Jane Austen: Oeuvres Majeures. Джейн ОÑтин
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Leur voyage dura trois jours. La conduite de Maria pendant ce temps là fut la preuve de ce que madame Jennings pouvait attendre d’elle, si elles avaient été en tête à tête. Dans ses regards animés brillaient, il est vrai, la joie et l’espérance ; mais toute entière à ses sentimens, à ses pensées, plongée dans ses tendres méditations, elle n’ouvrait la bouche que pour s’informer de la distance où on était de Londres, dire au cocher d’aller plus vite, ou s’extasier sur quelques points de vue romantiques, et ne s’adressait alors qu’à sa sœur. En échange, Elinor prit le parti d’être polie pour deux, et de tâcher à force d’attentions que madame Jennings ne remarquât pas la conduite de sa sœur ; elle causait avec elle, riait avec elle, écoutait des histoires triviales cent fois répétées ; et madame Jennings de son côté leur témoignait à toutes deux toute la bonté imaginable, était en continuelle sollicitude pour leur bien-être et leur plaisir, consultait leurs goûts pour commander leur dîner aux auberges, et ne se fâchait contre Maria que lorsqu’elle se refusait à le dire ou qu’elle ne mangeait pas.
Elles arrivèrent à la ville le troisième jour, à quatre heures de l’après-midi, charmées de sortir de leur voiture où elles étaient fort sérrées, et de se reposer auprès d’un bon feu.
La maison était belle ; les appartemens meublés avec élégance ; tout annonçait le bien-être d’une riche veuve. Mesdemoiselles Dashwood furent mises en possession des chambres que lady Middleton et madame Palmer occupaient avant leur mariage. Elles étaient encore ornées de paysages brodés en soie, en chenille, preuve parlante de la bonne éducation qu’elles avaient reçue dans les meilleures pensions de Londres. Comme l’heure du dîner de madame Jennings était fixée à sept, Elinor voulut employer cet intervalle à écrire à sa mère, et s’assit pour cet effet devant une table. Maria vint bientôt la joindre et se plaça vis-à-vis d’elle, en prenant aussi une feuille de papier et en choisissant une plume.
— J’écris à maman, lui dit Elinor, qui avait déjà commencé ; ne feriez-vous pas mieux, Maria, de différer votre lettre d’un jour ou deux ?
— Je ne veux pas écrire à la Chaumière, dit Maria ; et commençant très-vîte comme pour éviter les questions. Elinor n’en fit point, persuadée sans qu’elle l’eût demandé, qu’elle écrivait à Willoughby, et concluant de-là que quelque mystérieuse que fût leur correspondance, elle existait certainement, et que Maria était sûre de ses intentions, et vraisemblablement engagée avec lui. Cette idée qui traversa rapidement sa pensée lui fit un grand plaisir et anima son style. Elle voulut le faire partager à sa bonne mère. « Maria, lui dit-elle, vous écrira par le premier courrier, et vous dira sans doute combien elle est heureuse, » etc., etc., etc. Sa lettre se remplissait des détails de leur voyage et de leur arrivée, etc. Celle de Maria qui n’était qu’un billet fut bientôt finie, pliée et cachetée. Elinor jeta un regard sur l’adresse et distingua un grand W, qui ne lui laissa plus de doute. Maria sonna, et pria le laquais qui vint de porter cette lettre à la petite poste ; elle continua à être très-animée ; mais c’était plutôt de l’agitation que de la gaîté, et cette agitation s’augmentait graduellement. Elle pût à peine manger quelque chose, et, quand elles furent rentrées dans le salon, elle n’écoutait pas même ce qu’on disait, n’était attentive qu’au roulement des carrosses et courait sans cesse du coin du feu à celui de la fenêtre, où elle resta enfin debout, pour voir tout ce qui se passait dans la rue. Elinor était charmée que madame Jennings occupée ailleurs, n’en fût pas témoin.
L’heure du thé les réunit. Maria était alors dans un état d’émotion presque douloureux à force d’être vif. Chaque coup de marteau dans les maisons voisines la faisait rougir et pâlir, lorsqu’elle voyait qu’elle s’était trompée. Enfin un beaucoup plus fort fut l’annonce d’une visite. Aucune autre personne que celle à qui elle avait écrit ne pouvait savoir encore leur arrivée. Elinor ne douta pas qu’on ne vînt annoncer M. Willoughby ; et Maria s’approcha de la porte par un mouvement involontaire, l’ouvrit, écouta au-dessus de l’escalier et entendit une voix d’homme demander si mesdames Dashwood étaient au logis ; elle rentra dans un trouble qui tenait presque du délire, et s’approchant d’Elinor, elle lui dit en se jetant dans ses bras : Oh ! c’est lui, c’est bien lui ! Elinor lui avait à peine dit : Au nom du ciel ! chère Maria, calmez-vous,… que la porte s’ouvre, et… le colonel Brandon paraît. Maria au désespoir, sort de la chambre, même sans le saluer. Il la suivit des yeux avec un étonnement douloureux ; mais se remettant promptement, il s’approcha d’Elinor, et lui souhaita le bonjour, ayant l’air content de la revoir. Elinor était fâchée sans doute du désapointement de sa sœur ; mais elle l’était encore plus de son impolitesse pour un homme aussi estimable. Il était cruel pour lui d’être reçu de cette manière par une femme à qui il était si tendrement attaché. Elle espéra que peut-être il n’y avait pas fait attention ; mais à peine l’eût-elle salué avec l’air de l’amitié, qu’il lui demanda d’une voix altérée si mademoiselle Maria était malade.
— Oui, monsieur, lui dit-elle, en saisissant cette idée, elle est sujète à des vertiges ; et la fatigue du voyage a augmenté cette disposition : c’est sans doute ce qui l’a obligée à sortir. Il l’écouta avec la plus grande attention, tomba dans une sorte de rêverie dont il sortit tout-à-coup en parlant à Elinor de leur séjour à Londres, du plaisir qu’il avait eu à l’apprendre, et en lui donnant des nouvelles de madame Dashwood, d’Emma, de ses amis du Parc.
Ils continuèrent à s’entretenir en apparence avec calme, mais tous les deux occupés de tout autre chose que de leur conversation. Elinor mourrait d’envie de lui demander si Willoughby était à Londres ; mais elle craignait d’augmenter sa peine, en lui parlant de son rival ; enfin pour amener peut-être l’entretien sur ce sujet, elle lui demanda si lui-même avait toujours habité Londres depuis qu’il avait quitté Barton-Park.
— Oui, répliqua-t-il, avec quelque embarras, presque toujours ; j’ai été deux ou trois fois à Delafort pour peu de jours ; mais bien malgré moi, je vous assure, je n’ai pu retourner au Parc.
La manière de répondre triste, embarrassée, rappela à Elinor le moment de son départ et toutes les conjectures de madame Jennings. Elle craignait d’avoir témoigné une curiosité indiscrète, et se tut.
Madame Jennings entra, et salua le colonel avec sa gaîté accoutumée. — Je suis enchantée de vous voir, cher colonel, et bien fâchée de ne m’être pas trouvée là quand vous êtes entré ; j’avais comme vous comprenez mille choses à faire et à ranger chez moi, après une si longue absence ; mais à présent je puis sortir de mon salon quand je voudrai, on ne le trouvera pas vide, et personne ne s’apercevra que la vieille maman