Correspondance, 1812-1876. Tome 3. Жорж Санд
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Quant au devoir d'un gouvernement provisoire, il consiste à choisir des hommes sûrs pour lancer l'élection dans une voie républicaine et sincère. Que l'amitié fasse donc silence, et n'influence pas imprudemment l'opinion en faveur d'un homme qui est assez fort pour se relever lui-même si son coeur est pur et sa volonté droite.
Je ne saurais trop te recommander de ne pas hésiter à balayer tout ce qui a l'esprit bourgeois. Plus tard, la nation, maîtresse de sa marche, usera d'indulgence si elle le juge à propos, et elle fera bien si elle prouve sa force par la douceur. Mais, aujourd'hui, si elle songe à ses amis plus qu'à son devoir, elle est perdue, et les hommes employés par elle à son début auront commis un parricide.
Tu vois, mon ami, que je ne saurais transiger avec la logique. Fais comme moi. Si Michel et bien d'autres déserteurs que je connais avaient besoin de ma vie, je la leur donnerais volontiers, mais ma conscience, point. Michel a abandonné la démocratie, en haine de la démagogie. Or il n'y a plus de démagogie. Le peuple a prouvé qu'il était plus beau, plus grand, plus pur que tous les riches et les savants de ce monde. Le calomnier la veille pour le flatter le lendemain m'inspire peu de confiance, et j'estimerais encore mieux Michel s'il protestait aujourd'hui contre la République. Je dirais qu'il s'est trompé, qu'il se trompe, mais qu'il est de bonne foi.
Peut-être croit-il désormais travailler pour une république aristocratique où le droit des pauvres sera refoulé et méconnu. S'il agit ainsi, il brisera l'alliance qui s'est cimentée d'une manière sublime, sur les barricades, entre le riche et le pauvre. Il perdra la République et la livrera aux intrigants; et le peuple, qui sent sa force, ne les supportera plus. Le peuple tombera dans des excès condamnables si on le trahit; la société sera livrée à une épouvantable anarchie, et ces riches qui auront détruit le pacte sacré deviendront pauvres à leur tour dans des convulsions sociales où tout succombera.
Ils seront punis par où ils auront péché; mais il sera trop tard pour se repentir. Michel ne connaît pas et n'a jamais connu le peuple; que ne le voit-il aujourd'hui! Il jugerait sa force et respecterait sa vertu.
Courage, volonté, persévérance à toute épreuve. Je suis à toi pour la vie.
GEORGE.
Je serai demain soir 7 mars à Nohant pour une huitaine de jours; après quoi, je reviendrai probablement ici pour m'y consacrer entièrement aux nouveaux devoirs que la situation nous crée.
CCLXVIII
A M. CHARLES PONCY, A TOULON
Nohant, 9 mars 1848.
Vive la République! Quel rêve, quel enthousiasme, et, en même temps, quelle tenue, quel ordre à Paris! J'en arrive, j'y ai couru, j'ai vu s'ouvrir les dernières barricades sous mes pieds. J'ai vu le peuple grand, sublime, naïf, généreux, le peuple français, réuni au coeur de la France, au coeur du monde; le plus admirable peuple de l'univers! J'ai passé bien des nuits sans dormir, bien des jours sans m'asseoir. On est fou, on est ivre, on est heureux de s'être endormi dans la fange et de se réveiller dans les cieux. Que tout ce qui vous entoure ait courage et confiance!
La République est conquise, elle est assurée, nous y périrons tous plutôt que de la lâcher. Le gouvernement est composé d'hommes excellents pour la plupart, tous un peu incomplets et insuffisants à une tâche qui demanderait le génie de Napoléon et le coeur de Jésus. Mais la réunion de tous ces hommes qui ont de l'âme ou du talent, ou de la volonté, suffit à la situation. Ils veulent le bien, ils le cherchent, ils l'essayent. Ils sont dominés sincèrement par un principe supérieur à la capacité individuelle de chacun, la volonté de tous, le droit du peuple. Le peuple de Paris est si bon, si indulgent, si confiant dans sa cause et si fort, qu'il aide lui-même son gouvernement.
La durée d'une telle disposition serait l'idéal social. Il faut l'encourager. D'un bout de la France à l'autre, il faut que chacun aide la République et la sauve de ses ennemis. Le désir, le principe, le voeu fervent des membres du gouvernement provisoire est qu'on envoie à l'Assemblée nationale des hommes qui représentent le peuple et dont plusieurs, le plus possible, sortent de son sein.
Ainsi, mon ami, vos amis doivent y songer et tourner les yeux sur vous pour la députation. Je suis bien fâchée de ne pas connaître les gens influents de notre opinion dans votre ville. Je les supplierais de vous choisir et je vous commanderais, au nom de mon amitié maternelle, d'accepter sans hésiter. Voyez: faites agir; il ne suffit pas de laisser agir. Il n'est plus question de vanité ni d'ambition comme on l'entendait naguère. Il faut que chacun fasse la manoeuvre du navire et donne tout son temps, tout son coeur, toute son intelligence, toute sa vertu à la République. Les poètes peuvent être, comme Lamartine, de grands citoyens. Les ouvriers ont à nous dire leurs besoins, leurs inspirations. Écrivez-moi vite qu'on y pense et que vous le voulez. Si j'avais là des amis, je le leur ferais bien comprendre.
Je repars pour Paris dans quelques jours probablement, pour faire soit un journal, soit autre chose. Je choisirai le meilleur instrument possible pour accompagner ma chanson. J'ai le coeur plein et la tête en feu.
Tous mes maux physiques, toutes mes douleurs personnelles sont oubliées. Je vis, je suis forte, je suis active, je n'ai plus que vingt ans. Je suis revenue ici aider mes amis, dans la mesure de mes forces, à révolutionner le Berry, qui est bien engourdi. Maurice s'occupe de révolutionner la commune, chacun fait ce qu'il peut. Ma fille, pendant ce temps-là, est accouchée heureusement dune fille. Borie sera probablement député par la Corrèze. En attendant, il m'aidera à organiser mon journal.
Allons, j'espère que nous nous retrouverons tous à Paris, pleins de vie et d'action, prêts à mourir sur les barricades si la République succombe. Mais non! la République vivra; son temps est venu. C'est à vous, hommes du peuple, à la défendre jusqu'au dernier soupir.
J'embrasse Désirée, j'embrasse Solange, je vous bénis et je vous aime.
Écrivez-moi ici. On me renverra votre lettre à Paris, si j'y suis.
Montrez ma lettre a vos amis. Cette fois, je vous y autorise et je vous le demande.
CCLXIX
A M. CHARLES DUVERNET, A LA CHÂTRE
Paris, 14 mars 1848.
Borie fait comme toi. On t'a annoncé un charivari et tu l'as bravé. Tu lui annonces une aubade d'un autre genre et cela lui donne d'autant plus d'envie d'aller la chercher. Mais je ne suis pas de son avis, je le retiendrai s'il m'est possible.
Braver des criailleries n'est rien du tout, pas plus pour un homme, je pense, que pour une femme. Mais je trouve que, pour le moment; il n'y a rien à faire, parce que le peuple est mis hors de cause à la Châtre, que le club devient une question de personnes, et qu'on ne pourrait prendre le parti du principe sans avoir l'air d'agir pour des noms propres. Bonsoir mon ami; courage quand même! la République n'est pas perdue parce que la Châtre n'en veut Pas.
A toi.
GEORGE.
CCLXX
A MAURICE SAND, A NOHANT
Paris, 18 mars 1848.
Cher