Correspondance, 1812-1876. Tome 3. Жорж Санд

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Correspondance, 1812-1876. Tome 3 - Жорж Санд

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leurs disciples et leurs amis des clubs jacobins, tenter un coup de main et se mettre à la place du gouvernement provisoire.

      La quatrième était une complication de la première: Louis Blanc, avec Vidal, Albert et l'école ouvrière du Luxembourg, voulant se faire proclamer dictateur et chasser tout, excepté lui. Je n'en ai pas la preuve; mais cela me paraît certain maintenant.

      Voici comment ont agi les quatre conspirations:

      Ledru-Rollin, ne pouvant s'entendre avec Louis Blanc, ou se sentant trahi par lui, n'a rien fait à propos et n'a eu qu'un rôle effacé.

      Marrast et compagnie ont appelé, sous main, à leur aide toute la banlieue et toute la bourgeoisie armée, sous prétexte que Cabet voulait mettre Paris à feu et à sang, et on l'a si bien persuadé à tout le monde, que le parti honnête et brave de Ledru-Rollin, qui était soutenu par Barbès, Caussidière et tous mes amis, est resté coi, ne voulant pas donner à son insu, dans la confusion d'un mouvement populaire, aide et protection à Cabet, qui est un imbécile, à Raspail et à Blanqui, les Marat de ce temps-ci. La conspiration de Blanqui, Raspail et Cabet n'existait peut-être pas, à moins qu'elle ne fût mêlée à celle de Louis Blanc. Par eux-mêmes, ces trois hommes ne réunissent pas à Paris mille personnes sûres. Ils sont donc peu dignes du fracas qu'on a fait à leur propos.

      La conspiration Louis Blanc, composée de trente mille ouvriers des corporations, ralliés par la formule de l'organisation du travail, était la seule qui pût inquiéter véritablement le parti Marrast; mais elle eût été écrasée par la garde nationale armée, si elle eût bougé.

      Toutes ces combinaisons avaient chacune un prétexte différent pour se mettre sur pied aujourd'hui.

      Pour les ouvriers de Louis Blanc, c'était de se réunir au Champ de Mars, afin d'élire les officiers de leur état-major.

      Pour la banlieue de Marrast, c'était de venir reconnaître ses officiers.

      Pour la mobile et la police de Caussidière et Ledru, c'était d'empêcher

      Blanqui, Raspail et Cabet de tenter un coup de main.

      Pour ces derniers, c'était de porter des offrandes patriotiques à l'hôtel de ville.

      Au milieu de tout cela, deux hommes pensaient à eux-mêmes sans agir. Leroux se tenait prêt à escamoter la papauté de Cabet sur les communistes. Mais il n'avait pas assez de suite dans les idées ou pas assez d'audace pour en venir à bout. Il n'a pas paru.

      L'autre homme, c'est Lamartine, espèce de Lafayette naïf, qui veut être président de la République et qui en viendra peut-être à bout, parce qu'il ménage toutes les idées et tous les hommes; sans croire à aucune idée et sans aimer aucun homme. Il a eu les honneurs et le triomphe de la journée sans avoir rien fait.

      Voici maintenant comment les choses se sont passées:

      A deux heures, les trente mille ouvriers de Louis Blanc ont été au Champ de Mars, où l'on dit que Louis Blanc n'est point venu; ce qui les a mécontentés et refroidis. A la même heure, de tous les coins de Paris, ont apparu la garde nationale bourgeoise et la banlieue, cent mille hommes au moins, qui ont été aux Invalides et n'ont fait que traverser pour se rendre à l'hôtel de ville en même temps que les ouvriers.

      Ce mouvement s'est fait avec beaucoup d'art. Les ouvriers portaient des bannières sur lesquelles étaient écrites leurs formules: Organisation du travail, Cessation de l'exploitation de l'homme par l'homme.

      Ils allaient demander au gouvernement provisoire de leur promettre définitivement la garantie de ce principe. On pense que, sur le refus de certains membres du gouvernement, ils auraient exigé leur démission. Ils l'auraient fait pacifiquement; car ils n'avaient point d'armes, quoiqu'ils eussent pu en avoir, étant tous gardes nationaux.

