Deux et deux font cinq. Alphonse Allais
Чтение книги онлайн.
Читать онлайн книгу Deux et deux font cinq - Alphonse Allais страница 8
La combativité de Cap n'en demandait pas davantage.
–Ça, des pailles! fit-il avec explosion.
–Mais, monsieur…
–Non, ça, ça n'est pas des pailles! C'est de la paille, et de la paille périmée, sortant de dessous—saura-t-on jamais?—quelles innommables vaches! Je n'ai point accoutumé à boire en des étables. En allons-nous, mon ami, en allons-nous!
Cap jeta sur le marbre de la table une suffisante pièce de cent sous, et nous partîmes vers le prochain mastroquet, où nous nous délectâmes à la joie d'une chopine de vin blanc, un peu de gomme et un demi-siphon!
CONTE DE NOËL
Ce matin-là, il n'y eut qu'un cri dans tout le Paradis:
–Le bon Dieu est mal luné aujourd'hui. Malheur à celui qui contrarierait ses desseins!
L'impression générale était juste: le Créateur n'était pas à prendre avec des pincettes.
À l'archange qui vint se mettre à sa disposition pour le service de la journée, Il répondit sèchement:
–Zut! fichez-moi la paix!
Puis, Il passa nerveusement Sa main dans Sa barbe blanche, s'affaissa—plutôt qu'il ne s'assit—sur Son trône d'or, frappa la nue d'un pied rageur et s'écria:
–Ah! j'en ai assez de tous ces humains ridicules et de leur sempiternel Noël, et de leurs sales gosses avec leurs sales godillots dans la cheminée. Cette année, ils auront… la peau!
Il fallait que le Père Éternel fût fort en colère pour employer cette triviale expression, Lui d'ordinaire si bien élevé.
–Envoyez-moi le bonhomme Noël, tout de suite! ajouta-t-Il.
Et comme personne ne bougeait:
–Eh bien! vous autres, ajouta Dieu, qu'est-ce que vous attendez? Vous, Paddy, vieux poivrot, allez me quérir le bonhomme Noël!
(Celui que le Tout-Puissant appelle familièrement Paddy n'est autre que saint Patrick, le patron des Irlandais.)
Et l'on entendit à la cantonade:
–Allo! Santa Claus! Come along, old chappie!
Le bon Dieu redoubla de fureur:
–Ce pochard de Paddy se croit encore à Dublin, sans doute! Il ne doit cependant pas ignorer que j'ai interdit l'usage de la langue anglaise dans tout le séjour des Bienheureux!
Le bonhomme Noël se présenta:
–Ah! te voilà, toi!
–Mais oui, Seigneur!
–Eh bien! tu me feras le plaisir, cette nuit, de ne pas bouger du ciel…
–Cette nuit, Seigneur? Mais Notre-Seigneur n'y pense pas!… C'est cette nuit… Noël!
–Précisément! précisément! fit Dieu en imitant, à s'y méprendre, l'accent de Raoul Ponchon.
–Et moi qui ai fait toutes mes petites provisions!…
–Le royaume des Cieux est assez riche pour n'être point à la merci même de ses plus vieux clients. Et puis… pour ce que ça nous rapporte!
–Le fait est!
–Ces gens-là n'ont même pas la reconnaissance du polichinelle… Je fais un pari qu'il y aura plus de monde, cette nuit, au Chat Noir qu'à Notre-Dame-de-Lorette. Veux-tu parier?
–Mon Dieu, vous ne m'en voudrez pas, mais parier avec vous, la Source de tous les Tuyaux, serait faire métier de dupe.
–Tu as raison, sourit le Seigneur.
–Alors, c'est sérieux? insista le bonhomme Noël.
–Tout ce qu'il y a de plus sérieux. Tu feras porter tes provisions de joujoux aux enfants des Limbes. En voilà qui sont autrement intéressants que les fils des Hommes. Pauvres gosses!
Un visible mécontentement se peignait sur la physionomie des anges, des saints et autres habitants du céleste séjour.
Dieu s'en aperçut.
–Ah! on se permet de ronchonner! Eh bien! mon petit père Noël, je vais corser mon programme! Tu vas descendre sur terre cette nuit, et non seulement tu ne leur ficheras rien dans leurs ripatons, mais encore tu leur barboteras lesdits ripatons, et je me gaudis d'avance au spectacle de tous ces imbéciles contemplant demain matin leurs âtres veufs de chaussures.
–Mais… les pauvres?… Les pauvres aussi? Il me faudra enlever les pauvres petits souliers des pauvres petits pauvres?
–Ah! ne pleurniche pas, toi! Les pauvres petits pauvres! Ah! ils sont chouettes, les pauvres petits pauvres! Voulez-vous savoir mon avis sur les victimes de l'Humanité Terrestre? Eh bien! ils me dégoûtent encore plus que les riches!… Quoi! voilà des milliers et des milliers de robustes prolétaires qui, depuis des siècles, se laissent exploiter docilement par une minorité de fripouilles féodales, capitalistes ou pioupioutesques! Et c'est à moi qu'ils s'en prennent de leurs détresses! Je vais vous le dire franchement: Si j'avais été le petit Henry, ce n'est pas au café Terminus que j'aurais jeté ma bombe, mais chez un mastroquet du faubourg Antoine!
Dans un coin, saint Louis et sainte Élisabeth de Hongrie se regardaient, atterrés de ces propos:
–Et penser, remarqua saint Louis, qu'il n'y a pas deux mille ans, Il disait: Obéissez aux Rois de la terre! Où allons-nous, grand Dieu! où allons-nous? Le voilà qui tourne à l'anarchie!
Le Grand Architecte de l'Univers avait parlé d'un ton si sec que le bonhomme Noël se le tint pour dit.
Dans la nuit qui suivit, il visita toutes les cheminées du globe et recueillit soigneusement les petites chaussures qui les garnissaient.
Vous pensez bien qu'il ne songea même pas à remonter au ciel cette vertigineuse collection. Il la céda, pour une petite somme destinée à grossir le denier de Saint-Pierre, à des messieurs fort aimables, et voilà comment a pu s'ouvrir, hier, à des prix qui défient toute concurrence, 739, rue du Temple, la splendide maison:
Nous engageons vivement nos lecteurs à visiter ces vastes magasins, dont les intelligents directeurs, MM. Meyer et Lévy, ont su faire une des attractions de Paris.
DÉBUT DE M. FOC DANS LA PRESSE QUOTIDIENNE
Je reçois d'un jeune homme qui signe «Foc» et qui—si mes pronostics sont exacts—doit être l'un des patrons de la célèbre maison Lou, Foc et Cie, une sorte de petit conte fort instructif et pas plus bête que les histoires à dormir debout qui relèvent de ma coutumière industrie.
Alors, moi malin, que fais-je? Je publie le petit conte du jeune Foc et, pendant ce temps-là, je vais fumer une cigarette sur le balcon.
La parole est à vous, jeune