Jane Austen: Oeuvres Majeures. Джейн ОÑтин
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— c’est parce que vous êtes absolument étrangère à cette affaire, dit Lucy d’un ton un peu piqué, que votre opinion aurait sur moi beaucoup d’influence et pourrait me décider ; si on pouvait supposer que vous eussiez là-dedans le moindre intérêt personnel, elle n’aurait plus aucun poids.
Elinor crut plus sage de ne rien répondre ; elle se trouvait entraînée par cet entretien dans une espèce de réserve qui lui semblait toucher à la dissimulation avec une personne qui n’en avait point pour elle. D’ailleurs elle n’en avait que trop appris, et se promit bien de ne plus renouveler cette pénible et inutile confidence : elle parla de leur ouvrage, de quelques autres sujets indifférens, après lesquels Lucy lui demanda du ton de la plus tendre amitié, si elles comptaient passer une partie de l’hiver à Londres.
— Certainement non, dit Elinor.
— J’en suis très-fâchée, reprit Lucy pendant que ses yeux brillaient de plaisir, j’aurais été si heureuse de vous y rencontrer. Mais je suis sûre que vous y viendrez ; votre frère et votre belle-sœur vous inviteront sûrement chez eux.
— Il ne me sera pas possible d’accepter leur invitation.
— Combien c’est malheureux pour moi ! je m’étais réjouie d’avance de vous y retrouver. Anna et moi nous comptons y aller à la fin de janvier chez des parens à qui nous l’avons promis depuis bien des années ; mais moi j’y vais seulement pour voir Edward qui doit y être en février, sans cet espoir Londres n’aurait aucun attrait pour moi. Ici l’entretien confidentiel fut interrompu ; Elinor fut demandée auprès de la table à jeu pour la décision d’un coup ; et lady Middleton ayant envie de voir faire le joli panier de sa petite Sélina, pria Elinor de prendre sa place, ce qu’elle accepta avec plaisir. Elle n’avait plus rien à dire à Lucy, de qui elle n’avait pas pris une idée plus avantageuse ; elle avait au contraire une persuasion plus positive encore, et bien douloureuse, qu’Edward ne pouvait pas aimer la femme qu’il avait promis d’épouser, et qu’il n’avait aucune chance de bonheur dans une union avec une personne sans aucun rapport avec lui, qui serait repoussée de toute sa famille, et qui avait assez peu de délicatesse pour vouloir, malgré cela, forcer un homme à tenir ses engagemens, quand elle paraissait elle-même persuadée qu’il serait malheureux.
De ce moment elle ne chercha plus les confidences de Lucy ; mais cette dernière ne laissait échapper aucune occasion de les continuer, de lui parler de son bonheur quand elle avait reçu une lettre d’Edward. Quand Elinor ne pouvait les éviter, elle les recevait avec une tranquillité et un calme apparent sans faire de réflexions, sans allonger un entretien dangereux pour elle-même et inutile à Lucy, dont elle trouvait chaque jour le caractère moins agréable.
La visite de mesdemoiselles Stéeles chez leurs parens de Barton-Park se prolongea bien au-delà du temps qu’on leur avait d’abord demandé. Leur faveur croissait au point qu’on ne pouvait penser à se séparer. Sélina jetait les hauts cris quand Lucy feignait de vouloir la quitter, et sa maman lui demandait alors en grâce de rester ; en sorte que malgré leurs nombreux engagemens à Exeter, elles restèrent au Parc plus de deux mois, et y passèrent les fêtes de Noël, que sir Georges rendit aussi brillantes et aussi animées qu’il lui fut possible.
CHAPITRE XXV.
