Jane Austen: Oeuvres Majeures. Джейн Остин

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Jane Austen: Oeuvres Majeures - Джейн Остин

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lèvres, essuya ses yeux et la lettre même mouillée de ses larmes, et l’ouvrit avec un tendre respect ; hélas ! elle n’y trouva aucune consolation. Le nom de Willoughby remplissait chaque page ; madame Dashwood se confiant encore en son amour, en son honneur, ne croyant pas possible qu’on pût se lasser d’aimer sa Maria, mais réveillée par les craintes et les soupçons d’Elinor, cherchait à relever l’espérance de sa fille chérie, sollicitait seulement son entière confiance, lui témoignait une affection sincère pour Willoughby, qui ne pouvait, disait-elle, les avoir trompées, et une telle conviction de leur bonheur lorsqu’ils seraient unis, que le désespoir de Maria en lisant cette lettre devint une espèce d’agonie. Heureusement ses larmes avaient commencé avant de la lire ; elles continuèrent et furent un soulagement. Elle cessa enfin de pleurer, et témoigna alors la plus vive impatience de retourner auprès de sa mère ; elle seule entrerait dans ses sentimens, comprendrait sa douleur ; elle seule avait senti combien Willoughby méritait d’être aimé, elle seule lui pardonnerait de l’aimer encore malgré sa perfidie. Elle voulait partir ce matin même, et pria Elinor de sonner pour demander une voiture.

      Ce départ si prompt, si soudain n’était pas du tout de l’avis d’Elinor ; outre l’émotion affreuse que ce retour inattendu donnerait à leur mère, qu’il fallait au moins en prévenir, et ses doutes sur le bien qu’il ferait à Maria, elle craignait avec raison qu’une absence si brusque dans un tel moment ne nuisît à sa réputation, et redoutait même les soupçons et les propos de madame Jennings, excitée par la colère où ce départ la mettrait sûrement : elle tâcha donc sans lui dire les motifs qui l’auraient encore plus exaspérée, de faire entendre raison à sa sœur. Elle lui dit qu’il fallait au moins avoir le consentement de leur mère ; que leur frère étant attendu tous les jours à Londres, trouverait fort mauvais qu’elles partissent au moment de son arrivée ; et la raison se fit enfin entendre à Maria.

      Madame Jennings sortit ce matin là plus tôt que de coutume, et ne demanda point à Elinor de la suivre ; il lui tardait que les Middleton et les Palmer sussent tout ce qui se passait, et pussent aussi s’affliger sur Maria et s’indigner contre Willoughby. Dès qu’elle fut partie, Maria conjura sa sœur d’écrire à leur mère, de lui dire toute sa douleur, et de lui demander la permission de retourner auprès d’elle. Elinor s’assit pour cette pénible tâche ; Maria placée vis-à-vis d’elle, dans le salon de madame Jennings, appuyée sur la même table où sa sœur écrivait, tantôt suivait le mouvement de sa plume, tantôt rêvait, sa main sur ses yeux, et s’affligeait aussi du chagrin que cette lettre causerait à sa bonne mère : il y avait une heure qu’elles étaient ainsi, quand un coup de marteau à la porte fit tressaillir Maria.

      Qui peut venir, dit Elinor, de si bonne heure ? J’espérais que nous étions à l’abri d’une visite. Maria était déjà à côté de la fenêtre.

      Qui serait-ce que le colonel Brandon, dit-elle avec humeur ? est-on jamais à l’abri de le voir entrer ? je ne veux pas le voir, et je m’échappe. Un homme qui ne sait que faire de son temps envahit toujours celui des autres ; elle sortit par la salle à manger pour éviter de le rencontrer.

      Elinor qui voulait achever sa lettre, hésitait si elle le recevrait dans l’absence de madame Jennings, mais il ne se fit point annoncer ; il entra, et son regard mélancolique, le son de voix altéré avec lequel il demanda des nouvelles, de Maria, convainquit Elinor que c’était le seul but de sa visite ; elle pouvait à peine pardonner à sa sœur l’espèce d’aversion qu’elle témoignait à ce digne homme.

