Jane Austen: Oeuvres Majeures. Джейн ОÑтин
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— Vous avez vu Maria, maman, lui dit Elinor, comment est-elle !
— Je ne l’ai pas vue ; elle est enfermée dans sa chambre ; elle pleure, et m’a conjurée de la laisser seule quelque temps. Pauvre enfant ! ses larmes sont bien naturelles ; laissons passer ce premier moment sans la tourmenter d’inutiles consolations.
— Elinor ne répondit rien ; elle aurait voulu que les larmes de sa sœur se fussent séchées sur le sein de sa mère, qu’elle eût ouvert sa porte. Elles prirent leurs ouvrages, et s’assirent en silence. Emma sortit pour prendre ses leçons par l’ordre de sa mère. Notre cher Willoughby est déjà à quelques milles de Barton, dit madame Dashwood après quelques minutes, et Dieu sait, Elinor, comme il voyage tristement. Elinor étouffait, elle avait besoin qu’un mot de sa mère l’encourageât à ouvrir son cœur. Tout cela est bien étrange, répondit-elle ! s’en aller si subitement ; ce départ a l’air d’un mauvais songe. Aujourd’hui à quelques milles de nous, et hier il était là à cette place, si heureux, si gai, si affectionné, comme s’il devait y passer sa vie, et actuellement il part sans projet de retour, sans savoir s’il nous reverra, et il nous quitte d’une manière si singulière, avec un embarras si marqué ! Il faut qu’il soit arrivé depuis hier quelque chose qu’il n’a pas voulu dire ; il n’était plus le franc, le tendre Willoughby d’hier. Vous avez sûrement senti cette différence tout comme moi, maman ! Peul-être se sont-ils querellés. Sur quoi ! je ne puis le concevoir, ni cependant expliquer autrement son peu d’empressement d’accepter votre invitation.
— Ce n’est pas l’inclination qui lui manquait, Elinor ; je l’ai vu bien clairement. Il ne dépendait pas de lui de l’accepter. Au premier moment je trouvais toutes ses manières aussi singulières que vous les trouvez vous-même ; mais je viens d’y réfléchir avec calme, et je puis vous assurer que je le comprends à merveille et que je puis tout expliquer.
— Vous le pouvez, maman !
— Oui, ma fille ; je me suis tout expliqué à moi-même de la manière la plus satisfaisante ; mais vous, Elinor, qui doutez toujours de l’amour, vous ne serez pas satisfaite : je vous prie cependant de ne pas me dire un mot contre ma confiance en Willoughby ; elle est entière et complète. Je suis donc persuadée que madame Smith, qu’il a un si grand intérêt à ménager, soupçonne son attachement pour Maria et le désapprouve, peut-être parce qu’elle a d’autres vues sur lui. Elle a donc désiré de l’éloigner, et elle a inventé quelque affaire pressée pour lui faire quitter le voisinage de Barton. Voilà je crois ce qui est arrivé. Il n’a sans doute pas encore osé lui avouer ses engagemens avec Maria, et il est obligé, bien à contre cœur, de lui obéir pour le moment et de quitter quelque temps le Devonshire. Vous me direz, je le sais, que cela peut être ou ne pas être ; mais je ne veux écouter aucun doute, à moins que vous ne puissiez m’expliquer la chose d’une manière aussi satisfaisante. À présent, Elinor, qu’avez-vous à dire ?
— Rien, ma mère ; vous aviez prévu ma réponse ; ce que vous croyez peut être vrai, peut être faux : nous n’en savons rien, mais lequel des deux que ce soit mes inquiétudes sont les mêmes.
— Fille insensible ! dit madame Dashwood avec un peu de dépit, vous voulez croire le mal plutôt que le bien ; vous préférez voir Willoughby coupable et votre sœur à jamais malheureuse, plutôt que d’admettre ce qui peut le justifier. Il a pris congé de nous, dites-vous avec moins d’affection qu’à l’ordinaire : n’accordez-vous donc, rien au chagrin qui l’oppressait ? Le pauvre garçon ne savait ce qu’il disait ni ce qu’il nous entendait dire seulement ; à mes yeux la singularité de sa conduite dans cet instant est plutôt une preuve de son amour et de sa sincérité.
