGMENT DE LETTRE DE M. FRANC-NOHAIN
Beaucoup de Parisiens, et pas mal de Parisiennes, éprouvent une vive tendance à s'imaginer que le bout du monde consiste en Neuilly l'hiver et en Trouville l'été.
Il y a là un gros malentendu contre lequel tous les bons esprits devraient s'appliquer à réagir.
Les départements français, ô gens de Paris, existent ailleurs que dans les géographies. Ils sont peuplés d'habitants en tout semblables à vous, d'habitants qui participent à la vie de la France et qui contribuent, par leurs efforts, par leurs arts, par leur fortune, à la prospérité et à la grandeur de notre cher pays.
Mais je n'insiste pas. Ça me ficherait en colère, comme dit Sarcey, et, malade comme je suis, la moindre émotion peut me tuer.
Je préfère découper, dans une lettre que je viens de recevoir, le passage suivant. Lisez-le attentivement, Mesdames et Messieurs, et vous vous rendrez bien compte que Paris ne détient pas le record des suprêmes rigolades:
«Je parierais, mon cher Allais, que vous, si Parisien, vous ne connaissez pas un petit jeu ravissant qui passionne, depuis cet hiver, notre société élégante de Saint-Jean-d'Angély. C'est la jolie madame Marouillet qui nous l'a appris, cette madame Marouillet dont je vous parlai tant de fois, la femme du docteur Marouillet, le distingué président de l'Académie morale et technique d'Aunis et Saintonge.
»Vous savez qu'il y a thé chez les Marouillet tous les vendredis: une habitude de Paris qui s'est merveilleusement implantée dans notre province; nous sommes là un petit clan de fonctionnaires qui ne demandons qu'à nous amuser, et qui y réussissons parfaitement, je vous assure, depuis que les Marouillet ont donné l'élan; tout blasé que vous êtes, je doute fort que vous ne prissiez plaisir à une partie de bête hombrée avec mademoiselle Charras, que nous appelons, par analogie, la «Superbe», et avec madame Legrice-Morand; et si vous entendiez cette dernière chanter: «Salut! petite maison verte!» la nouvelle romance du commandant Thomeret, vous comprendriez vite le peu de regrets que nous éprouvons pour vos divettes.
»Mais ce qui vous ravirait plus encore, ou je vous connais mal, c'est le petit jeu de madame Marouillet.
»Tout le monde s'assied en cercle, coude à coude; chacun tient l'index droit levé; la main gauche est à demi-fermée, le bout du pouce effleurant l'extrémité du médium, de façon à former comme un petit puits, l'orifice en l'air. Celui qui dirige le jeu commande: Chacun son trou! ou Trou commun! ou Trou du voisin! et aussitôt chaque joueur abat l'index au milieu du cercle quand on a commandé trou commun, ou l'insinue dans le petit puits que le voisin forme de sa main gauche, ou dans son propre petit puits. Vous ne sauriez imaginer rien de plus distrayant, pour peu qu'on mette de l'entrain et de la vivacité dans les commandements; et je vous garantis que quand c'est madame Marouillet qui commande, ou encore le petit d'Angoulins, pour pouvoir les suivre, et, au milieu de l'entre-croisement des mains, ne pas s'embrouiller dans les différents trous, il faut une attention et une dextérité pas banales.
»D'ailleurs, quand on se trompe, c'est peut-être encore plus amusant, car alors ce sont des contestations sans fin et drôles au possible:
»—Trou commun, monsieur Burisson; vous faites trou du voisin, un gage!—Pas du tout, chacun son trou!—Non, trou commun!—Trou du voisin!—Troun de l'air! ajoute toujours M. Burisson, qui a le génie de l'à-propos et du calembour. Ce M. Burisson est impayable; entre nous, je le soupçonne souvent de se tromper exprès et d'être légèrement fumiste, comme vous dites sur le boulevard; ce qui est certain, c'est qu'il nous fera mourir.
»Trou commun, mon cher Allais, et mille choses autour.
Franc-Nohain