Jane Austen: Oeuvres Majeures. Джейн ОÑтин
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Il y eut une autre pause. Maria était très-agitée ; elle se leva et s’approchant d’Elinor, elle saisit sa main : Chère Elinor, lui dit-elle, je veux retourner à Barton auprès de maman ; ne pouvons-nous partir demain ?
— Demain, Maria !
— Oui demain. Pourquoi resterai-je ici ? J’y suis venue seulement pour Willoughby ; qui ferai-je ? Qui m’intéresse à Londres ? Ah personne, personne ! J’y suis comme dans un désert.
— Il serait je crois impossible de partir demain, dit Elinor ; nous devons à madame Jennings plus que de la politesse ; et la quitter aussi brusquement après les bontés qu’elle a pour vous, ce serait très-malhonnête.
— Eh bien donc ! dans deux jours ; mais en vérité, je ne puis rester plus long-temps, je ne puis m’exposer aux remarques, aux questions de tous ces gens, des Middleton, des Palmer ; comment supporter leur pitié ? La pitié de lady Middleton !… Ah ! que dirait-il lui-même s’il le savait ?
— Je crois, chère Maria, qu’un si prompt départ ferait beaucoup plus causer encore. Mais dans ce moment, chère amie, tâchez de trouver un peu de repos : couchez-vous ; soyez physiquement tranquille ; et vos esprits se calmeront insensiblement. Maria suivit un instant ce conseil, mais reprit bientôt toute son agitation. Aucune place, aucune attitude ne lui convenait. Sa sœur ne put obtenir d’elle qu’elle restât couchée. Il lui reprit une attaque de nerfs assez violente. Elinor craignait d’être obligée d’appeler quelqu’un à son secours ; mais elle craignait encore plus de la laisser voir dans cet état. Une forte dose d’éther la remit peu à peu ; elle resta assez faible pour être tranquille, et sans bouger sur un sopha jusqu’au retour de madame Jennings, qui entra immédiatement dans leur chambre sans se faire annoncer. Elle entr’ouvrit la porte et regarda avec l’air très-affligé. Elinor alla au-devant d’elle ; elle entra. Comment allez-vous, ma chère ? dit-elle à Maria, avec le ton de la compassion. (Celle-ci détourna la tête sans répondre.) Comment est-elle, mademoiselle Elinor ? Pauvre petite ! Elle a l’air bien malade, et cela n’est pas étonnant. Hélas ! il n’est que trop vrai, il se marie bientôt ce grand vaurien, Je viens de l’apprendre ; madame Taylor me l’a dit il n’y a pas une demi-heure ; elle le tenait d’une intime amie de miss Grey elle-même, sans quoi je n’aurais pu le croire : j’étais près de tomber d’étonnement. « Eh bien ! lui ai-je dit, tout ce que je sais, et ce qui est la vérité même, c’est qu’il s’est conduit abominablement avec une jeune dame de ma connaissance, à qui il a fait croire qu’il l’aimait à la passion, tandis qu’il en courtisait une autre. Je désire de tout mon cœur, pour le bien que je lui veux, que sa femme le rende bien malheureux : ainsi j’ai dit, ainsi je dirai, vous pouvez y compter, mes chères amies. Je n’ai aucune idée qu’un homme se conduise de cette manière. Et qu’il ne dise pas que non ; car je l’ai vu de mes propres yeux, et comme miss Maria l’aimait, et comme j’aurais parié ma tête qu’il l’aimait aussi et qu’il n’épouserait qu’elle. Ah ! si jamais je le rencontre, fût-ce à côté de sa femme, je lui reprocherai bien sa conduite, je vous en réponds. Mais consolez-vous, chère Maria, ce n’est pas le seul jeune homme dans le monde, et avec votre jolie mine vous ne manquerez pas d’admirateurs. Allons, courage, ma pauvre petite ! je ne veux pas vous troubler plus long-temps ; vous vous retenez de pleurer pour moi je parie ; il vaut mieux pleurer tout à-la-fois, et que cela soit fait. J’ai invité pour ce soir mesdames Parcy et les Sawnderson ; elles sont gaies comme vous savez, elles vous distrairont. Elle s’en alla doucement sur la pointe des pieds, comme si le bruit avait pu augmenter l’affliction de sa jeune amie.