— De son amour peut-être, dit Elinor ; je connais peu les effets de l’amour, mais de sa sincérité !! Ah ! ma mère ne pensez-vous pas qu’un entier aveu de son amour, des difficultés qui se présentaient pour le moment, et de ses intentions de les surmonter, nous l’aurait encore mieux prouvée. Sans doute il est des cas où le secret est nécessaire ; mais encore je ne puis m’empêcher d’être surprise que lui, Willoughby en ait été capable. Peut-être en effet est-il obligé de cacher ses engagemens avec ma sœur (si du moins ils sont engagés) à madame Smith, mais je ne vois aucune raison pour nous les cacher à nous.
— Pour les cacher, Elinor ! ai-je bien entendu ? est-ce bien vous qui reprochez de la dissimulation à Willoughby et à Maria, quand chaque jour, chaque instant vos regards leur reprochaient de n’en avoir pas assez ?
— Je ne manque pas de preuves de leur amour, maman, mais bien de leurs engagemens.
— Je suis aussi sûre de l’un que de l’autre.
— Alors je me tais et je suis contente ; mais pardon : j’ai cru que ni l’un ni l’autre ne vous en avaient parlé.
— Ni l’un ni l’autre, il est vrai ; mais qu’ai-je besoin de paroles quand les actions parlent si ouvertement ? Est-ce que toute la conduite de Willoughby avec Maria, et avec nous toutes, n’a pas prouvé positivement qu’il l’aimait et la considérait comme sa future compagne, et nous, comme ses parentes de cœur et de choix ? N’a-t-il pas demandé tous les jours mon consentement par ses regards, ses attentions, son tendre respect ? Ne le lui ai-je pas donné tacitement en souffrant ses assiduités auprès de ma fille ? Ô mon Elinor, comment pouvez-vous douter qu’ils ne soient solennellement engagés l’un à l’autre par des promesses positives ? Comment pouvez-vous supposer que Willoughby, persuadé de l’amour de votre sœur, comme il doit l’être, pourrait la quitter, et pour long-temps peut-être, sans s’assurer de la retrouver un jour pour la vie ? Pourquoi penserions-nous mal d’un homme que nous avons tant de motifs d’aimer, quoique nous ne le connaissions pas depuis long-temps ? Il n’est pas étranger ici ; et qui nous a dit un seul mot à son désavantage ? Vous voyez comme il est aimé de mon cousin sir Georges, qui s’intéresse assez à nous pour nous avoir averties s’il y avait quelque chose à dire contre lui. Au contraire ne cherche-t-il pas toujours dans ses parties à le rapprocher de Maria ? Non, non, je n’ai aucun doute, aucune crainte ; il reviendra j’en suis convaincue. En attendant, Elinor, je vous prie de ne pas déchirer davantage le cœur de votre pauvre sœur en ayant l’air de douter de lui. La pauvre enfant aura bien assez de peine à supporter son absence.
— Je me tairai avec elle, maman, et je désire de tout mon cœur de m’être trompée ; j’aime Willoughby, et un soupçon sur son intégrité ne peut pas vous être plus pénible qu’à moi. S’il nous écrit, si une correspondance s’établit entre lui et ma sœur, je n’aurai plus aucun doute.
— Vraiment, vous accordez cela ! quand vous les verrez devant l’autel, vous vous douterez alors qu’ils vont se marier.
Elles furent interrompues par l’entrée d’Emma. Elinor put réfléchir sur leur entretien ; elle voulait aller tâcher d’être admise auprès de sa sœur ; mais madame Dashwood l’en empêcha. Il fallait, disait-elle, laisser au moins cette matinée à son affliction, après quoi l’espoir de l’avenir la calmerait.
Elles ne la virent donc qu’au moment du dîner. Maria entra dans la chambre à manger sans dire une parole ; ses yeux étaient rouges et humides ; elle semblait retenir ses larmes avec difficulté ; elle évitait les regards, et ne pouvait ni parler ni manger. Après quelques momens sa mère lui pressa tendrement la main. Maria voulut lever les yeux sur elle, mais ils se tournèrent sur la place que Willoughby aurait occupée ; son faible courage l’abandonna