Correspondance, 1812-1876. Tome 3. Жорж Санд

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Correspondance, 1812-1876. Tome 3 - Жорж Санд

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asile dans son ministère au grand Cabet, qui se pose en martyr. Tout le monde dit: «Nous sommes trahis!» Enfin, c'est superbe. Si tu étais ici, nous irions passer le reste de la nuit à nous promener dans les rues pour voir la grande mystification. Elle est telle, que beaucoup d'hommes sérieux donnent dedans en plein.

      Il ne tiendrait qu'à moi de me poser aussi en victime; car, pour un Bulletin un peu raide que j'ai fait, il y a un déchaînement de fureur incroyable contre moi dans toute la classe bourgeoise. Je suis pourtant fort tranquille, toute seule dans ta cambuse; mais il ne tiendrait qu'à moi d'écrire demain dans tous les journaux, comme Cabet ou comme défunt Marat, que je n'ai plus une pierre où reposer ma tête.

      Demain, le gouvernement publie les grandes mesures qu'il a prises hier sur l'impôt progressif, la loi des finances, l'héritage collatéral, etc. Ce sera sans doute la fin de cette panique, et d'une bêtise générale sortira un bien général. J'espère aussi que ce sera la fin de la crise financière. Ainsi soit-il! Ce sera un premier acte de joué dans la grande pièce dont personne ne sait le dénouement.

      Bonsoir, mon Bouli! ne sois pas inquiet: je t'écrirais s'il y avait seulement un coup de fusil tiré; ainsi sois tranquille. Je te bige. J'ai vu Solange aujourd'hui. Elle se porte bien. Rien de nouveau pour mes affaires. Ma Revue ne prend guère: on est trop préoccupé, on vit au jour le jour.

      Bonsoir encore; j'écoute si la guerre civile commence: je n'entends que les heures qui sonnent au Luxembourg et ta girouette qui se plaint comme un oeuf.

      CCLXXVI

      AU MÊME

      Paris, 21 avril 1848.

      Ne t'inquiète pas. Tu ne m'as pas dit quelles raisons tu avais eues pour casser ton conseil, mais il aurait fallu commencer par là.

      Quoi qu'il en soit, je te réponds que tu n'auras pas le dessous; j'ai parlé de cela à Ledru-Rollin, qui m'a dit que probablement tu n'avais pas agi ainsi par caprice, que sans doute il y avait nécessité, et que tu devais être appuyé et soutenu. Je viens d'écrire à Fleury un peu ferme là-dessus; ne te laisse pas émouvoir par les récriminations et les menaces.

      Tout homme qui agit révolutionnairement en ce moment-ci, qu'il soit membre du gouvernement provisoire ou maire de Nohant-Vic, trouve la résistance, la réaction, la haine, la menace. Est-ce possible autrement, et aurions-nous grand mérite à être révolutionnaires si tout allait de soi-même, et si nous n'avions qu'à vouloir pour réussir? Non, nous sommes, et nous serons peut-être toujours dans un combat obstiné.

      Ai-je vécu autrement depuis que j'existe, et avons-nous pu croire que trois jours de combat dans la rue donneraient à notre idée un règne sans trouble, sans obstacle et sans péril? Nous sommes sur la brèche à Paris comme à Nohant. La contre-révolution est sous le chaume comme sous le marbre des palais. Allons toujours! ne t'irrite pas, tiens ferme, et surtout habitue tes nerfs à cet état de lutte qui deviendra bientôt un état normal. Tu sais bien qu'on s'accoutume à dormir dans le bruit. Il, ne faut jamais croire que nous pourrons nous arrêter. Pourvu que nous marchions en avant, voilà notre victoire et notre repos.

      La fête de la Fraternité a été la plus belle journée de l'histoire. Un_ million d'âmes,_ oubliant toute rancune, toute différence d'intérêts, pardonnant au passé, se moquant de l'avenir, et s'embrassant d'un bout de Paris à l'autre au cri de Vive la fraternité! c'était sublime. Il me faudrait t'écrire vingt pages pour te raconter tout ce qui s'est passé, et je n'ai pas cinq minutes. Comme spectacle, tu ne peux pas t'en faire d'idée. Tu en trouveras une relation bien abrégée dans le Bulletin de la République et dans la Cause du peuple. La reçois-tu, à propos? J'ai affaire à la plus détestable boutique d'éditeurs qu'il y ait; ils n'envoient pas les numéros et s'étonnent, de ne pas recevoir d'abonnements. Je vais changer tout cela.