      J’ai rencontré madame Jennings à Bonds-street, dit-il ensuite à Elinor ; elle m’a engagé à venir auprès de vous, et j’étais charmé, je vous l’avoue, mademoiselle, de cette occasion de vous parler sans témoins ; je le désirais d’autant plus, que je vous jure que mon seul motif, mon seul vœu, mon seul espoir est de donner peut-être quelques consolations. Mais, non ; ce n’est pas le mot, bien au contraire, et je ne sais de quelle expression me servir… de donner à votre sœur une conviction déchirante peut-être au premier moment, mais qui puisse contribuer à guérir son cœur. Mon attachement pour elle et mon estime pour vous, et pour votre excellente mère m’ont décidé à vous confier quelques circonstances… Mais je vous en conjure, bonne Elinor, ne voyez dans cette confiance que mon ardent désir de vous être utile et aucun intérêt personnel. Je sais bien que quelque chose qu’il arrive, je n’ai aucun espoir ; mais quoique j’aie passé bien des heures à me convaincre moi-même qu’il était de mon devoir de vous parler, j’ai besoin encore de votre aveu pour m’y décider.

      Je vous entends, dit Elinor, vous avez quelque chose à me dire sur M. Willoughby qui dévoilera son caractère. Vous dites que c’est la plus forte preuve d’amitié que vous puissiez donner à ma sœur : ma reconnaissance vous est donc bien assurée. Si ce que vous avez à me confier tend à la guérir plutôt de sa malheureuse inclination, parlez, je vous en conjure, je suis prête à vous entendre.

      CHAPITRE XXXII.

       Table des matières

      Vous me trouverez, dit le bon colonel à Elinor, un très-maussade narrateur ; je sais à peine par où commencer le récit que j’ai à vous faire. Quand je quittai Barton le dernier octobre… mais il faut que je prenne mon récit de plus loin, il faut que je vous parle de ma propre histoire. Je vous promets d’être bref, et vous pouvez vous fier à moi ; c’est un sujet sur lequel je crains de demeurer long-temps, (et ces mots furent accompagnés d’un profond soupir ). Il s’arrêta un moment comme cherchant à rassembler ses idées ; ensuite il poursuivit.

      — Vous avez probablement miss Dashwood, oublié une conversation que j’eus avec vous un soir à Barton-Park pendant qu’on dansait ; je vous parlais d’une dame que j’avais connue autrefois, qui ressemblait à beaucoup d’égards à votre sœur Maria.

      — Je ne l’ai point oubliée, s’écria Elinor ; je pourrais, je crois, vous dire vos mêmes paroles ; mais qui pourrait rendre l’expression de sentiment avec lequel vous parliez de cette femme ?

      — Je l’avoue, dit le colonel, c’était avec une bien vive émotion que je remarquai dans votre sœur une ressemblance frappante à plusieurs égards avec cette femme qui n’existe plus depuis long-temps. Ce n’est pas peut-être dans le détail des traits que ce rapport existe, quoi qu’il y en ait aussi ; la figure de Maria est plus belle, mais c’est la même expression de physionomie, le même regard, la même chaleur de cœur, la même vivacité d’imagination, le même caractère. Elisa était ma proche parente. Orpheline dès son enfance, elle fut mise sous la tutelle de mon père. Je n’avais qu’une année de plus qu’elle, et nous étions élevés ensemble. Elle était la compagne de mes jeux et mon intime amie ; je ne puis me rappeler le temps où je n’aimais pas Elisa, et mon affection croissant avec les années devint enfin un sentiment passionné. En me jugeant sur ma gravité actuelle, vous m’avez cru peut-être incapable d’un sentiment exalté ; il l’était au point que ni le temps ni sa mort n’ont pu l’éteindre, et qu’au moment où je vis votre sœur, qui me la rappelait si parfaitement, il se réveilla avec une nouvelle force. Elisa m’aimait aussi ; son attachement pour moi était aussi vif, aussi passionné que celui de votre sœur pour Willoughby ; jugez donc si je l’excuse, si je le comprends. Vous, sage Elinor, vous qui savez placer vos sentimens, sous l’égide de la raison, vous ne devez pas comprendre le moment où l’on n’entend plus sa voix, où celle de l’amour est seule écoutée ; (ici des larmes remplirent les yeux d’Elinor) mais votre sensibilité vous rend indulgente pour les faiblesses du cœur, et j’en abuse peut-être. Un sourire d’Elinor et même ses larmes lui dirent de continuer.

      La fortune d’Elisa était considérable ; nous n’y avions jamais pensé. Elle était

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