Madame Jennings s’attachait tous les jours davantage aux habitans de la Chaumière et surtout à Elinor. La parfaite bonté du caractère de cette femme, l’amitié qu’elle leur témoignait si franchement, leur faisaient oublier ses petits défauts, si légers en comparaison de ses excellentes qualités. Madame Dashwood qui voyait en elle la meilleure, la plus indulgente des mères, lui pardonnait bien volontiers son ton un peu trop trivial et ses manières un peu vulgaires ; Emma s’amusait de sa franche et grosse gaîté ; Elinor toujours bonne, toujours simple, indulgente par caractère, disposée à la bienveillance et à trouver que les qualités du cœur valent bien celles de l’esprit, aimait beaucoup la bonne Jennings, et ne s’apercevait presque plus de ce qui lui manquait : mais Maria, la sensible, la délicate Maria ne pouvait s’accoutumer à son langage, à ses manières, et tout en convenant cependant qu’elle avait assez de chaleur dans les sentimens, et de complaisance pour ceux des jeunes gens, elle ajoutait toujours. Quel dommage que son esprit et son goût n’y répondent pas ! et fuyait sa société autant qu’il lui était possible.
Aux approches de la fin de l’année, madame Jennings commença à tourner ses pensées vers Londres, et à désirer d’y retourner. Après la mort de son mari, qui s’était enrichi dans le commerce, elle quitta la cité et prit une très-élégante maison près de Portman-Square. Ses filles avaient épousé l’une un baronnet, l’autre un bon gentilhomme ; elle passait toute la belle saison chez l’une ou chez l’autre, et l’hiver les réunissait à la ville. Cette année elle avait prolongé son séjour à Barton en faveur du voisinage ; mais lors qu’enfin elle se fut décidée à partir, elle demanda un jour aux demoiselles Dashwood de l’accompagner à Londres et d’y demeurer quelque temps avec elle, en les assurant avec sa cordialité accoutumée, qu’elle ne pouvait plus se passer de leur société. Maria rougit de plaisir à cette invitation, et ses yeux s’animèrent. Elinor n’y fit nulle attention, et croyant que sa sœur pensait là-dessus comme elle, elle exprima sa reconnaissance à madame Jennings en l’accompagnant d’un refus positif. Le motif qu’elle alléguait était leur résolution décidée de ne point quitter leur mère, et surtout pendant l’hiver.
Madame Jennings parut surprise et répéta son invitation, en les pressant vivement de l’accepter. Vous comprenez bien, jeunes filles, dit-elle, que j’ai déjà demandé l’avis de la maman, il est tout-à-fait conforme au mien. Elle est charmée que vous alliez un peu respirer l’air de Londres ; ainsi c’est tout arrangé, et j’ai mis dans mon cœur de vous avoir chez moi. Vous ne me gênerez pas du tout ; ma maison est assez grande à présent, que j’ai marié Charlotte, et quant au voyage, j’envoie Betti la première par le coche pour nous recevoir. Nous pouvons très-bien tenir trois dans ma chaise ; une fois en ville, tout ira de soi-même. Si vous me trouvez trop vieille, si vous vous ennuyez chez moi ou dans ma société, vous pourrez toujours aller avec l’une de mes filles. Vous voyez comme je les ai bien mariées ; si je n’en fais pas autant de vous ce ne sera pas ma faute, et peut-être avant la fin de l’hiver le serez-vous toutes les deux.
— J’ai un soupçon, dit sir Georges, que si on consulte mademoiselle Maria, elle n’aura aucune objection contre ce projet ; mais sa sœur aînée sera plus difficile à gagner. Ai-je deviné miss Maria ? je parie que oui.
— Et vous avez raison, dit-elle avec sa franchise ordinaire, oui, je l’avoue, je serai parfaitement contente d’aller à Londres cet hiver ; ce serait un si grand bonheur pour moi, qu’à peine puis-je l’exprimer. C’est vous dire, chère dame, que votre invitation vous assure pour jamais ma plus tendre reconnaissance.
Elinor entendit très-bien ce que sa sœur voulait dire et ce qui l’attirait si puissamment à Londres. Elle devait y trouver Willoughby ; que fallait-il de plus ? Elinor aimait Maria trop tendrement pour pouvoir se résoudre à l’affliger en mettant trop d’obstacles à ce qu’elle désirait avec tant d’ardeur ; pressée donc de nouveau par madame Jennings, elle se contenta cette fois de s’en remettre à la décision de leur mère, qui par bonté pour ses filles, disait-elle, avait cédé à l’envie de leur procurer un plaisir, mais qui souffrirait certainement de se séparer d’elles. À peine eut-elle achevé cette phrase,