Le reste de la matinée s’écoula assez tranquillement. Maria était sombre, parlait peu, soupirait beaucoup, mais fut plus calme, et à la grande surprise de sa sœur, elle voulut descendre pour le dîner. Elinor s’y opposait, mais elle le voulut ; elle le supporterait très-bien, dit-elle, et donnerait moins de peine que de la servir en haut. Elinor approuva ce motif, l’habilla en malade aussi bien qu’elle pût, et se tint prête pour la conduire à la salle à manger quand on les appellerait.
Elles descendirent ; Maria appuyée sur sa sœur, pâle, abattue et les yeux bien rouges, se mit à table et plus calme que sa sœur ne l’avait espéré. Si elle avait essayé de parler ou qu’elle eût entendu la moitié de tout ce que madame Jennings disait, son calme ne se serait pas aussi bien soutenu, mais pas un mot n’échappa de ses lèvres, et la concentration de ses pensées l’empêcha de faire attention à ce qui se passait autour d’elle. La bonne madame Jennings ne pensait pas que ses attentions poussées jusqu’au ridicule, la tourmentaient plutôt que de lui faire du bien : Elinor qui rendait justice à ses bonnes intentions, lui en témoignait sa reconnaissance et faisait son possible pour qu’elle laissât Maria tranquille, mais elle ne pouvait pas lui persuader que les peines de l’âme ne doivent pas être traitées comme une migraine ou des maux purement physiques. Madame Jennings voyait Maria malheureuse, et la traitait avec l’indulgente tendresse d’une mère pour un enfant malade. Maria devait avoir la meilleure place vers le feu, le meilleur mets, le meilleur vin, le meilleur fauteuil ; elle cherchait tout ce qu’elle pouvait imaginer pour l’amuser, ou la tenter de manger en lui présentant une variété d’entremets, de dessert, de confitures de toute espèce. Si Elinor n’avait pas vu par la contenance de sa sœur que toute plaisanterie lui serait insupportable, elle n’aurait pu s’empêcher de rire avec elle des recettes de la bonne dame contre un chagrin d’amour. À la fin cependant elle fut si pressante et lui répéta si souvent que tout ce qu’elle lui présentait lui ferait sûrement du bien, que Maria ne pouvant ni l’accepter, ni s’en défendre, prit le parti de retourner dans sa chambre ; elle se leva avec une expression douloureuse, et fit signe à sa sœur de ne pas la suivre.
— Pauvre enfant ! s’écria madame Jennings aussitôt qu’elle fut loin, combien je suis peinée de la voir ainsi ! Voyez, elle s’est en allée sans finir ses cerises à l’eau-de-vie ; rien ne l’aurait mieux fortifiée ; mais plus rien ne lui fait plaisir. Si je pouvais découvrir quelque chose qu’elle aimât, j’irai le lui chercher au bout de la ville. N’est-ce pas odieux qu’un homme abandonne ainsi une si jolie personne ! Mais voilà ce que c’est ; quand il y a tant d’argent d’un côté et presque point de l’autre, la balance l’emporte.
— Cette dame donc, dit Elinor, cette miss Grey (n’est-ce pas ainsi que vous l’appelez), vous dites qu’elle est très-riche !
Cinquante mille pièces, ma chère ; on est toujours belle avec une telle dot. L’avez-vous vue à l’assemblée ? elle est élégante, bien faite, mais point jolie. J’ai connu son oncle dont elle a hérité ; toute cette famille est riche à millions, et cela tente un jeune homme qui aime la dépense, et les chiens, et les chevaux, et les caricles, et les équipages de toute espèce, et la bonne table. Je veux bien cela, mais il ne faut pas tourner la tête à une pauvre jeune fille qui n’a rien, lui faire espérer le mariage, et puis la planter là quand il en trouve une qui veut payer sa belle figure et toutes ses fantaisies.
— Savez-vous, madame, si miss Grey est aimable ?
— Je n’ai jamais entendu faire d’elle d’autre éloge que d’être riche et élégante ; elle a toujours