      Mais, pour revenir à cette fête, elle signifie plus que toutes les intrigues de la journée du 15. Elle prouve que le peuple ne raisonne pas tous nos différends, toutes nos nuances d'idées, mais qu'il sent vivement les grandes choses et qu'il les veut. Courage donc! demain peut-être, tout ce pacte sublime juré par la multitude sera brisé dans la conscience des individus; mais, aussitôt que la lutte essayera de reparaître, le peuple (c'est-à-dire tous) se lèvera et dira:

      –Taisez-vous et marchons!

      Ah! que t'ai regretté hier! Du haut de l'arc de l'Étoile le ciel, la ville, les horizons, la campagne verte, les dômes des grands édifices dans la pluie et dans le soleil, quel cadre pour la plus gigantesque scène humaine qui se soit jamais produite! De la Bastille, de l'Observatoire à l'Arc de triomphe et au delà et en deçà hors de Paris, sur un espace de cinq lieues, quatre cent mille fusils pressés comme un mur qui marche, l'artillerie, toutes les armes de la ligne, de la mobile, de la banlieue, de la garde nationale, tous les costumes, toutes les pompes de l'armée, toutes les guenilles de la sainte canaille, et toute la population de tout âge et de tout sexe pour témoin, chantant, criant, applaudissant, se mêlant au cortège. C'était vraiment sublime. Lis les journaux, ils en valent la peine; tu aurais été fou de voir cela! Je l'ai vu pendant deux heures, et je n'en avais pas assez; et, le soir, les illuminations, le défilé des troupes, la torche en main, une armée de feu, ah! mon pauvre garçon, où étais-tu? J'ai pensé à toi plus de cent fois par heure. Il faut que tu viennes au 5 mai, quand même on devrait brûler Nohant pendant ce temps-là.

      Adieu; je t'aime

      CCLXXVII

      AU CITOYEN CAUSSIDIÈRE, PRÉFET DE POLICE

      Nohant, 20 mai 1848.

      Citoyen,

      J'étais, le 15 mai, dans la rue de Bourgogne, mêlée à la foule, curieuse et inquiète comme tant d'autres, de l'issue d'une manifestation qui semblait n'avoir pour but qu'un voeu populaire en faveur de la Pologne. En passant devant un café, on me montra à la fenêtre du rez-de-chaussée une dame fort animée, qui recevait une sorte d'ovation de la part des passants et qui haranguait la manifestation. Les personnes qui se trouvaient à mes côtés m'assurèrent que cette dame était George Sand; or je vous assure, citoyen, que ce n'était pas moi, et que je n'étais dans la foule qu'un témoin de plus du triste événement du 15 mai.

      Puisque j'ai l'occasion de vous fournir un détail de cette étrange journée, je veux vous dire ce que j'ai vu.

      La manifestation, était considérable, je l'ai suivie pendant trois heures. C'était une manifestation pour la Pologne, rien de plus pour la grande majorité des citoyens qui l'avaient augmentée de leur concours durant trajet, et pour tous ceux qui l'applaudissaient au passage. On était surpris et charmé du libre accès accordé à cette manifestation jusqu'aux portes de l'Assemblée. On supposait que des ordres avaient été donnés pour laisser parvenir les pétitionnaires; nul ne prévoyait une scène de violence et de confusion au sein de la représentation nationale. Des nouvelles de l'intérieur de la Chambre arrivaient au dehors. L'Assemblée, sympathique au voeu du peuple, se levait en masse pour la Pologne et pour l'organisation du travail, disait-on. Les pétitions étaient lues à la tribune et favorablement accueillies.

      Puis, tout à coup, on vint jeter à la foule stupéfaite la nouvelle de la dissolution de l'Assemblée et la formation d'un pouvoir nouveau dont quelques noms pouvaient répondre au voeu du groupe passionné qui violentait l'Assemblée en cet instant, mais nullement, j'en réponds, au voeu de la multitude. Aussitôt cette multitude se dispersa, et la force armée put, sans coup férir, reprendre immédiatement possession du pouvoir constitué.

      Je n'ai point à rendre compte ici des opinions et des sympathies de telle ou telle fraction du peuple qui prenait part à la manifestation; mais

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