      Mais ils n'ont pu que présenter très civilement leurs offrandes et leurs voeux; car à peine avaient-ils enfilé le quai du Louvre, que trois colonnes de gardes nationaux armés jusqu'aux dents, fusils chargés et cartouches en poche, se placèrent sur les deux flancs de la colonne des ouvriers. Arrivé au pont des Arts, on fit encore une meilleure division. On plaça une troisième colonne de gardes nationaux et de mobiles au centre. De sorte que cinq colonnes marchaient de front: trois colonnes bourgeoises armées au centre et sur les côtés, deux colonnes d'ouvriers désarmés, à droite et à gauche de la colonne du centre; puis, dans les intervalles, promenades de gardes nationaux à cheval, laids et bêtes comme de coutume.

      C'était un beau et triste spectacle que ce peuple marchant, fier et mécontent, au milieu de toutes ces baïonnettes. Les baïonnettes criaient et beuglaient: Vive la République! Vive le gouvernement provisoire! Vive Lamartine! Les ouvriers répondaient: Vive la bonne République! Vive l'égalité! Vive la vraie République du Christ!

      La foule couvrait les trottoirs et les parapets. J'étais avec Rochery, et il n'y avait pas moyen de marcher ailleurs qu'avec la colonne des ouvriers, toujours bonne, polie et fraternelle. Toutes les cinq minutes, on faisait faire un temps d'arrêt aux ouvriers, et la garde nationale avançait de plusieurs pelotons, afin de mettre un intervalle sur la place de l'Hôtel-de-Ville entre chaque colonne d'ouvriers et même entre chaque corporation. On les prenait dans un filet maille par maille. Ils le sentaient, et ils contenaient leur indignation.

      Arrivé sur la place de l'Hôtel-de-Ville, on les fit attendre une heure pour que toute la mobile et toute la garde bourgeoise fût placée et échelonnée; Le gouvernement provisoire, aux fenêtres de l'hôtel de ville, se posait en Apollon. Louis Blanc avait une belle, tenue de Saint-Just. Ledru-Rollin se montrait peu et faisait contre fortune bon coeur. Lamartine triomphait sur toute la ligne. Garnier-Pages faisait une mine de jésuite, Crémieux et Pagnerre étaient prodigues de leurs hideuses boules et saluaient royalement la populace.

      Les pauvres ouvriers étaient refoulés derrière la garde bourgeoise, le long des murs au fond de la place. Enfin, on leur ouvrit, au milieu des rangs, un petit passage si étroit, que, de quatre par quatre qu'ils étaient, ils furent forcés de se mettre deux par deux, et on leur permit d'arriver le long de la grille, c'est-à-dire devant cent mille baïonnettes et fusils chargés. Dans l'intérieur de la grille, la mobile armée, fanatisée ou trompée, aurait fait feu sur eux au moindre mot. Le grand Lamartine daigna descendre sur le perron et leur donner de l'eau bénite de cour. Je n'ai pu entendre les discours; mais, qu'ils en fussent contents ou non, cela dura dix minutes, et les ouvriers défilèrent par le fond des autres rues, tandis que la garde bourgeoise et la mobile se firent passer pompeusement en revue par Lamartine et les autres triomphateurs.

      Comme je m'étais fourrée au milieu des gamins de la mobile, au centre de la place pour mieux voir, je me suis esquivée à ce moment-là, pour n'avoir pas l'honneur insigne d'être passée en revue aussi, et je suis revenue dîner chez Pinson, bien triste et voyant la République républicaine à bas pour longtemps peut-être.

      Ce soir, je suis sortie à neuf heures avec Borie pour voir ce qui se passait. Tous les ouvriers étaient partis; la rue était aux bourgeois, étudiants, boutiquiers, flâneurs de toute espèce qui criaient: A bas les communistes! A la lanterne les cabètistes! Mort à Cabet! Et les enfants des rues répétaient machinalement ces cris de mort: Voilà comment la bourgeoisie fait l'éducation du peuple. Le premier cri de mort et le doux nom de lanterne ont été jetés aujourd'hui à la Révolution par les bourgeois. Nous en verrons de belles si on les laisse faire.

      Sur le pont des Arts, nous entendons battre la charge et nous voyons reluire aux torches, sur les quais, une file de baïonnettes immense qui reprend au pas de course le chemin de l'hôtel de ville. Nous y courons: c'était la deuxième légion, la plus bourgeoise de Paris et d'autres de

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