Correspondance, 1812-1876. Tome 3. Жорж Санд

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Correspondance, 1812-1876. Tome 3 - Жорж Санд

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moins mauvais, pourquoi toujours Cabet? A coup sûr, Blanqui et Raspail mériteraient plus de haine, et leur nom n'a pas été prononcé une seule fois. C'est qu'ils ne représentent pas d'idées, et que la bourgeoisie veut tuer les idées. Demain, on criera: A bas tous les socialistes! A bas Louis Blanc! et, quand on aura bien crié: A bas quand on se sera bien habitué au mot de lanterne, quand on aura bien accoutumé les oreilles du peuple au cri de mort, on s'étonnera que le peuple se fâche et se venge. C'est infâme! Si ce malheureux Cabet se fût montré, on l'eût mis en pièces; car le peuple, en grande partie, croyait voir dans Cabet un ennemi redoutable.

      Nous suivîmes cette bande de furieux jusqu'à l'hôtel de ville, et, là, elle défila devant l'hôtel, où il n'y avait personne du gouvernement provisoire, en beuglant toujours le même refrain et en tirant quelques coups de fusil en l'air. Ces bourgeois, qui ne veulent pas que le peuple lance des pétards, ils avaient leurs fusils chargés à balle et pouvaient tuer quelques curieux aux fenêtres. Ça leur était fort égal, c'était une bande de bêtes altérées de sang. Que quelqu'un eût prononcé un mot de blâme, ils l'eussent tué. La pauvre petite mobile fraternisait avec eux sans savoir ce qu'elle faisait. Le général Courtais et son état-major, sur le perron, répondaient: Mort à Cabet!

      Voilà une belle journée!

      Nous sommes revenus tard. Tout le quai était couvert de groupes. Dans tous, un seul homme du peuple défendait, non pas Cabet, personne ne s'en soucie, mais le principe de la liberté violée par cette brutale démonstration, et tout le groupe maudissait Cabet et interprétait le communisme absolument comme le font les vignerons de Delaveau. J'ai entendu ces orateurs isolés que tous contredisaient; dire des choses très bonnes et très sages. Ils disaient aux beaux esprits qui se moquaient du communisme que, plus cela leur semblait bête, moins ils devaient le persécuter comme une chose dangereuse: que les communistes étaient en petit nombre et très pacifiques; que, si l'Icarie faisait leur bonheur, ils avaient bien le droit de rêver l'Icarie, etc.

      Puis arrivaient des patrouilles de mobiles—il y en avait autant que d'attroupements—qui passaient au milieu, se mêlaient un instant à la discussion, disaient quelques lazzis de gamin, priaient les citoyens de se disperser, et s'en allaient, répétant comme un mot d'ordre distribué avec le cigare et le petit verre: A bas Cabet! Mort aux communistes! Cette mobile, si intelligente et si brave, est déjà trompée et corrompue. La partie du peuple incorporée dans les belles légions de bourgeois a pris les idées bourgeoises en prenant un bel habit flambant neuf. Souvent on perd son coeur en quittant sa blouse. Tout ce qu'on a fait a été aristocratique, on en recueille le fruit.

      Dans tout cela, le mal, le grand mal, ne vient pas tant, comme on le dit, de ce que le peuple n'est pas encore capable de comprendre les idées. Cela ne vient pas non plus de ce que les idées ne sont pas assez mûres.

      Tout ce qu'on a d'idées à répandre et à faire comprendre suffirait à la situation, si les hommes qui représentent ces idées étaient bons; ce qui pèche, ce sont les caractères. La vérité n'a de vie que dans une âme droite et d'influence que dans une bouche pure. Les hommes sont faux, ambitieux, vaniteux, égoïstes, et le meilleur ne vaut pas le diable; c'est bien triste à voir de près!

      Les deux plus honnêtes caractères que j'aie encore rencontrés, c'est Barbès et Etienne Arago. C'est qu'ils sont braves comme des lions et dévoués de tout leur coeur. J'ai fait connaissance aussi avec Carteret, secrétaire général de la police: c'est une belle âme. Barbès est un héros. Je crois aussi Caussidière très bon; mais ce sont des hommes du second rang, tout le premier rang vit avec cet idéal: Moi, moi, moi.

      Nous verrons demain ce que le peuple pensera de tout cela à son réveil. Il se pourrait bien qu'il fût peu content; mais j'ai peur qu'il ne soit déjà trop tard pour qu'il secoue le joug. La bourgeoisie a pris sa revanche.

