Jane Austen: Oeuvres Majeures. Джейн ОÑтин
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Trois ou quatre jours s’écoulèrent sans qu’Elinor eût à regretter d’avoir averti sa mère. Willoughby ne vint, ni n’écrivit. L’inquiétude de Maria se calma peu-à-peu, et fut remplacée par un abattement, un découragement complets. Elle restait, des heures entières assise à la même place, presque sans mouvement, ne faisant plus nulle attention aux coups de marteau ni à ceux qui entraient, ni à ce qu’on disait autour d’elle ; elle aurait oublié de manger, de s’habiller, de se coucher, de se lever, si Elinor n’y avait pas pensé pour elle, et ne l’eût pas avertie absolument de tout ce qu’il fallait faire ; alors sans dire oui ou non, elle faisait machinalement ce que lui disait sa sœur ; elle sortait ou restait avec une égale indifférence, et sans avoir jamais une expression de plaisir ou d’espoir. Sur la fin de la semaine, elles étaient engagées dans une grande assemblée où lady Middleton devait les conduire. Madame Palmer très-avancée dans sa grossesse était indisposée ; et sa mère restait auprès d’elle ; elle avait prié ses jeunes amies de ne pas manquer à cet engagement. Elinor désirait aussi faire sortir Maria de son apathie ; et cette réunion chez une femme très-riche et très à la mode, devait être fort belle. Comme à l’ordinaire la triste Maria ne se mit en peine de rien, se laissa parer par sa sœur, sans même se regarder au miroir, s’assit dans le salon jusqu’au moment de l’arrivée de lady Middleton, penchée sur sa main sans ouvrir la bouche, perdue dans ses pensées, et sans paraître s’apercevoir de la présence d’Elinor ; quand on l’avertit que lady Middleton les attendait dans sa voiture, elle tressaillit, comme si elle n’eût attendu personne.
Après avoir eu assez de peine à s’approcher de la maison où se tenait l’assemblée, à cause de la foule des équipages qui obstruaient la rue, elles firent leur introduction dans un salon splendide, très-illuminé, et si rempli de monde, qu’on pouvait à peine respirer, et que la chaleur était insupportable. Lady Middleton les amena auprès de la dame qui les avait invitées. Elles la saluèrent, et il leur fut permis de se mêler dans la foule et de prendre leur part de la presse et de la chaleur, que leur arrivée augmentait encore. Après quelques momens employés à se promener avec grand peine d’un coin du salon à l’autre, lady Middleton arrangea une partie de cassino qui était son jeu favori. Mesdemoiselles Dashwood préférèrent ne pas jouer, et s’assirent à peu de distance de la table de jeu. Maria retomba dans ses sombres rêveries ; Elinor s’amusait à regarder cette quantité d’individus qui se rassemblaient avec l’espoir du plaisir, et qui plus ou moins avaient tous l’air ennuyé et fatigué. En promenant ses regards de côté et d’autre, ils tombèrent sur un objet qui lui donna une forte émotion… c’était Willoughby debout devant une jeune personne mise dans toute la recherche de la mode, et avec qui il tenait une conversation très-animée. Dans un mouvement ses yeux rencontrèrent ceux d’Elinor ; il la salua, mais sans faire un pas pour se rapprocher d’elle et de Maria, qu’il voyait aussi très-bien ; il continua à parler à la jeune dame. Involontairement Elinor se tourna vers sa sœur pour la prévenir, si elle ne l’avait pas encore vu, de peur qu’elle ne se donnât en spectacle ; mais c’était trop tard, elle venait de l’apercevoir. Toute sa physionomie exprimait un bonheur qui tenait presque du délire. — c’est lui ! s’écria-t-elle en se levant pour courir à lui, si sa sœur ne l’avait pas retenue. Bon Dieu ! il est là ; dit-elle à Elinor, il est là ; oh ! s’il pouvait me voir ! Pourquoi ne me regarde-t-il pas ? Pourquoi m’empêchez-vous d’aller lui parler ? Oh ! laissez moi aller.
— Je vous en prie, dit Elinor à voix basse, soyez plus calme ; ne trahissez pas ainsi vos sentimens devant tout le monde ; est-ce à vous, Maria, à faire un seul pas ? Laissez le venir. Peut-être il ne vous a pas vue encore.