      Ce malheureux Cabet, Blanqui, Raspail et quelques autres perdent la vérité, parce qu'ils prêchent une certaine face de la vérité. On ne peut faire cause commune avec eux, et cependant la persécution qui s'attachera à eux prépare celle dont nous serons bientôt l'objet. Le principe est violé, et c'est la bourgeoisie qui relèvera l'échafaud.

      Je suis bien triste, mon garçon. Si cela continue et qu'il n'y ait plus rien à faire dans un certain sens, je retournerai à Nohant écrire et me consoler près de toi. Je veux voir arriver l'Assemblée nationale; après, je crois bien que je n'aurai plus rien à faire ici.

      CCLXXV

      AU MÊME

      Paris, 10 avril 1848.

      J'espère que tu dors sur les deux oreilles, et que, si les bruits qui circulent jour et nuit dans Paris vont jusqu'en province, où ils doivent prendre des proportions effrayantes, tu n'en crois pas un mot. Nous recommençons l'année de la peur. C'est fabuleux! Hier dans la nuit, chaque quartier de Paris prétendait qu'on avait attaqué et pris deux postes. Cela faisait beaucoup de postes enlevés, et il n'y avait pas seulement un chat qui eût remué.

      Ce matin, on a battu le rappel dès l'aurore. Puis on est venu contremander, en disant cependant aux gardes nationaux de rester équipés et prêts à sortir. A toutes les heures circulait une nouvelle nouvelle. Blanqui était arrêté, et puis Cabet attaquait l'hôtel de ville, lui qui fuit de peur! Leroux est devenu invisible, je crois qu'il est retourné à Boussac. Raspail se fait passer pour mort. Et pourtant, à propos de ces trois hommes, on a mis la tête à l'envers, non seulement à toutes les portières de Paris, mais encore à tous les clubs, au gouvernement provisoire, à Caussidière lui-même, à la garde nationale de tous les rangs. On dit à la mobile que la banlieue pille; à la banlieue, que les communistes font des barricades. C'est une vraie comédie. Ils ont tous voulu se faire peur les uns aux autres, et ils ont si bien réussi, qu'ils ont tous peur pour de bon.

      Je suis revenue toute seule du ministère de la rue de Grenelle, la nuit dernière à deux heures, et, cette nuit, je rentre seule aussi à une heure et demie. Il fait le plus beau clair de lune possible. Il n'y a pas un chat dans les rues, excepté les patrouilles de vingt pas en vingt pas. Quand un pauvre piéton attardé apparaît au bout de la rue, la patrouille arme ses fusils, présente le front et le regarde passer. C'est de la folie, c'est vraiment, comme je te le disais, la même chose qu'en 89, et cela m'explique l'affaire. Tu sais qu'on ne l'a jamais bien sue et qu'on l'a attribuée, avec beaucoup de probabilité, à vingt causes différentes. Eh bien! je suis sûre que toutes ces causes existaient à la fois comme aujourd'hui, et que ce n'était pas une seule en particulier.

      Il y a un moment, dans les révolutions, où chaque parti veut essayer de la peur pour empêcher son adversaire d'agir. C'est ce qui arrive maintenant aux quatre conspirations sourdes que je t'ai signalées hier. On en ajoute une cinquième aujourd'hui, et je crois qu'il y en a deux ou trois autres. Les légitimistes ont voulu faire peur à la République, le juste-milieu, les Guizot et les Régence, les Thiers et Girardin, j'en suis sûre, out aussi joué leur jeu, avec ou sans espoir d'amener un conflit.

      Mais toutes ces menaces se paralysent mutuellement; tous les clubs sont en permanence pour la nuit, tous armés, barricadés, ne laissant sortir aucun membre, dans la crainte qu'on ne vienne les assassiner; et, comme tous out la même venette, tous restent enfermés sans bouger; le remède est donc dans le mal même. Il y en a d'exaltés qui seraient d'avis d'attaquer les premiers; mais, comme ils ont peur d'être attaqués auparavant, ils se tiennent sur la défensive. C'est stupide, et la tragédie annoncée devient une comédie.

      Je viens de quitter le gros Ledru-Rollin, prêt à se hisser sur un gros cheval, pour faire le tour de Paris, en riant et en se moquant de tout cela. Étienne est en colère et dit que ça l'embête. Borie et son cousin, sont enfermés au club du palais National et pestent, j'en suis sûre, de ne pas être à pioncer dans leur

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