Être calme et dans un tel moment, ah ! c’était bien plus qu’elle ne pouvait l’espérer de Maria. Aussi voyant qu’elle l’écoutait à peine, elle lui serra tendrement la main : Pour l’amour de moi, Maria, lui dit-elle, rasseyez-vous ; si vous m’aimez je vous en demande cette preuve. Maria se rassit à l’instant même, en lui rendant son serrement de main, mais avec un mouvement convulsif ; elle avait un tremblement général ; ses joues et ses lèvres étaient pâles comme la mort et tous ses traits étaient altérés.
Enfin Willoughby après les avoir regardées encore toutes deux, s’approcha lentement. Alors Maria prononça son nom ; ses yeux se ranimèrent ; et un faible sourire parut sur ses lèvres. Il s’avança, et s’adressa plutôt à Elinor qu’à Maria sans regarder cette dernière ; il cherchait visiblement à éviter son regard ; il s’informa de madame Dashwood, de mademoiselle Emma, demanda s’il y avait long-temps qu’elles étaient à la ville. Toute la présence d’esprit d’Elinor l’avait abandonnée. Elle était incapable de prononcer une parole, et s’attendait que Maria allait tomber sans connaissance. Celle-ci reprit au contraire toute sa vivacité ; un rouge vif colora ses joues ; et d’une voix très-altérée, elle dit : Bon Dieu ! Willoughby, est-ce bien vous ? Que vous ai-je fait ? N’avez-vous pas reçu ma lettre ? Ne voulez-vous pas me regarder, me parler ? n’avez-vous rien à me dire ? Elinor examinait avec soin la physionomie et la contenance de Willoughby pendant que Maria lui parlait. Il changea plusieurs fois de couleur et paraissait évidemment très-mal à son aise ; il faisait des efforts inouïs pour paraître tranquille ; il y parvint et répondit avec politesse : J’ai eu l’honneur, mesdames, de me présenter chez vous jeudi passé ; j’ai beaucoup regretté de n’avoir pas eu le bonheur de vous rencontrer à la maison, non plus que madame Jennings. Vous avez trouvé ma carte, j’espère.
— Mais avez-vous reçu mes billets ? s’écria Maria dans la plus grande anxiété. Il y a entre nous quelque erreur, j’en suis sûre, quelque terrible erreur ! Quelle peut-être-la cause de cette inconcevable froideur ? Willoughby, pour l’amour du ciel, dites-le moi, expliquez vous.
— Pour l’amour du ciel, parlez plus bas, dit Elinor qui était sur les épines qu’on ne l’entendît, ou plutôt taisez-vous, ce n’est pas le moment.
Ce conseil ne pouvait regarder Willoughby, qui ne répondait pas un mot. Il pâlit et reprit sa contenance embarrassée. Elinor jeta les yeux sur la jeune dame à qui il avait parlé précédemment ; elle rencontra un regard inquiet, curieux, impératif. Willoughby le vit aussi ; alors se retournant vers Maria, il lui dit à demi-voix : Oui, mademoiselle, j’ai eu le plaisir de recevoir la nouvelle de votre arrivée à Londres, avec bien de la reconnaissance ; et les saluant toutes deux assez légèrement, il alla rejoindre sa société.
Maria qui s’était levée pour lui parler, fut obligée de se rasseoir, si pâle, si tremblante, qu’Elinor s’attendait à chaque instant à la voir s’évanouir. Elle avait dans son sac un flacon de sel qu’elle lui donna, en se penchant vers elle pour empêcher qu’elle ne fût remarquée. Allez auprès de lui, chère Elinor, dit Maria dès qu’elle put articuler un mot ; je ne puis me soutenir ; mais vous, vous qui êtes si bonne, allez, exigez de lui de venir me parler, me dire un seul mot, un seul. Je ne puis rester ainsi, je ne puis avoir un instant de paix jusqu’à ce qu’il m’ait expliqué… Quelque affreux malentendu, quelque calomnie… Oh ! qu’il vienne, qu’il parle, ou je meurs.
— C’est impossible, chère Maria, dit Elinor, tout-à-fait impossible ! Il n’est pas seul ; nous ne pouvons nous expliquer ici. Quelques heures de patience ; attendez seulement à demain.
Si l’émotion de Maria ne l’avait pas retenue forcément sur son siége, jamais sa sœur n’aurait pu l’obtenir ; mais heureusement après quelques minutes elle vit Willoughby sortir par la porte d’entrée ; elle le dit à Maria. Jusqu’alors l’excès de son agitation, et le désir et l’espoir de lui parler avaient retenu ses larmes ; mais lorsqu’elle sut qu’il avait quitté la salle, elle sentit qu’elle allait ou se trouver mal ou fondre en larmes ; elle supplia sa sœur d’aller prier